Nous sommes en 1996 à Zurich. C’est dans la métropole helvétique qu’une poignée d’homosexuels décident de se lancer dans une aventure associative. L’idée? Créer une structure où pourront se retrouver des dirigeants de diverses entreprises et des décideurs. «Ce petit groupe de zurichois à l’origine de la création de Network ne se reconnaissaient pas forcement dans les associations LGBT de l’époque. Ils avaient envie de faire quelque chose, mais autrement», précise Etienne Francey, membre du comité.
«Dès l’origine, Network avait un double sens, ajoute Etienne Francey. A la fois, ses premiers membres avaient envie de convivialité dans dans un contexte où ils pouvaient s’épanouir, mais aussi de réaliser des actions politiques pour rendre les cadres gay plus visible dans la société et dans le milieu professionnel. L’association a par exemple publié une page entière dans la «NZZ» à la fin des années 1990 avec la photo des membres et une description de leur profession. Mais les choses ont bien évolué, continue-t-il. A l’heure actuelle, on peut être top manager ou avoir des visées politiques et être out. La Suisse romande est rentrée très tardivement dans le jeu, il y a de cela 7 ans avec la création d’une antenne à Lausanne, puis à Genève. Aujourd’hui, Network n’a plus, outre son pendant féminin LWork en Romandie et Wybernet en Suisse allemande, le monopole d’être une association LGBT à caractère professionnel. De nombreuses entreprises se sont mises à l’arc-en-ciel, multipliant les initiatives. «Cela fait partie globalement d’une prise de conscience des entreprises autour de la diversité et de l’inclusion. Cela correspond à un trend général», analyse Etienne Francey. «Aujourd’hui, on ressent que les sociétés ont besoin de parler de leurs initiatives, de les confronter à ce qui est fait par les autres. De montrer à l’externe ce qui est fait à l’interne.»
Cas pratique
A ce titre, le cas de la Poste Suisse est tout à fait pertinent. Créé à l’automne 2014, Rainbow est l’association LGBT du géant jaune et a décidé de sortir du bois à la dernière gay pride de Sion. L’initiative est venue de la base de l’entreprise et non du management ou des syndicats comme c’est le cas par exemple pour l’association Pink Rail (transports en commun). C’est en février 2015 qu’a eu lieu le lancement à l’interne, et en grande pompe, de Rainbow à la PostFinance Arena de Berne. Le succès a été au rendez-vous avec de nombreux participants dont la plus remarquée reste sans doute la directrice générale de ce groupe de 60’000 collaborateurs: Susanne Ruoff. Cette dernière profitera de l’occasion pour énoncer un plaidoyer en faveur de la diversité quelle qu’elle soit en précisant que s’il y avait le moindre problème avec l’acceptation des LGBT cela n’avait qu’à remonter jusqu’à elle.
«L’absence d’une structure comme Rainbow n’empêchait pas les salariés de travailler mais cela les empêchait d’être heureux au travail.»
«Il y avait un besoin d’une structure comme Rainbow à la Poste. Pas un énorme besoin, note Philippe Gachet responsable de la communication pour la Suisse romande. Cela n’empêchait pas les salariés de travailler mais cela les empêchait d’être heureux au travail. On sait très bien qu’un collaborateur ou un cadre est beaucoup plus efficace s’il peut être lui-même.» Ça c’est pour les paroles, mais comment cela se concrétise-t-il? «La Poste Suisse, PostFinance et Car Postal ont 2000 jeunes en formation sur 3 ou 4 ans. Ces jeunes doivent passer dans un centre de formation. L’un des centres dispose désormais d’une alliée à même d’aiguiller les apprentis qui sont éventuellement concernés par les questions LGBT, ajoute Philippe Gachet. 400 cadres dirigeants devraient également se voir remettre des recommandations pour gérer cette thématique. Il y a aussi un projet à Olten où les responsables ressources humaines vont être sensibilisés au sujet. En cas de succès, l’initiative sera étendue à tout le pays. Enfin, un autre pilote vise les jeunes. Des membres de Rainbow vont intervenir dans un module de formation.» Car il est nécessaire de le répéter. Les chiffres ont la vie dure quand il s’agit d’homosexualité et/ou de transidentité au travail.
Lors des Assises «La diversité au travail: un enrichissement mutuel», organisée à Genève en novembre 2014, une enquête nationale a été menée auprès de 1097 répondants par l’Institut d’études genre de l’UNIGE. «Il en est ressorti que lorsque les employé-e-s font état d’une discrimination en lien avec leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, dans 87 % des cas rien n’a été fait par l’entreprise pour résoudre le problème», relève Delphine Roux coordinatrice de la Fédération genevoise des associations LGBT qui a organisé l’événement. Un problème que va tenter de résoudre un guide de bonnes pratiques qui sera disponible d’ici au mois de juillet.
En réseau
Cette initiative sera enrichie par Pride at Work – Suisse Romande qui est un groupe de travail créé et développé par Network et LWork. Cette organisation qui a été lancée en novembre 2015 se présente comme un regroupement d’employé-e-s LGBT de Suisse Romande. Au sein de cette structure, on retrouve les activités sur la thématique de la diversité sexuelle d’entreprises comme La Poste, UBS et Crédit Suisse mais également Thomson-Reuters, Procter & Gamble ou encore Hotelplan, pour ne citer qu’elles. De grandes sociétés souvent à la pointe sur ces sujets. «Cette année, nous nous focalisons sur la mise en commun des bonnes pratiques et sur la visibilité de ces regroupements. Une conférence ouverte au public se tiendra d’ailleurs le 8 octobre à Lausanne» annonce Carine Landolt, l’une des responsables du projet. Reste à travailler pour que ces initiatives et les ressources qui y sont développées réussissent à inspirer tous les acteurs du tissu économique helvétique. Et notamment les PME.