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We love this one ;-)
A l’adolescence, j’étais plutôt isolée. Je vivais seule avec ma mère fraichement divorcée. Elle était peu à la maison puisqu’elle préférait passer son temps avec son nouveau compagnon, était en cours de gym ou en boîte de nuit.
A 14 ans, j’étais donc assez perdue. Je ne connaissais pas encore les effets du corps féminin sur les garçons, ni le désir du corps de l’autre. Autant dire que ma naïveté égalait mon manque d’expérience. Malheureusement, comme j’étais vulnérable, j’attirais les garçons à l’affut d’une fille facile à berner. Je ne comprenais pas ce qui les attirait en réalité.
J’ai commencé à sortir avec un garçon de mon âge mais qui savait très bien où il voulait en venir, lui. J’en suis bien entendue tombée amoureuse puisqu’il m’apportait un semblant de reconnaissance et sa présence. Le jour où il m’a dit “couche avec moi ou je te quitte” je savais déjà ce que j’aurais dû répondre. Mais j’avais peur de me retrouver toute seule et j’aimais bien l’embrasser. On s’est donc mis d’accord pour une date et il est venu à la maison en attendant ce pourquoi nous avions rendez-vous. Il devait apporter un préservatif. Mais il a préféré faire l’impasse. J’ai alors refusé de coucher avec lui. A ce moment-là, j’avais déjà peur de lui. Il m’avait déjà, dans le passé, plus ou moins forcé à le suivre dans la rue ou à lui caresser le sexe. En plus j’avais lu dans un magazine pour ado que si on se faisait agresser sexuellement mieux valait ne pas se débattre afin d’éviter une violence supplémentaire.
J’ai un grand vide dans ma mémoire, je ne me souviens plus de la façon dont j’ai fini par me laisser faire. Je me souviens juste avoir pensé qu’il valait mieux que je ne me débatte pas, après lui avoir plusieurs fois répété que je ne voulais pas ça. Et l’autre image qui me reste est celle où je suis allongée sur mon lit, sous lui qui maintient mes poignets pendant qu’il me pénètre.
Après son affaire, il m’a dit fièrement : “tu n’étais pas vierge, tu n’as pas saigné”. Le fait est que j’étais vierge. Toutes les vierges ne saignent pas. Mais il était content de pouvoir affirmer qu’il avait sauté “une salope” et “que je le voulais bien”. Après cette histoire, nous ne sommes plus jamais sortis ensemble.
Je m’accrochais à mes bleus aux poignets pour essayer de me convaincre que je ne voulais pas ce qui était arrivé (chose qui était très floue pour moi à l’époque). Lui a raconté l’événement à tout le collège - selon sa version. Les gens de son entourage qui partageaient le même établissement que moi me traitaient de tous les noms orduriers que l’on puisse imaginer. Tous étaient convaincus que je désirais coucher avec ce garçon et que ce n’était pas ma première fois. J’étais donc le cliché de la fille facile. La salope du collège.
Après plusieurs années et grâce aux combats féministes, j’ai fini par ne plus avoir besoin de m’accrocher à mes bleus pour savoir que c’était un viol. Ce garçon n’avait pas conscience de m’avoir violée; j’ai pu avoir envie de coucher avec lui à un instant précis; j’ai pu me laisser faire par peur ou par désarrois et - pourtant - ne pas vouloir coucher avec lui au moment où il me forçait à m’allonger sur mon lit. Il m’a violée. Et je n’étais certainement pas une salope. J’étais une fille perdue, seule, sans repère et naïve. Je pense même que le cliché de la pré-ado facile représente en réalité le cliché de la fille isolée qui ne comprend pas comment sont certains mauvais garçons au moment de la puberté et qui ne réalise pas ce qu’ils attendent d’elle.
Après mon expérience, ma réputation m’a suivie. Et ma solitude n’a fait qu’empirer. J’ai continué à me laisser berner par des garçons et des jeunes hommes mal intentionnés. Mon calvaire a duré près de quatre ans. Il s’est arrêté après des coups et des agressions sexuelles à répétition, une tentative de suicide, un avortement et un réveil tardif de ma mère qui me menaçait de m’envoyer en pensionnat. Elle avait “honte de moi”.
L’année de mes dix-huit ans j’ai quitté la maison et ma ville pour suivre des études universitaires. Je l’ai vécu comme une fuite. Je n’étais pas assez solide pour vivre dans une ville inconnue sans aucune connaissance à qui parler. J’ai fini par revenir vivre chez ma mère. Mais l’élan était amorcé pour ne plus subir les mêmes sévices. Il m’a toutefois fallu dix ans pour retrouver une espèce de stabilité.
Aujourd’hui j’ai trente ans et je suis en master de philosophie. J’ai repris deux fois mes études et fait des boulots alimentaires. Ma plus longue histoire d’amour a duré un an. Avec l’homme que je fréquente actuellement nous ne souhaitons pas être un couple. Je ne veux plus aucun engagement. Je veux profiter du moment présent et découvrir ma capacité à désirer - quelqu’un ou quoique ce soit - sans honte ni peur.
Le féminisme m’aide dans le sens où il m’accompagne dans mon travail sur l’affirmation de ma personne. Il m’aide à refuser tout regard qui me rabaisse à ma plastique, tout geste déplacé qui s’affiche comme “sans conséquence”, tout petit mot soulignant que je suis une femme et à ce titre faible, soumise ou moins compétente. Il m’aide à assumer mon désir, mon indépendance, mes choix de vie. Il a changé mon regard sur le monde et les autres.
Aujourd’hui je suis une personne avant d’être une femme et je traite les autres comme des personnes avant de les voir comme des hommes ou des femmes.