Comme chaque dimanche matin, je prenais mon café à mon bistro de quartier. Comme d’habitude, il était très tôt et j’étais la seule cliente.
Ça à ce moment que je me mis à avoir un chat dans la gorge. Je toussai, d’abord discrètement, puis de plus en plus fort. Je ne pouvais tout simplement pas m’en empêcher; c’était comme si j’allais cracher un de mes poumons. Or, même si je faisais des bruits de tuberculeuse à l’agonie, ni le patron, ni la serveuse ne semblait s’en formaliser. On aurait dit qu’ils ne m’entendaient pas. Je toussai et toussai encore, jusqu’à ce que, dans un ultime râle de coyote, je crachai une gerbe de lumière.
L’étrange lueur protoplasmique flotta quelques minutes au-dessus de la table, puis se matérialisa graduellement sur la chaise devant moi. Elle prit la forme d’une femme sculpturale, d’une beauté irréelle. Je remarquai qu’elle avait les mêmes yeux bridés que moi.
— Tabar… laissai-je échapper.
— Ouf. Je n’arrive pas à croire que j’ai fini par réussir à sortir ! s’exclama l’inconnue.
Nous nous dévisageâmes en silence pendant ce qui me parut être une éternité. Elle prit ma tasse et but mon latte jusqu’à la dernière goutte. Je fus soufflée par un tel étalage de discourtoisie.
— Mais… mais… qui êtes-vous? réussis-je à balbutier.
— Je suis – ou plutôt, j’étais, ta déesse intérieure. J’étais censée faire de toi un objet sublime de désir et d’adoration, mais tu es vraiment trop nunuche. J’en ai eu marre, alors j’ai pris mes cliques et mes claques et je me suis plaquée.
— Ma… ma… ma… ma quoi?
— Oh ça va, la sainte-nitouche, inutile de devenir bègue par-dessus le marché. Quand je pense que je m’étais arrangée pour que tu rencontres un milliardaire… Tout ce que tu aurais eu à faire, c’était le laisser te fustiger autant qu’il le voulait et tu aurais été casée peinarde pour le reste de ta vie.
Je me demandai pourquoi ma déesse intérieure me parlait avec un tel accent parisien.
— Euh… qu’est-ce que ça veut dire, fustiger ?
— Va vérifier sur DuckDuckGo, dit-elle, grimaçante, en hochant de la tête.
— C’est quoi, Doctogo ?
Elle soupira.
— Puisque tu es trop idiote pour lui, je vais aller retrouver Christian, je vais offrir mon sublime popotin pour qu’il le fesse à loisir avec son martinet. Ensuite, je vais exiger qu’il parte avec Charlie Tango m’acheter une rivière de perles à vingt mille dollars.
Elle se leva, me lança un dernier regard méprisant, puis jeta un livre sur la table.
— Tiens, un peu de lecture édifiante, histoire de te déniaiser. Adios, ahurie !
Elle tourna les talons et s’en fut en rigolant méchamment. Sur la couverture, je lus : «Cinquante nuances de Grey».
Je savais bien que je n’aurais pas dû snober ce bouquin.