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A l’heure où chacun peut tourner son propre porno, c’est bel et bien la question du « chacune » qui se pose. Car oui, n’en déplaise à certains, la nouvelle garde du X est féminine. C’est ce que nous assure le New York Times au gré d’un pertinent panorama.
De Kelly Shibari à Nina HarthleyPorno queer, alternatif, féministe, féminin, tout simplement : la journaliste Amanda Hess est partie à la rencontre de celles qui feront le porno de demain. S’entrecroisent performeuses et cinéastes, bien déterminées à faire évoluer les mentalités, bannir les stéréotypes et reconsidérer le rôle de la femme dans le sexe explicite. C’est ce à quoi travaille la model plus-size Kelly Shibari (Penthouse), qui s’est mise à produire ses propres films polissons après avoir remarqué qu’il « n’y [avait] pas de femmes enveloppées dans le porno, et encore moins d’asiatiques obèses, car le porno conserve cette vision stéréotypée de l’asiatique fine, mince et dépourvue de courbes – c’est comme ça que les américains blancs envisagent la sexualité des asiatiques« .
Identique déboulonnage en règle des représentations policées du sexe du côté de l’actrice agenre Jiz Lee, chargée du marketing des productions Pink & White, initiées par la cinéaste militante Shine Louise Houston (à qui l’on doit le culte Crash Pad Series). Flippée de s’enfermer dans un monde où les performeuses « devaient toutes ressembler à Stormy Daniels« , Jiz Lee est aujourd’hui partisan·e d’une porn culture aux larges horizons où s’enlacent « personnes trans, de couleur, queer, de toutes les tailles, personnes âgés, handicapées« . Bref, du cul hors des sentiers battus.
Cette vision du porno en melting pot n’est pas une utopie. Studios indépendants, porno amateurs et cams le démontrent. Optimiste, la camgirl Ingrid Mouth voit en l’apogée de cette alternative 2.0 une manière élargie de shooter « son propre contenu, sa propre histoire, en générant sa propre audience« . Une (r)évolution globale. Car comme l’entend Heather Berg, professeur en gender studies à l’Université de Californie du Sud, « la décentralisation de l’industrie confère plus de pouvoir aux travailleurs du sexe : il est aujoud’hui plus facile de produire et de distribuer son propre contenu, sans être dépendant d’un quelconque patron« . Mais au fait, c’est qui, le patron ? La très charismatique daronne Nina Hartley par exemple, partisane du porno-éducatif, un X bienveillant dont le mantra serait « si tu ne fais pas cette chose chez toi gratuitement et pour t’amuser, ne le fais pas devant la caméra pour de l’argent« .
Le porno post-#MeTooRiche de perspectives, l’article prend le pouls d’une forme d’expression polémique à l’ère #MeToo, entre espoirs nourris et piques bien senties. Impossible de ne pas retenir cette saillie incisive de la réalisatrice Nikki Hearts, compagne de l’actrice Leigh Raven : « désormais, nous attendons juste la mort de ces vieux hommes blancs« . Car comme toute industrie, le porno traîne encore derrière lui un « vieux monde » dont beaucoup souhaitent le déclin. C’est à la misogynie ambiante que rétorque ce panoptique. Offrir la parole aux pornstars, c’est privilégier une vision honnête de leur profession, loin des fantasmes de victimisation. N’en déplaisent à ceux et celles qui les érigent en martyrs, les actrices X ne sont pas « des personnes désespérées, motivées par l’appât du gain et forcées à la soumission« , nous rappelle Amanda Hess, qui voit d’un bon œil l’usage des réseaux sociaux pour faciliter cette révolution du porno. Medium de libération de la parole, le web social serait une composante essentielle de ce X féminin.
Bref, le New York Times délivre un constat porn-positif, qui nous suggère que le remède aux travers du X n’est en rien sa diabolisation, mais le porno lui-même. Pour ce faire, il suffirait de ne plus considérer le X comme un bouc émissaire mais comme un objet culturel, (ré)appropriable par tous…et toutes. Belle chose, l’article échappe au piège de l’opposition basique entre mainstream (forcément misogyne) et indé (forcément éthique) en notant par exemple les limites du porno queer et féministe, de son budget à son audience. Il est tout de même rassurant de voir qu’outre-atlantique, l’on se pose les bonnes questions quant à la considération de la culture pornographique.
Lust, pionnière du porno néo-féministe.
Notant que «les rêves malheureux ou de malchance sont toujours plus fréquents que les rêves heureux», le sociologue Bernard Lahire enquête : se pourrait-il que le rêve reflète non pas nos désirs, mais nos soucis ? Ce serait l’espace des choses à résoudre ?
Utilisé dans son sens commun, le mot «rêve» évoque des situations très enviables, voire chimériques : «Je rêve de devenir millionnaire», «Je rêve de faire le tour du monde», «prendre ses rêves pour la réalité», etc. Pourtant, la majorité des rêves relèvent du cauchemar. En 1972, c’est ce que les psychologues Calvin Hall et Robert Van de Castle établissent au terme d’une gigantesque étude quantitative : ils passent plus de 20 ans à collectionner les rêves de gens du monde entier – soit 50 000 en tout. Conclusion : de façon universelle, les rêves récurrents sont souvent des rêves d’agression, de relations sexuelles malsaines ou dérangeantes, de poursuite (le rêveur fuit), de ratage, de désarroi (voyages sans fin, labyrinthiques), de chute, etc.
On rêve «plus de mauvaises choses que de bonnes choses»
Prenant un échantillon de 1000 rêves (obtenus de 200 hommes et femmes adultes), dans son ouvrage The Individual and his dreams, Calvin Hall –en collaboration avec un autre chercheur, Vernon Nordby– explique : les rêves malheureux ou de malchance sont toujours plus fréquents que les rêves heureux : «Il y avait une agression, un malheur ou un échec dans 931 rêves, et un acte amical, une bonne fortune ou un succès dans 573 rêves. La conclusion est évidente. Beaucoup plus de mauvaises choses que de bonnes choses se produisent dans les rêves. Cette conclusion est aussi mise en évidence par les résultats obtenus à partir d’une analyse des émotions vécues dans les rêves. Les émotions de tristesse, de colère, de crainte et de confusion sont mentionnées 565 fois dans les rapports de 1 000 rêves de jeunes adultes. Les émotions heureuses sont mentionnées seulement 137 fois. (1)»
Le rêve est-il une répétition générale d’événements à venir ?
Dans un ouvrage intitulé L’Interprétation sociologique des rêves récemment publié aux éditions La Découverte, Bernard Lahire résume : «les rêves malheureux ou de malchance sont toujours plus fréquents que les rêves heureux. […] Pour paraphraser Aragon, on pourrait dire qu’“il n’y a pas de rêve heureux”. Cela ne signifie pas que les rêves sont le déversoir de tous les malheurs, mais l’activité psychique a davantage à faire avec des problèmes non résolus […], des désirs frustrés, des tensions et des contradictions de la vie diurne». S’il faut en croire le sociologue, les rêves nous confrontent par anticipation à ce qu’il faut résoudre ou surmonter : examens, entretiens d’embauche, voyages, conflit professionnel ou conjugal… Sa théorie présente ceci d’intéressant qu’elle tempère l’idée commune selon laquelle le rêve serait la réalisation d’un souhait ou d’un désir inassouvi. Cette idée vient de Freud, dont la célèbre formule –«Le rêve est l’accomplissement (déguisé) d’un désir (réprimé, refoulé)»– date de 1899.
«Le rêve est l’accomplissement (déguisé) d’un désir (refoulé)» ?
Cette formule, énoncée dans l’ouvrage-phare L’Interprétation des rêves (Die Traumdeutung) repose sur le préposé suivant : les rêves ne sont pas que des lambeaux d’images confuses et ineptes. Les rêves ont une signification. Cette idée n’est pas nouvelle bien sûr : Freud indique lui-même qu’il l’emprunte à un auteur grec du IIe siècle, Artémidore de Daldis (auteur de L’Onirocritique), que bien d’autres penseurs –au cours des siècles suivants– reprendront sous diverses formes. Le génie de Freud, c’est d’intégrer cette idée dans un système d’interprétation scientifique. Freud propose une méthode permettant de comprendre les rêves. Le problème, c’est que sa grille de lecture présente des défauts. Pour le sociologue Bernard Lahire, il s’agit «d’en corriger les faiblesses, les manques et les erreurs» (2), à commencer par la première d’entre elle : il serait faux de croire que le rêve a pour fonction «l’accomplissement du désir». Encore plus faux de réduire les désirs en question à des désirs sexuels.
L’Onirocritique, version sexuelle
Dans L’Interprétation des rêves, Freud ne cesse d’insister sur la nature sexuelle des images oniriques : «Freud a beau s’en défendre, c’est lui‐même qui […] affirme que les “machineries” et “appareils compliqués des rêves” renvoient aux “organes génitaux” ». C’est aussi lui «qui fait des objets longs et fermes tels que parapluie, tronc d’arbre, barre, canne, armes telles que poignards, couteaux ou piques des symboles de pénis.» Lui, enfin, qui réduit les «objets tels que coffres, boîtes, cavernes, chapelles et armoires des substituts du vagin, ou qui ramène l’impression de déjà‐vu dans les rêves à l’organe génital de la mère (écrivant même que ça renvoie “toujours” à l’organe en question)»… En limitant le contenu des rêves au sexuel, Freud n’est guère convaincant. Pour étayer sa théorie, il affirme que le rêveur se censure, raison pour laquelle le contenu des rêves serait crypté, voire anodin en apparence : rêver de train serait érotique. Rêver d’un fruit ? érotique. Rêver d’un escalier ? érotique. Etc.
«Les bases d’interprétation proposées par Freud sont trop étroites»
Très tôt, la théorie généralisante de Freud suscite la critique. Dès 1907, Théodore Flournoy, psychologue genevois, suggère d’élargir l’analyse aux émotions dans leur ensemble : pourquoi les limiter au registre sexuel ? «C’est ce qui émotionnellement nous travaille qui peut faire l’objet de rêve, résume Bernard Lahire : toutes les choses qui font peur, angoissent, inquiètent, bouleversent, attristent ou enthousiasment, peuvent donner lieu à des rêves. De même, le psychiatre suisse Eugen Bleuler […] déclare dans une conférence donnée à Zurich en 1912 “que la “signification essentiellement sexuelle” de l’inconscient comme lieu des désirs infantiles refoulés était une théorie trop étroite.» C’est encore Yves Delage (3) qui, en 1920, critiquait cette tendance à «rechercher partout […] l’influence sexuelle sur toutes nos pensées et nos actions. L’importance de ce facteur a beau être fort grande, il est abusif de tout ramener à lui a priori de façon systématique.»
Il y a des choses qui travaillent en nous, dans le noir
Proposant un modèle d’interprétation des rêves plus ouvert, Bernard Lahire pose l’hypothèse suivante : que les rêves permettent de cerner les soucis du rêveur et les «problématiques qui travaillent en lui». Cela expliquerait le phénomène des rêves récurrents. On ne règle pas ses problèmes en un jour. Dans le rêve, tout n’est qu’épreuves, tensions, trouble. Citant Wittgenstein (Leçons et conversations), Bernard Lahire fait du rêve une machine à broyer du noir : «Le fait est que chaque fois que quelque chose vous préoccupe, des soucis, un problème qui importe beaucoup dans votre vie –tel le problème sexuel– peu importe ce dont vous partez, vous serez finalement et inévitablement ramené à ce thème constant.» Il importe donc de s’intéresser aux rêves, comme à la clé de nos énigmes individuelles. Quelle erreur, s’énerve Bernard Lahire, de continuer à croire que «le rêve ne serait qu’un «fatras d’images et d’impressions diverses» et qu’il n’y aurait donc aucune interprétation possible du rêve.»
Il est possible, peut-être même vital, de comprendre ses rêves. La suite au prochain article.
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A LIRE : L’Interprétation sociologique des rêves, de Bernard Lahire, éditions La Découverte, 2018.
NOTES
(1) Traduction par Bernard Lahire (L’Interprétation sociologique des rêves, 2018)
(2) Bernard Lahire se défend de vouloir mettre bas Freud. A contraire, c’est lui «rendre hommage», dit-il, que «soumettre son travail à l’examen critique» afin de n’en retenir que les propositions théoriques pertinentes : «Freud a eu, en tout premier lieu, le mérite de prouver qu’avec le rêve on n’a pas affaire à une production aléatoire et désordonnée d’images, de sons et d’impressions mais bien à une production qui a sa logique et qu’il est raisonnable de vouloir interpréter.» En deuxième lieu, Freud a eu la perspicacité de faire le lien entre les expériences oniriques et la vie éveillée. On rêve de choses vécues, en lien avec le passé et avec l’appréhension d’événements à venir. «Enfin, il a proposé une description en grande partie pertinente de certaines grandes propriétés formelles du “langage intérieur” du rêveur et des caractéristiques du travail du rêve (figuration‐visualisation, symbolisation, métaphorisation, condensation, dramatisation‐hyperbolisation‐exagération).»
(3) Yves Delage, cependant, n’échappe pas aux fourches caudines de Bernard Lahire qui l’accuse d’aveuglement intellectuel : «vingt ans après la parution de L’Interprétation du rêve, le zoologiste Yves Delage pouvait encore affirmer de façon péremptoire que «la plupart de nos rêves, quatre‐vingt‐dix‐neuf sur cent si l’on veut, sont sans signification particulière et [qu’]il n’y a rien d’autre à leur demander que cet intérêt de roman, cette diversion à la monotonie de la vie réelle [...]”».
Ce dimanche, il faisait beau, il faisait chaud, en somme il faisait une journée idéale pour aller se poser dans un transat’ à siroter un p’tit rosé en se cultivant. Et si vous me suivez sur Twitter, vous savez aussi que ce dimanche c’était le Festival des Journalopes, consacré au journalisme indépendant et féministe ! Les Journalopes, ce sont “6 femmes journalistes féministes qui parlent de sexe, de droits reproductifs, d’amour, de liberté, de censure, de violences conjugales, de guerre et de géopolitique.”
Parmi les diverses activités proposées, il y avait évidemment un stand de découverte de magazines bien dans le thème.… Lire la suite
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