Le principe qui fédère la grande majorité des amateurs de pratiques BDSM dans leurs activités parascolaires, le « sain, sécuritaire et consenti », est clair comme de l’eau de roche : durant une interaction de pouvoir érotique, la personne soumise peut à tout moment mettre fin (ou ralentir) l’activité en cours, en recourant à un droit de veto.
Le mot veto, qui vient du latin, signifie littéralement « Je m’oppose ». Il est utilisé pour indiquer qu’une personne « a le droit d’arrêter unilatéralement une décision commune ». Les anglophones parlent de « safeword », en y ajoutant une dimension de sécurité plus explicite.
Le principe du droit de veto constitue l’un des deux piliers qui distinguent l’interaction de pouvoir saine de l’abus, l’autre étant le consentement initial ET continu.
L’exercice du droit de veto
Pourtant, la chose est connue : une personne soumise éprouve plus souvent qu’autrement de la difficulté à exercer son droit de veto, que ce soit sous la forme d’un mot comme « jaune » (pour ralentir l’activité en cours), « rouge » (pour la faire cesser) ou « non ». Plusieurs autres mots et expressions sont envisageables, du genre « ça suffit! »
Je ne parle pas ici d’une activité à laquelle la personne soumise ne veut pas participer.
Je parle ici d’un moment où la personne soumise veut participer de son plein gré. Elle consent à participer, mais elle ne sait pas, ou ne veut pas, reconnaître une ou plusieurs de ses limites liées à cette pratique, et les exprimer sur le champ, voire avant.
Remarquez, il est possible que la personne ne connaisse pas ses limites. Ce qui serait susceptible de l’entraîner dans une zone où elle ne sait pas, au moment où les événements ont lieu, qu’elle n’est pas bien, que ses indicateurs vitaux sont dans le rouge et qu’elle découvrira après coup.
Remarquez (bis), il est possible que la personne dominante refuse, ou déconseille fortement, à la personne soumise l’usage d’un droit de veto. Ce sont des jeux pour grimpeurs et grimpeuses expérimenté.e.s.
L’inconfort du veto
C’est étonnant, tout de même : elle veut la certitude de pouvoir bénéficier d’un droit de veto, la soumise, tout en souhaitant ne pas en avoir besoin. (Sur ce point, je me demande soudainement si les soumis se comportent pareillement sur ce plan.) Elle veut pouvoir exprimer son consentement à tout moment, du moins théoriquement. Or, si la soumise recourt au veto, elle risque fort de voir ça comme un échec de sa part, comme si elle n’était pas une bonne soumise. Utiliser son droit de veto voudrait alors dire dans son esprit qu’elle n’est pas « à la hauteur ».
La personne dominante risque également de considérer l’expression d’un veto comme un échec de son pouvoir. Ou encore que la personne soumise n’est pas une bonne soumise.
Enfin, il y a les cas de gens se disant incapables de dire « non » à une demande, ou de faire marche arrière après avoir dit « oui »… ou « peut-être ». Ces figures de cas demandent un article en soi.
Exprimer une limite
Avoir une limite, c’est légitime, Monsieur Madame Parfaite. C’est même ce qu’il y a de plus sain.
Ne pas exprimer ou ne pas savoir exprimer une limite fait en sorte que le consentement se retrouve tout à coup à battre de l’aile, parce qu’une information cruciale n’est pas divulguée.
Pourquoi? Pour bien paraître, la soumise consent à une activité qui risque de finir par lui déplaire, ou dont l’intensité ou les modalités vont finir par lui déplaire, ou même qu’elles lui déplaisent déjà. Ce consentement devient plus flou, sinon factice, la soumise ayant plus peur des conséquences que peut entraîner son veto que les désagréments de l’activité en cours.
Comme si sur le coup, elle voulait sauver sa peau, la pôvre brebis…
Dans ces situations, c’est souvent plus tard que les choses se gâtent. Quelques heures ou… mois après, quand ce n’est pas plusieurs années plus tard.
La personne dominante peut alors se retrouver devant de mauvaises surprises. Elle se fait alors dire qu’elle n’a pas pu, ou pas su, mettre fin à l’activité en cours. Qu’elle aurait dû voir, tous les bons Maîtres le voient, les vraies Maîtresses savent ces choses, voyons, que la personne soumise n’allait pas tout à fait bien, qu’elle n’était pas vraiment d’accord, qu’elle…
J’ai le sentiment d’entendre cette difficulté à d’abord dire « non », dans les nombreux témoignages de femmes publiés un peu partout dans la livrée des mouvements de libération de la parole dans les espaces publics.
Une manière de dire « non »?
- Greg et Goscinny dans ‘Achille Talon’…
- … de Jean-Daniel Verhaeghe (1975)
Il se trouve des gens qui évoquent la manière de dire « non ». Ainsi, il y aurait des manières acceptables de dire « non » et des manières inacceptables.
Le contexte joue évidemment beaucoup ici. Sinon quoi, tout dépend de la manière? Il existerait une « manière soumise » de dire « non »? Sérieusement? N’est-ce pas plutôt ce que la personne a à dire ici qui importe, et non pas la manière?
On sait que ledit « non » est difficile à prononcer par la personne soumise. Par orgueil, vanité, bravoure, défi, goût du risque et tutti.
Parfois, le « non » va sortir parfois dans un questionnaire de limites et désirs, par exemple. Mais pas toujours.
En public, la pression sociale est forte. La personne soumise va parfois accepter une situation ou une activité qu’elle n’accepterait pas autrement.
Cela dit, en cours de jeu, quand il sort le « non », il sort. Et pas toujours comme on le souhaiterait. Pour en avoir reçu quelques-uns dans ma vie de ces « non » prononcés par une soumise, pour avoir été témoin de situations où la personne soumise a lancé un « non » à la personne dominante, je cherche dans mes souvenirs ce qui peut bien s’apparenter à un « non » dit d’une « manière soumise »…
Quand un « non » est un « non »
Bon, déjà, sur le coup, on sait qu’un « non » c’est un « non ». On va laisser faire les « un non, c’est un oui » et « un oui, c’est un non » qu’avait osé lancé le premier ministre canadien Pierre-Elliott Trudeau, en 1980, lors du premier référendum québécois. Ou comment mêler les pinceaux de tout le monde.
Ici, y’a pas de sémantique possible. Que ce soit avant, pendant, après toute interaction de pouvoir : un non, c’est un non.
Après ça, les significations de ce « non », les justifications, les non-dits, tout ça est une autre paire de manches. Le « non Maître » doit certainement être aussi riche que le « oui Maître ».
Parfois, dans le feu de l’action, le « non » se transforme en jurons ou en cris, en pleurs ou en accusations, en mouvements de recul ou de silence, voire en claques sur la gueule… bref, tout ce qui peut émerger d’une personne qui se soumet, quand on la pousse un peu le moindrement dans ses retranchements, oh juste oune piccolo…
Lors d’une séance BDSM intense et inspirée, l’exposition en direct des paradoxes d’une personne, l’exhibition de sa vulnérabilité et de ses failles au vu et au su, ce n’est pas toujours beau, chic, mesuré, policé ou calibré… bien au contraire…
C’est ce qui me fait croire que la manière se fait souvent malmener dans un rapport érotique de pouvoir… Je crains un tantinet pour une « manière soumise » de dire « non »… :- ))
Autrement, la vanité de la personne dominante risque de se prendre des rougeurs…
Voir Dire non, une discussion dans le groupe cercle O dans Fetlife. Voir aussi Le consentement, c’est pour les autres?
L’article De la difficulté à dire « non » ou le droit de veto non utilisé est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.