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Salope. C’est fou comme on s’habitue à entendre ce mot très tôt dans notre vie. “Salope” est une insulte qu’on vous a déjà peut-être adressé, ou alors vous l’avez entendu (ou même énoncé) à propos d’une autre femme, ou entendu, lu, chanté sous diverses formes. Cette insulte fait partie d’une réalité quotidienne sexiste qui a été bien intégrée. Qu’est-ce qu’être une salope finalement ?Dans son livre Toutes des salopes, Adeline Anfray revient sur l’histoire et le sens de cette insulte et nous propose de réfléchir à une réappropriation féministe du mot.… Lire la suite
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Les réseaux sociaux raffolent des chats. Surtout quand les chats se conduisent en femelles : quand ils se lèchent avec impudeur, privatisent le canapé ou exigent des caresses, ils incarnent si parfaitement les valeurs de l'égoïsme féminin que… Les voilà instrumentalisés au service d'une querelle virale.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. En 2012, seize étudiantes de l’Université de Duke créent un Tumblr sur lequel hommes et femmes sont invités à poster un selfie avec une pancarte commençant par la phrase «J’ai besoin du féminisme parce que…». Officiellement, ce Tumblr vise «à mettre un terme aux clichés et aux idées fausses sur le mouvement féministe.» Manque de pot, certaines participations confirment les pires des préjugés concernant le féminisme.
Sur une des photos (ci-dessous), une jeune fille à l’air décidé affirme que «l’égalité, ce n’est pas suffisant».
Elle veut le «contrôle». Le contrôle de quoi ? Du monde ?
Sur une autre photo, un brave garçon explique qu’il «participe sans le savoir à la culture du viol». Sous-entendu : naître avec un pénis fait de moi un criminel.
Certaines participantes affirment avoir besoin du féminisme afin qu’on cesse de les regarder : «Il faut que le viol par le regard stoppe», explique celle-ci.
Le concept de «viol par le regard» fait mouche : «Les hommes peuvent violer sans même lever la main sur une femme», se plaint cette autre, par allusion peut-être à l’étonnant pouvoir du cerveau humain. Il est capable d’imaginer. Le féminisme pourrait-il empêcher cela ?
Retour de bâton : «femmes contre le féminisme»
Dès 2013 – en réponse à cette campagne –, un Tumblr de «Femmes contre le féminisme» voit le jour : des centaines de femmes y postent des selfies avec une pancarte commençant par la phrase «Je n’ai pas besoin du féminisme parce que…». La campagne prend une ampleur telle que la page Facebook du Tumblr compte plus de 21 800 mentions «j’aime». Le hashtag #Womenagainstfeminism sur Twitter compte quant à lui plus de 177 000 adhérentes (1).
Qui sont les «anti-féministes» ?
Héloïse Michaud, doctorante en sciences politiques, se met à l’étudier : pour quelles raisons les Américaines se désolidarisent-elles du mouvement ? Dans un chapitre du livre Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui (publié en mars 2019 aux éditions Puf), la chercheuse expose les résultats de son enquête. Tout d’abord, note-t-elle, la majorité de ces femmes ont moins de 35 ans, sont blanches et rejettent le féminisme soit « à cause du stigma social associé au terme», soit parce qu’elles le pensent dépassé, «l’égalité étant désormais perçue comme acquise».
Quels sont les arguments des «anti-féministes» ?
Quels sont les arguments développés par ces femmes ? Héloïse Michaud les classe en 12 catégories, parmi lesquelles, pêle-mêle, on trouve :
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je ne suis pas une victime»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que la notion d’empowerment sous-entend que je suis foncièrement fragile»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je n’ai pas besoin de diaboliser les hommes ; parce que je refuse de me sentir “plus forte” en jouant les victimes ; parce qu’être une femme n’est pas un désavantage ; parce que respecter mon époux en tant que (?) dans notre couple ne fait pas de moi une sous-femme.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que le féminisme veut faire des hommes nos ennemis, mais les hommes ne sont pas nos ennemis, ce sont nos amis»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que le féminisme renforce la dichotomie hommes-agents / femmes-victimes.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que j’aime qu’on me complimente sur mon corps»
La réponse aux “anti-féministes”
La réponse ne se fait pas attendre : immédiatement, quantité d’expert-es protestent que ces malheureuses n’ont rien compris au féminisme, car le féminisme, répètent-ils-elles, est un mouvement pour l’égalité (donc pour l’entente harmonieuse entre les êtres) autant que pour le libre-choix (d’être mère au foyer OU chef d’entreprise, d’être sexy OU PAS). Conclusion : ces femmes qui se disent anti-féministes sont vraiment trop bêtes. Puisqu’elles sont les premières bénéficiaires du mouvement.
Elles sont bêtes, ignorantes et profiteuses
Elles sont si bêtes que cela donne l’idée au bloggeur féministe David Futrelle (2) de lancer un Tumblr intitulé “Les chats déboussolés par le féminisme” (Confused Cats about Feminism), dans lequel des chats affirment haut et fort qu’ils n’ont pas besoin du féminisme. Et pour cause, se moque David Futrelle : «ce sont juste des chats». Ils ne savent même pas de quoi ils parlent.
Ce qui donne :
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je suis pour l’oppression de TOUS les humains»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que j’ai besoin de thon. Où est le thon ? J’ai demandé du thon.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que ce n’est pas de la nourriture. C’est de la nourriture ? Dans ce cas, où est la nourriture ?»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je ne peux pas dormir dessus.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je suis dans ce sac de sport.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que j’aime quand un homme m’ouvre la porte afin que je puisse entrer. Puir sortir. Puis entrer. Et sortir. Et… entrer. Non, attendez, sortir, je veux sortir. Attendez, je veux entrer…»
«Je m’oppose au féminisme… parce que j’aime les boîtes et tout le monde sait que les féministes n’aiment pas les boîtes.»
«Tout ce dont j’ai besoin c’est d’un cul chaud… et je l’ai déjà.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que j’aime être soumise au lit.»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que je suis un chat d’intérieur. Pourquoi me préoccuperai-je du monde extérieur ?»
«Je n’ai pas besoin du féminisme… parce que les hommes me réservent toujours la meilleure place.»
Dialogue de sourds par Tumblr interposés
Les réponses des féministes sont drôles. Mais sont-elles pertinentes ? Alors que certaines femmes critiquent les orientations du mouvement, on leur reproche de n’avoir pas compris le baBA du féminisme. Le problème c’est que les “anti-féministes“ adhèrent aux idéaux du féminisme. L’égalité ? Elles sont pour. La liberté de choix ? Aussi. Leur compte Twitter précise d’ailleurs : «Nous condamnons les comportements féministes toxiques, et non pas les principes tels qu’idéalement définis dans le dictionnaire.» C’est sur la question des dérives (radicalisme, dogmatisme identitaire, non-mixité, etc) qu’elles aimeraient participer au débat. Mais le débat n’a pas lieu. La faute aux chats ? Non.
La faute au manichéisme : si tu n’es pas pour, c’est que tu es contre
La faute au système des catégories. Pour la chercheuse Héloïse Michaud, le problème certainement se trouve là : dans «la non-prise en compte d’une “zone grise” du féminisme», forçant certaines femmes à s’identifier «au label “antiféministe” par opposition (binaire) au féminisme, en l’absence d’autres termes.» De fait, les Women against feminism ne devraient pas être mentionnées dans l’ouvrage Antifémininismes d’hier et d’aujourd’hui. Il s’agit bien d’un contre-sens, confirme Héloïse Michaud. Elle cite la journaliste américaine Cathy Young, pour qui le mouvement des femmes contre le féminisme «engage des réflexions pertinentes sur l’état du féminisme au XXIe siècle en Occident – des questions que nous devons traiter si nous voulons continuer à progresser vers une véritable égalité de genre.»
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A LIRE : Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, dirigé par Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, PUF, mars 2019.
NOTES(1) Ce chiffre daté de mai 2017 est fourni par la chercheuse Héloïse Michaud. Source : «“Parce que mon copain me traite bien”. Étude du tumblr “Women against feminism”», d’Héloïse Michaud, Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, dirigé par Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, PUF, mars 2019.
(2) David Futrelle est le créateur du blog «We hunted the mammoth” consacré à la chasse aux obscurantismes misogynes : il s’y moque joyeusement des incels, des masculinistes, etc.