En visite ensemble, de l'exposition Dora Maar à Beaubourg, nous lisons le vers de Paul Eluard affiché en exergue d'une photo, du temps déborde, le poème d'Eluard en deuil de sa muse Nush qui venait de décéder.
Dora Marr – Nush Eluard Le temps déborde , 1947 par Paul Eluard – Photographies Dora Maar & Man Ray. Ed° es Cahiers d’Art, Paris
« Nous ne vieillirons pas ensemble.
Voici le jour
En trop : le temps déborde.
Mon amour si léger prend le poids d’un supplice.»
Je reçois dans la nuit un message d'elle me remerciant de tout ce que je lui apporte. Le matin, nouveau message, me demandant cette fois un Break, résultat de sa relation triangulaire compliquée: son Mari, son Amant associé, l'Amoureux, Moi le libertin pour la folie légère et les balades culturelles à deux.
Nous nous écrivions tous les jours depuis un an, mes doigts sont trop habitués pour les en frustrer, je continue de lui écrire, mes doigts sont satisfaits mais je respecte son souhait en n'appuyant pas sur Envoi, messages silencieux pour silence imposé.
Il est temps de les exposer, les voici:
Premier jour sans vous écrire, sans vouloir de réponse pour tenir ma promesse. Message silencieux.
Que dire ?
Vous raconter l’Eclipse et ma main qui tétanisait à la recherche de la source de notre complice de trio ?
L’exposition magnifique sur le dos nu au musée Bourdelle ?
Voir la mythique robe de Mireille d’Arc dans Le grand blond.
Me ramener au décolleté de la jupe qui dévoile vos fesses, à notre séance d’essayage avant notre sortie libertine, à nos séances photos.
Plus je tente de nous oublier, plus nous sommes présents.
Tout passe dans ma tête, la compréhension, l’incompréhension, la lecture de vos messages, les mots non dits qui apparaissent.
Je vous perçois mieux, de plus en plus duale.
Vous n’avez pas répondu à ma réponse sur votre question concernant votre besoin de transgression. Je n’avais pas compris que ce n’était pas une question.
C’était un cri, une supplique de guérison.
J’ai répondu rationnellement à une prière, ce n’était pas une bonne réponse.
C’est en vous que vous la trouverez.
Vous êtes duale, c’est ce refus de la norme qui nous a fait entrer en résonnance.
Ce n’est pas des écarts de bon aloi, les 50 nuances de Gris des bons bohêmes bourgeois.
Ceux sont ceux de la liberté, de la lucidité, de la conscience.
Ceux d’oser rencontrer un inconnu dans la chambre 44, de l’hôtel Langlois en aveugle, sans l’avoir jamais vu. Baiser, le découvrir à la lumière, le suivre dans une
Cave fétichiste, danser et baiser entre un couple lesbien et un soumis, ne pas s’en étonner et adorer tant d’évidences.
Vous êtes une transgressive dans un monde conventionnel où l’on est amoureuse de son patron, mâle alpha qui vous aime comme un fou et affiche son amour légal et somptueux sur Instagram. Parce que l’image et l’autofiction sont devenues l'opium du peuple.
Cela vous culpabilise.
Je le comprends, cette culpabilité je l’ai, c’est pour cela que je n’ai jamais divorcé.
Me sentir coupable de mes excès, du ridicule de soirées folles, du dégoût que peuvent engendrer pour des gens normaux mes débordements.
Un jour, une amie chère qui a fait une analyse, a mangé avec ma femme et mes filles ; j’y étais.
Le soir, j’ai reçu un message disant;
« Mon dieu, on vous manipule par votre culpabilité, j’avais mal pour vous. «
A chaque départ pour mes libertés secrètes, un regard résigné comme une sacrifiée à l’autel de mon monstrueux égoïsme.
Je lutte, des amis proches quarantenaires, sont morts trop jeunes.
J’angoisse d’une vie qui serait passée à côté de mes désirs.
La mort m’habite souvent.
C’est Thanatos qui donne à Eros ce sentiment d’urgence.
Vous m’avez posé la question de savoir qui vous étiez pour moi et quelle était la nature de notre relation ?
Je vous ai répondu avec de jolis mots, c’était sincère mais incomplet.
Pirouette facile.
Je suis un pudique qui se cache dans l’expansion.
Je ne vous ai pas dit que vous étiez tout simplement celle que je cherchais.
Belle, Bobo et Lucide, Mon double, Charmante et folle,
Si sage en apparence et prodigieusement non conventionnelle dans cette société d’étiquettes.
Ni classique, ni libertine, ni fétichiste mais tout à la fois. Hors des cases, trop libre, trop large pour elles.
Nous sommes une pièce qui ne s’assemble pas au cadre, nous sommes hors-jeu.
Trop polychromes dans un monde monochrome.
J’ai rencontré en vous mon moi, j’ai pu dialoguer avec lui.
Voilà pourquoi nos échanges étaient des évidences sans attente.
On n’attend plus quand c’est arrivé.
Tout le monde attend Godot, c’est l’attente secrète de chacun.
Vous êtes mon Godot, vous êtes arrivée et depuis un an, je ne vous attends plus.
C’est merveilleux de ne plus attendre, de savoir qu’il y a cet autre moi et de pouvoir même si c’est très espacé, retrouver la complétude physique, quand celle morale ne vous quitte plus grâce à Hotmail.
Je ne vais pas envoyer ce message silencieux, je ne sais même pas s’il vous est destiné.
Il m’est destiné avant tout. Car toujours, en l’autre on cherche soit.
Je n’est pas un autre, C’est nous.
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Deuxième jour sans nous écrire. Où sont nos dizaines de messages journaliers ?
Vous êtes là, mes plaisirs de chair d’hier ne vous effacent pas.
Ils vous surlignent au contraire, je me remémore nos orgasmes, les jouissances que je reçois de vous.
Mes ébats intenses de ces dernières heures me paraissent bien fades face à nos classiques.
Je ne veux même pas penser à ceux fous.
Vous êtes du poivre des Indes, celui que l’on cherche au-delà du cap de Bonne Espérance pour rendre son quotidien épicé et exaltant.
Vous étiez dans le vrai en écrivant que notre relation n'est pas que sexuelle.
Ou plutôt, elle est hyper sexuelle car elle n’est pas que.
La science décrit un phénomène inimaginable, deux photons à les milliers de kilomètres sont connectés et imitent, l’un l’autre, leur état.
Aucune onde, rien n’explique cette connexion.
Aurais je trouvé mon photon ?
Et si les scientifiques cherchaient mal car ils cherchent dans des laboratoires ?
Nous l’avons trouvé dans un lit d’une chambre, hôtel Langlois.
Dans une cave rue Le Chapelais,
Dans un lit rue Amelot,
Dans les rues d’Arles,
Dans une cave rue Truffaut,
Dans les profondeurs de la rue Le Regrattier,
Dans une course de taxi parisien, trempés de nos désirs. J’ai découvert le livre extraordinaire d’une femme quittée.
Son regard lucide sur l’homme, l’amour, m’a bouleversé. Ses mots me parlaient, nous parlaient.
Je ne désirais que vous faire partager ce texte, la fulgurance de sa vision de l’amour. De la petitesse des petits amours.
Je m’imaginais vous le laisser dans ma boîte aux lettres. Vous dire de le chercher.
Vous étiez à côté de moi pour partager l’émotion d’une rencontre avec ses mots.
J’ai renoncé, pour respecter votre demande, j’avais annoncé le silence.
En lisant ce livre l’émotion m’a fait oublier que vous le désiriez.
Vous écrire que je suis là ?
Inutile,
C’est pour cela que vous n’êtes plus là.
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Troisième jour sans vos mots. Rien d’écrit aujourd’hui. Trop de choses à dire. L’émotion étouffe ma main.
M’endormir ,
Vous retrouver,
Me réveiller, vous perdre.
Je suis Orphée, je ne peux me retourner au risque à jamais de vous voir disparaître.
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Quatrième jour.
Ce matin, cet après-midi, ce soir. Comme tous les jours depuis la pause. Ma boîte mail est vide.
Et moi si plein de vous, je déborde, Nulle corbeille pour me vider.
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J’avais besoin d’un double.
Vous aviez besoin d’un dérivatif à un amour impossible.
L’impossible s’est réalisé, nous nous sommes trouvés.
Ce silence est impossible à vivre.
Je suis doublement amputé.
De vous et de nous.
Cul-de-jatte qui survit en faisant l’aumône de votre souvenir.
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Vous avez disparu en me laissant votre ombre silencieuse.
Je suis l’ombre de moi-même à force de trop l’étreindre sans rien attraper.
Cette ombre est couleur perte de lumière.
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Vous êtes tout,
Le tout pour le tout.
Nos silences me transforment, En rien du tout.
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Je suis passé rue Saint-Lazare,
Rue Le Chapelais,
Rue Amelot,
Rue Thérèse,
Rue Le Regrattier,
Rue le Sueur,
Rue Truffaut
De rue en rue,
Je refais notre Paris,
Mais le pari de l’apaisement, je l’ai perdu en vous perdant.
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Vos cris manquent à mes coussins.
Nos stigmates manquent à mes draps. Le linge immaculé est un désert d’ennui.
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La fenêtre est toujours ouverte.
Mais le Sacré Cœur ne dépasse plus de la ligne de vos fesses lors de nos levrettes.
Les communards avaient raison.
Cette église, construite en expiation d’une soif de liberté, est laide sans l’horizon de votre cul.
Votre révolte conjugale embellissait le laid de ma vie.
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La petite jeune m’envoie un message ; « Il y aura un avant et un après toi. »
Je désire un pendant avec vous.
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Mon téléphone ne vibre plus des deux coups des notifications de vos messages.
Il reste tristement muet.
Son silence est assourdissant.
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Cinquième jour.
J’ai l’impression de la traversée du désert. 40 jours sans manger et boire.
Les hébreux avaient dieu.
Je suis athée.
Aucune voix pour soulever ma fatigue.
Seul l’espoir mais l’espoir pour un pessimiste c’est un exploit que de le convoquer.
Décidément je ne suis pas sportif.
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Sur le trajet mes doigts ne peuvent se contenir d’écrire ce message qui ne sera pas envoyé.
Les voyages ont toujours une destination. La mienne m’éloigne de vous.
Vous sentir m’attendre rendait supportable l’exil. Respiration avant de replonger.
Nos instants étaient des matches qui nécessitaient un temps de récupération.
L’intermittence dans les coups de fouets pour ne pas être prévisible.
Pour fuir l’ennui, la banalité adultérine. Vous mordre la chair. Vous électriser de mes coups, tout oublier le temps d’être dans cette cave rue Truffaut.
Reboot de vies trop rapides, trop occupées, trop compliquées.
Vivre, mais vivre ivre.
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Maintenant Hotmail est plus rapide. Nos centaines de messages l’essoufflaient. Nous épuisions la technique.
Nos mots étaient plus forts que le virtuel.
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Il règne, dans les couloirs de l’étage de l’appartement, le silence triste de l’absence de vos orgasmes.
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J’ai gardé comme premier réflexe en saisissant mon téléphone, de regarder si vous m’aviez écris.
Les réflexes sont plus têtus que la raison. Ils vivent d’habitudes rassurantes.
Cela ne me rassure pas d’oublier que nous sommes en mode silencieux.
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J’étais heureux de vous rendre plus belle que votre beauté physique.
Plus heureuse que votre sourire.
Plus étincelante que vos yeux radieux.
Vous appeliez cela gazouiller comme le font les oiseaux, heureux au printemps.
Vos printemps étaient mes fêtes de Saint Jean.
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Dans ce silence de confessionnal, j’ai envie d’écrire que vous étiez importante pour moi.
Mais je ne peux me résoudre à l’emploi du passé.
Vous êtes importante pour moi. Voilà c’est dit.
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En vous perdant, je me suis trouvé.
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Vous avez agité les mots en moi comme la pulpe dans la célèbre publicité.
Je suis renversé.
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J’aime boire un verre de vin avec toi. Même du bio.
C’est dire que je suis autre avec toi.
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J’ai utilisé le tu !?
Peut-être parce que je me mets à nu.
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A l’instant même de ce dernier message silencieux, par deux fois le téléphone vibre, c'est un message d'elle.
Les messages silencieux cessèrent définitivement.