La publication à intervalles rapprochés de Pourvu qu’elle soit rousse (mon premier roman) et Défense du poil (mon premier essai) m’a confronté, au fil des réactions engendrées par ces deux livres, à une embarrassante question : suis-je féministe ou bien macho ? A vue de nez, et au nom des quelques connaissances que j’ai de moi-même, je serais tenté de répondre « ni l’un ni l’autre », voire, en me mouillant un peu plus « un peu des deux », mais il semble que cette réponse ne satisfasse pas ceux qui me la posent. Je suis acculé à trancher, adopter un positionnement, m’y tenir, le défendre bec et ongle. C’est en tout cas ce dont m’informe dans son dernier mail une sympathique québécoise avec qui je corresponds depuis quelques mois et qui souhaite associer mon nom à une congrégation féministe : « Refuser de vous affirmer comme étant féministe, c’est être lâche, et je suis sûr que vous ne l’êtes pas, alors pourquoi nier que vous l’êtes ? »
D’une part, car je déteste les mots en –isme (féminisme, machisme, sectarisme, même combat), d’autre part car je tends à penser que le fait de refuser de tout considérer avec la même grille de lecture figée et donc dans une logique de positionnement antagoniste est précisément le choix du courage, car celui du questionnement perpétuel, et que les héros vertueux pétris de convictions et de valeurs brandies comme des étendards sont souvent des couards que le doute et la nuance effraient. A la question « féministe ou macho ? », je préfère donc laisser répondre les autres. Selon ma nouvelle amie québécoise, je suis féministe. C’est également l’avis de plusieurs autres lecteurs et lectrices de mes deux livres, se proclamant parfois eux-mêmes féministes. C’est enfin l’avis de plusieurs blogs, à la sensibilité féministe avérée, qui ont chroniqué ma Défense du poil, et dont on trouvera la liste dans la page consacrée à ce livre sur ce blog. Mais d’autres réactions m’ont enseigné le contraire. « Stéphane Rose est assez macho de base, il utilise des termes comme motte et touffe pour parler du pubis des femmes, c’est pas très respectueux » affirme un militant féministe (dont je partage par ailleurs bien des points de vue) sur un forum féministe. Une lectrice rousse de Pourvu qu’elle soit rousse m’a traité sur Facebook de « sale macho » et m’a avoué « avoir eu envie de vomir en lisant cette merde hétérocentrée», laquelle merde avait pourtant hérité de l’étiquette de « livre néo-féministe masculin » par une amie (féministe). Pourvu qu’elle soit rousse, pourtant qualifié de féministe par mon éditrice (à qui je fais un bisou au passage, Pauline, si tu me lis) m’a aussi valu d’être nommé dans la sélection du dernier Prix Trop Virilo, pendant déconnant et sympathique du Prix Fémina, voué à récompenser, je cite « la poussée littéraire de testotérone la plus vivace de l’année, qui doit sentir l’homme, l’aigre vestiaire de fin de match.» Un prix finalement décerné à Virginie Despentes pour Apocalypse Bébé !
Tout mon problème est là : je n’ai pas envie de choisir entre mes poussées de testostérone et les vues, certes féministes, sur le corps et la sexualité que j’ai pu défendre dans mes deux livres. Pas envie de choisir entre le combat que je mène à l’occasion contre l’asservissement sexuel des femmes par les hommes et l’envie de réduire quand ça me chante mon amoureuse à un objet sexuel (et « objet sexuel », c’est pour rester poli). Tout simplement car je ne considère pas ces deux intentions paradoxales, mais complémentaires l’une de l’autre. Choisir entre ce que me suggère mon cerveau et ce que m’ordonne ma bite, ce serait légitimer le clivage entre la maman et la putain qui colle aux femmes depuis toujours, quand j’estime (et Ô miracle, c’est une conviction) qu’il faut réconcilier les deux dans le même corps. Alors lâchez-moi les couilles, bande de gouines : je ne choisirai pas mon camp.