Assise sagement sur la chaise de rotin qui crie comme un bébé chaque fois que je tortille un peu mon cul, j’écoute la pluie marteler la fenêtre sans relâche. Je pourrais sentir l’odeur de sa chatte à trois mètres… Au bord de l’abandon, ses paupières sont crispées et sa bouche figée entre le sourire et la grimace. C’est remarquable à quel point le plaisir peut défigurer, rendre à la fois difforme et sublime.
Son visage à lui, par contre, reste de marbre. Il n’arbore aucun signe d’émoi, mis à part une érection si ostentatoire qu’elle semble presque douloureuse. Les hommes ont cette habitude d’arborer leurs faiblesses et d’enfouir leurs vertus au plus profond d’eux-mêmes. Ou alors, serait-ce qu’il a trop vu de porn et s’est convaincu qu’un vrai mâle doit avoir l’air blasé au moment d’éjaculer?
Je ne devrais pas penser à de telles choses. Je ne devrais pas porter de jugement, car après tout, ils ont la générosité de me laisser regarder.
— Est-ce que je peux garder ma culotte? avait-elle demandé.
— Qu’est-ce que j’y gagne? lui avait-il répondu sèchement.
Évidemment, lorsqu’il s’est mis sérieusement à la baiser avec sa culotte simplement poussée sur le côté, j’ai compris que ce n’était pas par pudeur qu’elle avait formulé cette demande. Je suis certaine qu’elle voulait la garder pour moi, pour le spectacle, pour le scandale de ce tissu noir fendant sa chair et accentuant la rondeur de ses fesses.
«Ce qui me fait jouir, c’est le désir. Le spectacle du désir…» leur avais-je dit, quelques heures auparavant. Ça l’avait bien allumé et c’est pourquoi il avait accepté de m’inviter à assister à leurs ébats. Mais maintenant, il fait tout pour me cacher son désir. Ce n’est pas bien grave: sa respiration le trahit, même si elle est presque couverte par le son de la pluie.
Le désir est chose étrange et fort complexe. Comme un mécanisme d’horlogerie, il est un assemblage délicat d’une multitude de menus détails qui doivent être correctement arrangés pour que l’ensemble se mette en marche. Comme il serait simple si ce que nous voulions se résumait à baiser! Comme il serait simple s’il suffisait d’insérer un organe dans un autre! En réalité, nous voulons tous beaucoup, beaucoup plus. Chacun d’entre nous veut un arrangement particulier, unique à nous seuls, et nous voulons l’occuper comme un territoire, comme un souverain règne sur son royaume. Mais ce n’est pas tout: nous voulons aussi faire partie de l’arrangement de l’autre, voir nos failles et nos faiblesses sublimées par le feu de l’altérité de son désir. Le désir est une construction fragile qui peut s’effondrer à tout moment comme un château de cartes, au moindre regard déplacé, au moindre mot maladroit. Le fait qu’il puisse se déployer est en soi prodigieux; le fait qu’il soit si commun tient carrément du miracle.
Mon propre arrangement n’est pas particulièrement complexe, mais néanmoins difficile à obtenir. J’ai besoin de gens véritablement amoureux, de personnes qui ne simulent pas le désir – ou du moins, qui soient de si habiles comédiens qu’ils arrivent à me convaincre parfaitement de la sincérité de leurs élans. Croyez-moi, de telles créatures d’exception ne sont pas faciles à trouver – et lorsque je les trouve, je fais tout pour les garder. J’ai besoin d’être la témoin émue de la passion pour basculer moi-même dans l’orgasme.
Ils ont donc commencé par s’embrasser dans la pénombre de la chambre. Il m’a regardée furtivement, puis a soupiré quelque chose d’inintelligible en déboutonnant le chemisier de son amante. Elle a de petits seins dont les pointes sont roses comme le museau d’un chiot, si bien que je me suis demandé si elles sont froides et humides.
— N’est-ce pas qu’elle est belle? m’a-t-il lancé en souriant.
Elle a étiré le bras et a attrapé son amant par la nuque, ce qui l’a obligée à se cambrer et a eu pour effet de rendre sa poitrine encore plus magnifique. Le relief de ses côtes et les courbes sinueuses de son ventre étaient ciselés par l’ombre. Je voulais lui dire de ne pas le faire de tout cela un spectacle, une performance, mais je savais que je les vexerais si je le faisais. D’ailleurs, je savais par expérience que je n’avais qu’à être patiente, que le caractère inédit de ma présence finirait par s’émousser et que le naturel reviendrait au galop.
— Bien sûr. Elle est magnifique, ai-je répondu timidement.
Elle a attrapé le poignet de son amant et l’a forcé à glisser sa main sous l’élastique de sa culotte. J’ai entendu distinctement le bruit baveux qu’on fait les doigts lorsqu’ils se sont introduits dans sa chatte. J’ai aussi entendu aussi ses gémissements devenir un peu plus rauques lorsque ces doigts ont commencé à se mouvoir. Très vite, elle a écarté les jambes et s’est mise à tortiller ses fesses contre lui.
Puis est venue son odeur, le parfum doucereux de son désir qui s’est répandu discrètement dans l’air. Ce sont ces petits détails qui ne mentent pas, ces indices qui me confirment que je suis témoin de l’amour, que ce n’est pas de la frime, que j’ai eu raison de combattre ma timidité maladive pour prendre place à leur côté. Chaque fois qu’un tel miracle se produit, une réaction chimique se déclenche instantanément en moi, le sang se précipite à mes joues et vient fouetter ma peau et ma bouche est inondée de salive.
J’ai entendu ensuite le crissement des dents de métal d’une fermeture à glissière. Elle a glissé une main entre eux, elle a farfouillé, a ri nerveusement parce que le zipper coinçait. Le tableau idyllique a perdu un peu de sa grâce en gagnant du réalisme. Hélène a rampé sur le lit et a lancé dans ma direction :
— C’est maintenant à moi de dire «regarde comme il est beau», n’est-ce pas?
Et il l’est, indéniablement. Il s’est glissé hors de son t-shirt sous les applaudissements amusés d’Hélène, avant de faire valser son jean de l’autre côté de la chambre.
— Allez! Enlève-moi ce caleçon à la con! On veut la voir tout de suite! Montre-nous ta queue!
— Enlève ta culotte d’abord.
— Non! Je t’ai dit que je voulais la garder…
— Dans ce cas, ma bite va rester bien au chaud dans le coton.
Elle s’est mise à rire comme une gamine.
— Comment vas-tu alors t’y prendre pour me baiser?
Devant une logique aussi imparable, il n’a pas eu d’autre choix que de retirer ce dernier vêtement. J’ai entrevu sa queue avant qu’il ne se penche vers l’avant, avant qu’il ne saisisse la cheville d’Hélène et la tire vers lui sur le lit. Le sommier a grincé sous son poids lorsqu’il a pris place à côté d’elle et l’a embrassée, enfin, pour de vrai.
Je pouvais sentir ce baiser comme si j’étais un papillon pris au piège entre leurs lèvres. Déchirée par leur faim, réduite en charpie entre leurs crocs blancs et acérés, puis avalé goulument dans un coup de langue. Et je pouvais sentir sa queue brûler la paume de ma main lorsqu’elle a enroulé ses doigts autour de lui. Je n’étais plus que des gouttelettes sur son haleine, sur son souffle coupé au moment de la première caresse le long de son sexe. Le désir brûlait les fibres des muscles de mes cuisses quand j’ai regardé ses hanches se braquer, lorsqu’il s’est mis à aller et venir dans la main délicate de son amante.
— Comment veux-tu que je te baise? a-t-il demandé.
— Qu’est-ce qui te plairait?
— Mille manières feraient mon bonheur. C’est à toi de me dire laquelle.
Elle l’a embrassé à nouveau avant de lui répondre :
— Derrière. Je veux par-derrière.
— Tout de suite? a-t-il demandé, la voix soudainement plus grave d’une octave.
Il plaçait déjà deux oreillers au centre du lit lorsqu’elle a répondu :
— Tout de suite.
Hélène a grimpé sur les oreillers et, les jambes écartées et le cul relevé vers plafond, elle a blotti son visage dans les draps bleu de nuit. Quant à lui, tout ce que je pouvais voir, c’était silhouettes, de profil, en pause. J’essayais de deviner à quoi il pensait. Il devait savourer cette anticipation du moment où il se joindrait finalement à elle, où il s’introduirait dans cette part secrète de son être qui jamais ne connaît la sécheresse.
— Ne me fais pas attendre.
La voix d’Hélène se faisait presque enfantine. Elle a agité ses fesses sous le nez de son amant.
— Paul !
— Dis-le. Dis-moi ce que tu en as envie.
— Ha! Tu sais bien ce que je veux.
— Alors dis-le-moi.
Il s’est approché d’elle, s’est relevé un peu, puis a lentement glissé sa bite contre la raie de son cul toujours recouverte par la culotte.
— Paul ! Come on !
Un ton rauque d’impatience se glissait dans sa voix. N’en tenant aucunement compte, il a continué de la taquiner, de se frotter lentement contre le tissu de son unique vêtement.
— Écoute, je ne pense pas que j’ai envie de te baiser si tu portes cette crisse de culotte.
— Fuck ! Ferme ta gueule et baise-moi ! C’est tout ce que je demande !
C’est à ce moment qu’il s’est décidé, qu’il a glissé deux doigts sous le tissu, qu’il l’a poussé vers le côté et qu’il s’est glissé en elle, en une seule poussée. Immédiatement, elle s’est mise à soupirer. La mélopée qui a jailli de sa poitrine s’est tout de suite mise à écorcher mon corps.
Voilà où ils en sont. Et voilà où j’en suis.
J’essaie de calmer ma respiration, j’essaie de me faire aussi petite et invisible que possible, mais mon cœur bat la chamade et le sang martèle mes tympans de ses bruits sourds. Les muscles de mes cuisses se crispent, mon souffle est chiffonné en boule dans le poing serré d’Hélène, étranglé et emmêlé dans le drap qu’elle tord à chaque coup de boutoir. J’ai envie de crier. Je suffoque. Ma mâchoire est si serrée qu’elle me fait mal. Je me liquéfie, je tremble et je les sens, tous les deux, dans les fibres de ma chair. Je peux entendre leur respiration dans mon crâne. Je suis tétanisée, je crains que si je bouge ne serait-ce que d’un pouce, je serai balayée par l’orgasme et je ne suis pas certaine que je serai en mesure de le chevaucher en silence.
Heureusement, elle se met à jouir avant que je ne perde totalement forme humaine. Son corps se fige, son dos est voûté de façon obscène. Elle sanglote, à répétition. Et lui, crispé, il couvre son corps avec le sien, enroule un bras autour de la taille de son amante et la pénètre, une dernière fois, profondément. C’est à ce moment, à ce moment seulement, que l’agencement devient parfait : je n’ai qu’à glisser ma main entre mes cuisses et le miracle tant attendu se produit. Enfin.
Je les laisse reprendre leur souffle pendant que je reprends le mien, assise sagement sur la chaise de rotin qui crie comme un bébé chaque fois que je tortille un peu mon cul, en écoutant la pluie marteler la fenêtre sans relâche. Puis, en tâchant de ne pas faire de bruit, en me faisant aussi petite qu’une souris, je me lève et m’enfuis.
Ce n’est jamais une bonne idée de s’attarder une fois que c’est fini – je ne veux surtout pas brûler mes chances d’être invitée à nouveau.