Yannick Tapparel et Sébastien Nendaz sont attablés avec un ami suisse allemand dans un bistrot traditionnel de la capitale valaisanne. Le premier, président de la Pride Valais, cheveux un brin bataille, chemise carrelée noir et blanc, a l’air débrouillard, un peu timide. Sébastien, l’attaché de presse, est lui plutôt loquace, limite grande gueule: jeans aux reflets dorés, coupe courte, petite brosse sur le dessus. Il connaît tout le monde dans le troquet, souligne volontiers ses bons mots, invite, interpelle: «On ne craint rien, lance-t-il gaillardement lorsque sont évoqués les attaques et propos homophobes qu’avait occasionnés la dernière Pride valaisanne en 2001. Les choses ont bien évolué depuis. A l’époque, il n’y avait officiellement pas d’homos en Valais. Même les gens qui avaient une idée sur le sujet nous voyaient comme des types en string rose. Aujourd’hui, grâce à cette Pride, on existe et tout le monde sait que la pharmacienne ou le chauffeur de bus peuvent être homos.» Yannick complète, presque amusé: «On peut se douter qu’Ecône viendra, comme à Delémont et à Fribourg. Jusqu’à présent, rien à signaler!»
Le portrait du Valais LGBT* n’est pas rose bonbon pour autant. Si on peut vivre aujourd’hui son homosexualité de manière complètement libérée en Valais, il y a encore beaucoup de personnes pour qui il est difficile de s’assumer. «Tout dépend des caractères, du lieu et du milieu social, avance Yannick. Nous avons fait partie d’Alpagai, nous savons donc à quel point cette as- sociation est sollicitée. C’est aussi pourquoi nous avons voulu organiser une nouvelle Pride à Sion: parce que c’est nécessaire.»
Pride apolitique
En plus de vouloir donner de la visibilité à la communauté LGBT* dans le Vieux Pays, les organiseurs veulent aussi promouvoir une image positive de leur canton: «Nous voulons simplement dire: Coucou! On est là, on existe et on avance. Le Valais n’est pas qu’un canton avec des montagnes que l’on s’approprie l’hiver», s’enflamme presque Sébastien. La Pride Valais 2015 aura une thématique qui ne sera surtout pas politique. Pas de revendications pour le mariage ou l’adoption par exemple: «Ce n’est pas le lieu, commente Sébastien. On ne peut pas politiser notre Pride parce que d’une part la communauté homo a des avis divergents sur ces questions, et d’autre part on ne peut pas s’appuyer sur des politiciens comme à Genève.»
En Valais, seule une politicienne, la socialiste Barbara Lanthemann, également secrétaire générale de LOS, affiche ouvertement son homosexualité. «Il faudra qu’on lui demande ce qui en Valais est le plus dur: être de gauche ou être lesbienne!», plaisante Sébastien. Le comité a toutefois reçu le soutien de certains politiques, pas de partis: «On attend d’obtenir toutes les autorisations de la Ville de Sion, et ils sortiront du bois», affirment-ils.
Aide fribourgeoise
Une année avant la manifestation, les organisateurs sont encore dans l’expectative: encore aucune autorisation n’a été délivrée. Aucun lieu précis, parcours ni date ne sont donc fixés. Seule indication: elle aura lieu dans une grande ville en plaine – soit Monthey, Martigny, Sion, Sierre, Viège ou Brig – qui dispose d’un accès facilité pour les personnes à mobilité réduite et d’espaces pour les familles. «Nous avons fait des demandes dans deux des villes énumérées, mais on ne veut rien dévoiler. Autrement les politiciens vont s’en mêler et ils risqueront de tout faire capoter», explique Yannick.
Hasard du calendrier, la future Pride tombera en pleines festivités du bicentenaire de l’entrée du Valais dans la Confédération. «On ne veut pas se greffer là-dessus. Par contre, les agendas des communes sont surbookés. Il faut qu’ils nous trouvent une place», commente Sébastien. Ce dernier n’a aucune crainte quant à une inégalité de traitement de la part des autorités, au contraire, certaines communes les ont même approchés pour leur offrir les clés de la ville: «On sent qu’il y a un véritable souci d’équité, c’est ce qui change par rapport à 2001. Par contre les questions de sécurité vont être cruciales. On a bouclé fin mai les derniers dossiers à ce sujet: du béton. On attend des réponses d’ici la fin du mois de juin et si rien ne vient, il faudra attendre septembre. Mais on n’imagine pas 2015 sans une Pride en Valais.» Les dossiers de sponsoring sont également terminés: quelques 50’000 francs cash à trouver sur un budget total de 120’000 francs.
Pour mieux aborder leur tâche, les Valaisans ont participé à titre d’observateurs aux dernières séances du comité de la dernière Pride fribourgeoise. Conseils, statuts, budgets leur ont été transmis. Une aide très utile selon Yannick et Sébastien, qui leur a permis de gagner du temps, de ne pas commettre certaines erreurs, bref: de profiter du savoir-faire existant. Eux-mêmes sont d’ores et déjà prêts à rendre la pareille aux suivants. Et de créer un comité d’organisation central pour les futures Pride romandes? «Ce n’est pas notre propos. Nous n’avons pas eu besoin de cela pour collaborer avec Fribourg», répond le président Yannick. Tous deux apprécient ce qu’ils sont en train de vivre avec leurs collègues organisateurs: «C’est une aventure humaine géniale», s’enthousiasme Sébastien.
Une Pride off d’une année
Aujourd’hui environ 25 personnes s’activent pour la Pride Valais, dont autant de femmes que d’hommes, et au moins un tiers d’hétéros. «On ne veut pas faire une Pride organisée pour les LGBT*, on veut que tout le monde participe et s’amuse», explique Yannick. Pour atteindre ce but, et pour toucher toute la longue vallée du Rhône, les acteurs culturels du canton ont été invités à organiser un événement sur la thématique durant l’année à venir. Selon Sébastien, à qui un ami apporte une raclette, il n’y aurait pas d’obstacle non plus à organiser des événements LGBT* dans les vallées latérales: «Vu de l’extérieur, on voit cela comme une muraille de Chine infranchissable, mais c’est pas ça. On imagine une sortie à ski avec nos drapeaux multicolores par exemple.» Les Haut-Valaisans sont aussi invités à participer, mais la culture de Pride itinérante n’existe pas en Suisse alémanique. Une nouvelle association homo, SchwuLeOB, a été fondée à Viège en juin 2013. La première date de cette Pride off a été le 20 juin, au Théâtre Interface de Sion, avec la projection du film La Parade de Lionel Baier.
«On a une montagne d’idées, maintenant il nous faut les canaliser et définir ce qui est faisable, dit Sébastien. On est tous bénévoles et on bosse à côté. Ce qui nous manque, c’est du temps!» Dans une année, ce sont 150 volontaires qui se dévoueront pour que la fête soit belle et qu’avec eux nous disions: «Coucou, on est bien tous ensemble!»
> La page Facebook de la Pride 2015
Coming out last minute
Yannick et Sébastien nous livrent in extremis la thématique de la Pride Valais/Wallis 2015: la visibilité de la communauté LGBT* en Valais et le coming out. Leur slogan: «J’ai quelque chose à vous dire j’aime… le Valais» fais référence aux mots souvent prononcés par un jeune adulte qui annonce à ses proches son homosexualité. Sauf que son amour il le déclare au Valais, avec le désir d’en donner une image positive et ouverte: «C’est une réaction aux dernières votations (LAT/Lex Weber) et aux scandales médiatiques comme les affaires Giroud et Cleusix, qui éclaboussent notre canton», explique Yannick. Rappelons que l’encaveur Dominique Giroud, proche des milieux d’Ecône, était un des principaux opposants de la dernière parade valaisanne de 2001.