Un vaisseau spatial, une très jolie fille aux cheveux bleus toute vêtue de latex et de talons aiguilles, un robot au bassin saillant, et une planète aux tentacules phalliques qui viennent boucher les trous qui passent à sa portée, un cocktail détonnant mais qui résume presque parfaitement ce qui m’a tenté dans Sixella. En voyant la couverture et en lisant le résumé, j’avais l’impression de faire face à un truc que je n’avais personnellement encore jamais vu.
Sixella, par Janevsky aux éditions La Musardine, collection Dynamite
J’ai bien conscience que la SF n’a pas échappé à la fameuse R34, selon laquelle s’il existe un univers, ou même juste un personnage, sa version pornographique existe elle aussi forcément sur les internets. Seulement, j’avoue que c’est un truc qui ne m’a jamais tenté, et dans lequel je n’avais encore jamais mis le nez. Comment ai-je donc atterri – c’est le cas de le dire dans le cas présent – sur Sixella, alors ? Grâce aux événements virtuels du festival de la BD du lac d’Annecy, pendant laquelle Anne Hautecoeur, directrice de La Musardine a évoqué la collection Dynamite et Sixella. Curieuse, je suis allée fouiller sur le site de La Musardine, et je dois avouer que la couverture m’a tapé dans l’œil. L’esthétisme de l’illustration et le choix des couleurs qui se dégradent en un camaïeu de rose, de bleu, de violet et de blanc m’ont énormément plu, et c’est ce qui m’a donné envie d’embarquer pour ce voyage intergalactique du cul.
DANS UNE GALAXIE TRÈS LOINTAINE
Dès les premières cases, le décor est posé. Un vaisseau qui part on-ne-sait-où avec, à son bord, une femme aux cheveux bleus endormie, et prise de part en part par des tentacules qui ne viennent elles aussi d’on-ne-sait-où. Le hentaï n’est pas bien loin… est la première chose que je me dis en voyant ces membres multiples dédiés à combler les orifices de l’héroïne, pour qu’aucun ne soit en reste. Ce n’est pas forcément ma came, mais je dois avouer que les cases dégagent déjà une grande sensualité. C’est à la fois extrêmement explicite – on est clairement dans les gros plans de pénétrations inter-espèces galactiques – et en même temps très doux et poétique, un mélange rare et que je ne retrouve pas souvent dans mes lectures. J’ai envie de lire la suite. Très rapidement, le vaisseau s’écrase sur une planète inconnue. Seuls survivants, notre belle héroïne en latex et un robot : Sixella et Iris. Ces derniers partent en exploration et seront confrontés tantôt aux lianes et tentacules phalliques qui ne manquent pas une seule occasion de prendre Sixella dans toutes les positions qui s’offrent à elles – mais toujours avec un grand esthétisme, tantôt à une civilisation étrange, où toutes les habitantes ressemblent étrangement à Sixella. Le mystère s’épaissit donc.
PORNOGRAPHIQUE ET ESTHETIQUE
Au cours de la table ronde que j’évoquais plus haut, Jean-Louis Tripp, lui-même auteur de bande dessinée érotique disait : « La force de la littérature érotique c’est qu’il n’y a pas d’image, celle de la BD, c’est qu’il y en a. » Cela peut sembler évident, mais c’est en réalité absolument essentiel à garder à l’esprit. Là où la littérature érotique laisse entièrement place à l’imaginaire du lecteur, la BD lui offre un support qui ne diffère finalement de la pornographie filmée que dans son absence de limite. On admettra aisément qu’il est beaucoup plus complexe de trouver de véritables tentacules bel et bien vivants, pénétrant le corps d’une performeuse, que de les dessiner. Pour autant, Janevsky ne se contente pas ici de dépasser les limites du réel à travers son dessin. Il exprime un parti pris franc qui confère au livre une véritable aura à la fois poétique et onirique. Qu’il s’agisse du choix des couleurs, qui sont extrêmement douces et à mille lieux des codes extrêmement vifs des comics par exemple, ou de la présence des nombreux coups de crayons qui constituent les illustrations, chaque case est ici un petit trésor dont on peut se délecter non sans excitation, parce qu’il faut avouer que certaines cases sont très excitantes, et n’auront pas de mal à vous donner chaud (comme elles l’ont fait avec moi !).
Sixella est probablement l’une des BD les plus esthétiques qu’il m’ait été donné de lire. C’est bien simple, dans les illustrations, j’ai tout aimé. J’ai particulièrement aimé les cases représentant Iris, car bien qu’étant un personnage robotique, le traitement fait du corps de ce dernier est le même que celui de Sixella. Certes, il ne porte pas de cuissardes à talons aiguilles et de body en latex, mais on a malgré tout quelques gros plans sur les différentes parties de son corps, qu’il s’agisse de sa bite robotique, ou de son cul, qui n’a rien à envier à celui de l’héroïne. Sixella est un concentré de beauté, de sensualité et de porno sur fond d’exil dans l’espace.
POÉSIE NON ABOUTIE ?
Cependant, même si j’aurais vraiment souhaité ne dire que du bien de Sixella, je suis obligée de vous avouer quelque chose : ce n’est pas une BD qu’on achète pour son scénario. Je ne remets absolument pas en cause la poésie de l’ouvrage. Au contraire, réussir à conquérir mon cœur (et mes fantasmes) avec une relation entre un robot et une humaine, c’était loin d’être gagné, et je ne peux que saluer la délicatesse avec laquelle est traitée cette relation, que cela soit dans les scènes anodines où Sixella et Iris explorent cette planète inconnue, ou dans les scènes de sexe au cours desquelles Sixella chevauche Iris en cowgirl. On remarquera que certaines de ces cases font d’ailleurs réfléchir sur le statut d’Iris : est-il machine dédié au plaisir de la femme qu’il accompagne ? A-t-il une conscience qui le rend, lui aussi, actif dans la sexualité ? Est-ce un sextoy grandeur nature ou simplement une nouvelle forme de vie futuriste ?
Mais force est de constater que là où l’histoire me laissait imaginer une suite – parce que de nombreuses questions demeuraient sans réponse au moment où nos protagonistes reprennent un vaisseau spatial pour rentrer chez eux – j’ai été étonnée d’apprendre qu’a priori, Sixella serait un one shot. Même si le scénario n’était pas fondamentalement très original (échoués sur une planète inconnue, après un crash de vaisseau spatial), j’étais vraiment prête à entrer dans l’univers de Janevsky, et ce grâce à la poésie et à la beauté de ses dessins. Je suis restée sur ma faim !
J’aurais bien aimé le savoir aussi….
Sixella un ouvrage réussi, avec une sensualité singulière et un style remarquable et si je déplore qu’aucune suite ne soit prévue pour sortir le lecteur des interrogations dans lesquelles on le laisse patauger à la fin de l’histoire, je ne peux que vous en recommander la lecture, ou au moins, la contemplation tant le style de Janevsky nous transporte. Une BD à dévorer des yeux, plus qu’à lire, et un véritable coup de cœur pour ma part !