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NDLR : Ceci est le cinquième numéro de la série Bouillon de Kub’Ture initiée par Storia Giovanna.
Le 16 juin 2017 a été célébré le vingtième anniversaire de la sortie du 3e et plus notable album du groupe Radiohead, OK Computer. Régulièrement considéré comme l’un des meilleurs albums de tous les temps, c’est spécifiquement l’ambiance générale de cet album qui m’a à la fois donné l’a priori de groupe de dépressifs et de groupe important. En effet, comment survivre à un album qui contient à la fois ça, ça :
Et ça ?
Ce n’est pas seulement un album bourré de tubes : c’est la bande-son de millions d’adolescents, l’album qui fait paraître le reste de la carrière du groupe comme un hiatus aux yeux de ceux qui n’ont pas pu suivre par la suite les pérégrinations sonores et commerciales de Thom Yorke et de ses comparses. Car force est de constater que j’ai l’impression que le groupe a perdu quelque chose quand j’écoute le premier extrait d’A Moon Shaped Pool (2016), Burn The Witch :
Je ne trouve pas ça mauvais, attention, mais juste bizarre. Comme si c’était contre-nature qu’un groupe qui puise autant d’inspiration dans l’aspect organique de la musique acoustique puisse se fourvoyer autant dans l’expérimentation sonore.
Juin 2017 a aussi vu la sortie de OK NOT OK, à savoir une version amendée d’Ok Computer avec des titres enregistrés durant les mêmes sessions que l’album, mais qui n’ont pas été privilégiés. Et quand on voit les amendements, tels que Man Of War :
Ou I Promise, qui tourne depuis quelques semaines en rotation lourde sur Oüi et qui est clairement ma chanson élue de l’été 2017 :
Je me dis que faire un double album à l’époque aurait déjà été judicieux, ou qu’il y avait de la matière à s’exprimer avant l’expérimental Kid A (2000) qui avait dérouté bien des personnes. Ayant pris ce single comme un retour de Radiohead à des cieux plus cléments en termes d’image musicale, j’ai clairement pris cette diffusion tardive de chansons composées il y a vingt ans pour du troll. Et je vais maintenant vous expliquer pourquoi.
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Lorsqu’on avance en âge comme moi – du haut de mes vénérables 34 ans –, il subsiste une mythologie de l’âge d’or. Celui de notre adolescence, de notre jeunesse, où tout nous paraissait possible. En général, cet âge d’or s’arrête avec la confrontation aux « vrais problèmes de la vie » (vie professionnelle, vie amoureuse, place dans la société, etc.). Subsistera de cet âge d’or les discussions avec les copains, les flirts, l’impression d’être libre, et notre esprit aura gommé le questionnement sur nous-mêmes et notre avenir, les engueulades avec nos parents…
J’avais 14 ans quand OK Computer est sorti et, si je me resitue dans l’état d’esprit de l’époque, je le considérais comme un album comme un autre, sorti la même année que The Fat Of The Land de The Prodigy, Urban Hymns de The Verve, Be Here Now d’Oasis, The Colour Of The Shape des Foo Fighters, En passant de Jean-Jacques Goldman, Baiser de Christophe Miossec, l’album éponyme de Louise Attaque… En effet, si je prends en compte ma mythologie de l’âge d’or, j’ai écouté la meilleure musique du monde en 1997. Alors que, clairement, c’est faux :
Par exemple.
Alors quand Radiohead décide de me faire revivre ce que je considère comme leur âge d’or en sortant des inédits que je croirais enregistrés de nos jours, oui, je le vis mal. Pourquoi ? Parce qu’en 20 ans, j’ai évidemment mûri dans mon approche de mes goûts culturels et ça doit aussi se ressentir dans les groupes que j’écoutais à l’époque et qui persistent à faire carrière. Si je trouve qu’en 2017 Depeche Mode a mis de la paix dans son cynisme électro, qu’Indochine est de toutes façons irrécupérable depuis Paradize et que les Foo Fighters ne me décevront jamais – en témoigne ce putain de concert du 3 juillet à Bercy, je ne m’en remets pas –, j’attends de Radiohead non pas qu’il retourne entièrement à l’onirisme à la fois cynique et enchanté d’OK Computer, mais qu’il arrête ses conneries arty et qu’il nous fasse l’album de la maturité (tu le sens, le marronnier ?).
Car qui dit âge d’or dit période révolue, mais qu’on idéalise et dont on ne peut pas faire le deuil pour avancer. En gros, écouter I Promise, je le ressens comme si j’attendais toujours que mon crush du lycée me recontacte pour me dire après toutes ces années qu’il s’était planté sur moi à l’époque. Comment même construire une vie quand on persiste à 35 ans à garder le même niveau réflexif et émotionnel que devant sa copie de philosophie au bac ? C’est toute la gageure de se défaire de sa vie rêvée et de ses idéaux de jeunesse pour vivre des périodes moins roses, mais beaucoup plus riches en termes d’enseignement.
Radiohead, je t’aimais à peu près en 1997, je t’aime beaucoup moins depuis. Merci de me rappeler que je t’aimais avec mes émotions de petite fille qui passait le brevet des collèges et qui argumentait avec sa maman persuadée d’avoir fait une scientifique (et elle avait raison) qu’elle serait plus sereine en faisant une série littéraire, mais j’ai grandi. Toi aussi, manifestement, mais pas dans le sens où j’aurais voulu. Je ne m’empêcherai donc jamais de ne pas penser que tu vaux mieux qu’OK Computer, même si ça fait 20 ans que tu essaies de me prouver le contraire.
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