Après avoir annulé le 28 janvier dernier l'interdiction aux -12 ans accolée à Nymphomaniac volume 1 estimant que le film devait être interdit aux -16 ans en raison des nombreuses scènes de sexe, le juge des référés du tribunal administratif de Paris – une nouvelle fois saisi par l'association Promouvoir au nom de la « défense de valeurs judéo-chrétiennes » - vient de censurer l'interdiction aux -16 ans attribuée par Aurélie Filippetti au second volet du film de Lars von Trier. Estimant que le visa de Nymphomaniac volume 2 devait être suspendu en tant qu’il n’interdit pas sa projection à tous les mineurs, le juge explique son choix en établissant la liste des scènes justifiant sa décision, en précisant toutefois que le film n'est pas pornographique :
« des scènes à caractère sadomasochiste, et, de façon générale, l’utilisation de la sexualité à des fins de manipulation » ;
« la présentation de scènes et d’images particulièrement crues relatant l’addiction sexuelle et l’évolution psychique d’une femme jusqu’à ses 50 ans » ;
« une scène de fellation non simulée pratiquée par l’héroïne sur un homme ligoté contre sa volonté » ;
« plusieurs scènes sadomasochistes montrant de façon insistante et particulièrement réaliste les blessures subies par l’héroïne, notamment sur ses parties intimes » ;
« une scène dans laquelle elle est victime de coups extrêmement violents au visage et au corps avant de se faire uriner dessus par l’une des protagonistes du film avec laquelle elle a entretenu une relation affective » ;
« plusieurs scènes de masturbation du personnage principal, dont l’une révèle de façon particulièrement crue les lésions physiques de l’héroïne sur ses parties intimes » ;
« de nombreux gros plans de sexes féminins et masculins, à l’état flaccide et en érection, notamment dans une scène évoquant la pédophilie pour l’une et le triolisme pour l’autre ».
Si le ministre de la Culture peut toujours former un recours contre l'ordonnance du 5 février 2014, Nymphomaniac volume 2 rejoint pour le moment « le club très fermé des films interdits aux moins de 18 ans » sans être classés X, tels Baise-moi (2000) de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Nine Songs (2004) de Michael Winterbottom, Ken Park (2004) de Larry Clark (interdit aux mineurs après une décision similaire du Conseil d’État), Quand L'Embryon part braconner (1966, interdit aux mineurs en 2007) de Koji Wakamatsu ou encore Il n'y a pas de rapport sexuel (2011) de Raphaël Siboni.
Après les tentatives ratées pour faire annuler la classification aux -16 ans des films Le Pornographe (2001) de Bertrand Bonello ou Antichrist (2009) de Lars von Trier, l'association Promouvoir renoue avec le succès depuis que le Conseil d’État a renvoyé la contestation des décisions ministérielles de classification des films devant le tribunal administratif (une décision rendue après le recours formé par Promouvoir contre le visa accordé au film Saw 3D, chapitre final (2010) de Kevin Greutert, interdit aux moins de 16 ans avec avertissement).
Si en France les décisions des juridictions sont généralement rendues collégialement, l'urgence et les circonstances peuvent autoriser un seul juge – le juge des référés Heu du tribunal administratif de Paris pour les films Nymphomaniac volumes 1 et 2 – à décider rapidement par voie d'ordonnance. Une situation du même ordre avait justifié la décision du juge des référés du Conseil d’État dans l'affaire Dieudonné le 9 janvier 2014.
Le fait qu'un juge unique soit appelé à se prononcer explique-t-il la censure successive des décisions du ministre de la Culture ? Difficile à dire même s'il semble qu'en réalité, s'appuyant sur la jurisprudence Ken Park, le juge administratif souhaite rappeler à l'ordre la Commission (et le ministre) après des décisions plutôt permissives qu'aucune association n'avait contestées devant la justice. On se souvient des scènes de sexe « réalistes » motivant une simple interdiction aux -12 ans pour le film La Vie d'Adèle (2013) d'Abdellatif Kechiche ou encore l'interdiction aux -16 ans accordée au film Clip (2012) de Maja Milos. Si à l'époque Promouvoir avait contesté les visas accordés à ces films, il y a fort à parier que la classification aurait été révisée par le juge. Si rien n'empêche encore aujourd'hui l'association d'agir en justice, il lui faudra désormais respecter la procédure normale, devant le tribunal administratif, puisqu'en l'absence d'urgence elle ne peut saisir le juge des référés.