C’est en me remémorant cet article de 2014 où Hannah, une étudiante en sociologie, racontait son expérience vécue sur l’équivalent féminin de Vends-ton-slip.com que j’ai décidé de parler de ma propre expérience sur le plus gros site Francophone dédié à la revente de sous-vêtements souillés. À la différence d’Hannah, je traîne sur ce site depuis un an dans un but uniquement pécunier. J’ai besoin d’arrondir mes fins de mois et sans vous raconter la fin, ça marche plutôt bien.
Contrairement au schéma classique du bouche à oreille, l’idée de débuter mon petit commerce fétichiste ne m’est pas venu d’une connaissance ou d’un ami m’ayant parlé du site lors d’une soirée. C’était un truc qui me trottait dans la tête depuis un moment, n’ayant en général aucune barrière psychologique d’un point de vue sexuel. Par exemple, en terminale, je louais mon appart aux lascars de ma classe afin qu’ils puissent faire ce qu’ils avaient à faire sans avoir à passer par la case hôtel qui leur coûtait trop cher. Tous les moyens sont bons pour se faire un peu d’argent quand on est jeune. Certains préfèrent vendre de la beuh à la sauvette, d’autres leurs vieux slibards, tout simplement.
Les rudiments du métier
Une fois l’inscription terminée et après m’être vêtu de mon plus beau pseudonyme, je choisis ma « spécialité ». Comme je ne connais pas les spécificités du marché et que le site porte un nom ô combien évocateur, je me dirige tout naturellement vers la facilité : le slip. En face de moi, on retrouve grossièrement trois grands types d’acheteurs :
– Les amateurs de « slibards sales » et chaussettes « daubantes » : ce sont certainement les deux fétichismes les plus demandés sur le site. La dose de saleté varie selon l’envie du client, passant de la simple trace de pneu à des demandes plus scato.
– Les « yopeurs » : ils regroupent tous les mecs fans de préservatifs et de vêtements de tous types du moment qu’il sont souillés de sperme. Encore une fois, la demande et la quantité varient selon le client.
– Puis viennent les « autres » : compte tenu de la possibilité de pouvoir être contacté directement sur le site via son profil et non par le biais d’un objet directement comme sur Le Bon Coin, on peut s’attendre à recevoir toutes sortes de demandes bien précises n’ayant aucun rapport avec les sous-vêtements, qui vont de la vidéo personnalisée au pochon de poils de couilles.
Je checke avant les tarifs de mes collègues revendeurs et je m’aligne sur leur offre. A une petite différence près que je choisis de montrer ma petite mine à la place d’une profile pic de teub qui déshumanise complètement la démarche. Je mise tout là-dessus en espérant faire grimper ma valeur boursière.
Concrètement, il faut débourser une trentaine d’euros en moyenne pour un caleçon/boxer sale et une bonne vingtaine d’euros pour des chaussettes de cent ans (les amateurs de bonne bouffe comprendront). Toutes les autres demandes sont à estimer vous-même. Enfin, comme dans n’importe quelle négociation entre un vendeur et un client, il est préférable de surestimer au préalable le service que vous allez proposer.
Premiers contacts & guide du parfait vendeur
La première semaine est marquée par un long silence radio, troublé par quelques messages parfois teintés de gentillesse gratuite, tantôt assez déroutants mais néanmoins plutôt comiques :
Je découvre alors que laisser tous ces messages sans suite ne fera que desservir ma popularité sur le site et aura par conséquence un impact négatif sur le nombre de mes commandes. Comme sur n’importe quel autre site où sont mis en relation vendeurs et clients, votre compteur de fiabilité et la place que vous occupez dans les premières pages du site dépendent de votre taux de réponse. Plus vous répondez aux clients qui vous contactent, plus celui-ci est élevé. Je commence alors à me remonter les manches et à entamer des discussions avec tous mes potentiels acheteurs (excepté celui qui aimait souligner ma ressemblance avec un cannibale avéré). Je me lie presque d’amitié avec quelques-uns de mes interlocuteurs, comme ces pères de famille à la recherche d’une oreille attentive pour parler de leur petits secrets – sans personne pour les juger.
Avec le temps, mon rapport au client s’affine. Fini le redondant :
Oki, ça fera 50 euros
On passe à :
Hum, et bien je prendrai mes plus clairs, sélectionnés soigneusement. Puis je les porterai chacun une semaine non stop. Vue que je vis à Paris, dans le métro il fait chaud et c’est assez humide, donc le travail sera vite fait. J’éviterai au passage de me torcher trop convenablement le matin, genre “oups”.
Il faut savoir titiller l’imagination, prendre son temps, développer un désir profond envers l’objet qu’on propose au client. On sait dans quoi on s’engage, ce n’est pas simplement la vente d’une vieille Game Boy Color.
Je choisis de ne jamais procéder à des remises en main propre. Même si ce serait beaucoup moins contraignant, car beaucoup résident à Paris. C’est un choix personnel qui se base simplement sur le principe que je n’ai pas envie de mettre un visage sur la tête du client, compte tenu du fait que je ne tire aucun plaisir sexuel de mon commerce. Le désir et l’excitation restent donc totalement unilatéraux.
C’est pourquoi j’ai tout naturellement décliné l’offre de ce type qui, pas plus tard que la semaine dernière, voulait me payer 150 euros pour que je m’épile le maillot devant lui dans son studio au fin fond du XXème arrondissement. Il avait pourtant bien prévu son coup et pris soin de me mettre à l’aise, en m’envoyant des photos de son appart, une copie de sa carte d’identité, son numéro personnel. Mais rien n’y fait, je ne suis pas aussi vénal comme certains pourrait le penser en me lisant. Je peux également me permettre de refuser ces rencontres, j’ai une bonne dizaine de commandes potentielles chaque semaine.
Outre cette proposition anecdotique, j’ai reçu récemment l’une des demandes les plus intéressantes qu’il m’a été donné de recevoir jusqu’à maintenant. D’un point de vue financier, mais surtout sociologique :
Désolé pour l’utilisation outrancière de smiley content. Ce sont les lois du marché
Tout partait d’une classique commande de « cho7 daubantes », avant que mon client n’arrive subitement à me demander une panoplie complète des fringues que je porte tous les jours. Tout y passe, caleçon, écharpe, veste, pull, tee shirt, chaussette et paire de chaussures. Je n’y vois aucun problème, bien qu’il soit évidemment compliqué de pouvoir estimer une pareille demande. Mais le plus étonnant dans cette histoire c’est qu’au final il ne me demandait rien de salit mais simplement que mes vêtements aient l’odeur que je porte dans la vie quotidienne.
Je n’ai pour l’instant pas plus d’informations car la négociation est toujours en cours mais je suis extrêmement curieux de savoir si son but est de simplement renifler mes vêtements (et plus si affinités) ou alors de se mettre complètement dans ma peau, afin de pratiquer une sorte de jeu de rôle.
Évidemment, comme cela n’enfreint en aucun cas ma règle d’or sur la rencontre et qu’il me permet de découvrir de façon plus immersive le vaste champ du fétichisme, je peux d’ores et déjà vous annoncer que l’assortiment est prêt, plié soigneusement dans ma penderie, en attente d’envoi.
Un travail comme un autre
En dehors de ces demandes particulières qui tombent de temps en temps, je me suis fixé comme objectif d’envoyer au moins un slip par semaine, ce qui est déjà relativement compliqué à gérer. N’oublions pas qu’il faut d’abord les porter et en général au moins trois jours dans la semaine (avec une majoration de trois euros par jour porté).
Si vous pensez pouvoir réussir à entuber qui que ce soit en mentant sur ce que vous vendez, arrêtez tout de suite, ces mecs ont souvent un véritable radar à propreté implanté dans l’hémisphère droit de leur cerveau. Si vous essayez de les tromper sur la marchandise, ce sera directement la blacklist du site. J’en ai d’ailleurs fait les frais un fois en confondant lors de ma première commande un boxer Dim avec un Athena – les demandes du client étaient pourtant très claires. Je me traîne depuis une infernale note d’une étoile qui n’en finit plus de détruire la moyenne de mon profil. Cette première expérience m’avait d’ailleurs provoqué une remise en question quant à la dimension métaphysique de mes transactions.
Au-delà de l’aspect commercial classique, c’est une partie de moi que je donne, le fruit de ma création, mes selles interstellaires, le fruit humide des constellations de mon slip. Mais après rapide réflexion, pourquoi garder tous ces trésors pour moi, pour finir par les livrer, sans défenses, à la machine à laver ?
En attendant, je boucle mes fins de mois sans problème et étanche ma soif de curiosité tout en rendant service au monde tel un justicier de la culotte grivoise. Et je vous invite, amis étudiants et prolétariens, à suivre ma démarche.