En matière d’indignité, d’abjection et d’ignominie, il y avait déjà eu
Belle et Bête de Marcela Iacub (Stock). Pour faire à peu près comprendre ce que j’en pense, il me faudrait plonger ici cette dame (bien profondément) dans les égouts de fange prévus pour elle, à cet effet, par ma plume la plus sentencieuse. Mais bon. L’échec commercial de son torchon suffit, non ? Pas nécessaire que je me fatigue, en plus, à déverser les seaux de mépris qu’elle est parvenue à m’inspirer, depuis sa petite merde de livre et la grande interview associée (dans le
Nouvel Obs). Sinon signaler au rédac chef de Libé (P., tu fais passer ?) que je n’ai plus jamais acheté leur
canard depuis qu’elle y écrit (avant, j’achetais Libé une fois de temps en temps). Comment un journal a-t-il pu confier la rédaction de sujets sur l’amour et le couple à l’icône de la duplicité, la papesse des grands calculs cyniques et des faux-semblants, capable de séduire froidement pour son petit scoop minable (et les avaloirs associés) ? Il est vrai que cette dame milite pour la légalisation de la prostitution – on pourrait presque dire qu’elle s’est engagée pour sa cause, si on confondait simple vénalité et cynisme absolu. Et à choisir, je me sens tellement solidaire de celles qui font payer cash, un ou deux billets à l’arrière d’une camionnette, sans piéger les hommes en se servant de la baise aussi sournoisement que lâchement pour préméditer de vendre un « truc » (ça m’écorche d’écrire : « livre ») sur le dos du pauvre type qui s'est bien fait baiser. Même sous forme de compte philosophique (compte philosophique cette histoire de cochon qui ne pense qu’à baiser ? « Mon cul, oui », pour répondre avec toute la classe que m’inspire cette dame). Quand on ne cherche qu’à racoler (le marché de la chair est bien juteux, si on n’est pas trop incommodé par les odeurs fétides de certains procédés), en séduisant cyniquement un type pour pouvoir le livrer en pâture à l’abattoir mondain (quel qu’il soit, d’ailleurs, DSK ou n’importe quel autre type – et quel que soit ce que DSK ait pu faire ou pas : personne n’a demandé à Iacub de faire justice), on ne mérite pas, je crois, mieux que ça.
Onfray (que j’adore) dit : je n’aime pas Sade et Bataille. Moi non plus (et je les ai lus), mais je compléterais, s’il me le permet : je n’aime pas Sade, Bataille et Iacub, les grands transformateurs de leurs partenaires en objets à piétiner pour assouvir leurs desseins. Beurk, ça me débecte.
Et qu’on ne me traite pas de « lyncheuse moralisatrice » : je crois sincèrement qu’on peut parler de sexe, de sexe « libéré » et librement, sans perdre tout sens de l’honneur. Iacub une « courageuse provocatrice » ? Pffff… alors vraiment, on touche le fond.
Toi aussi tu ne sais pas quoi faire pour avoir droit à ta toute petite notoriété ? Baise avec un mec connu et bidouille ton petit bouquin ! Alors oui bien sûr tu vas devoir te taper le type en question, mais pendant l’acte
‘tu fermes les yeux et tu penses au bon Dieu’, comme disaient les macs à leurs putes sur les trottoirs, à une certaine époque... Après, ton petit bouquin, tu peux le torcher tranquille : sa teneur en viande (estampillée au nom de ton pigeon, ça va de soi) suffira à assurer sa promo, et les fouilleurs de slips vont se régaler… Bon, DSK c’est fait, mais il y en a bien d’autres, des hommes que la première petite poufiasse venue pourrait piétiner en utilisant l’arme du cul…
Je racontais récemment à une chroniqueuse sexo la mésaventure racontée par un de mes amis, les larmes aux yeux d’avoir été si crédule : sur un célèbre site de « rencontres adultères », échange de coordonnées et propos assez chauds avec une fille, 35 ans, parisienne, jouant à merveille son rôle d’épouse désœuvrée, délaissée par son mari, rêvant d’ «évasion sensuelle» avec «un homme bien, respectueux»... Rendez-vous idyllique avec la comédienne, conclu par un premier baiser au moment de se quitter devant la station de métro, mon ami n’y voyant que du feu. Au second rendez-vous, plus question de séduction : photo du fameux baiser et copie des échanges sur le site à l’appui, 1500€ en cash à verser sur le champ, « faute de quoi ta femme risque de pleurer, en ouvrant son courrier »… (à partir du n° de téléphone, la demoiselle avait retrouvé le nom et l’adresse de son pigeon – qui l’a piteusement suivie jusqu’au distributeur du coin…
Je ne vois strictement aucune différence entre baiser un mec en ayant froidement prémédité d’en faire un bouquin, procédé dégueulasse (même blanchi par un éditeur de renom vantant l’intérêt supérieur de la littérature, mais bien sûr), et la petite arnaqueuse qui gagne un SMIC au chantage auprès d’un homme marié… Du pareil au même : la mesquinerie en action. Si, quand même : la médiatisation du premier procédé le rend plus abject.
C’est ça qu’on a fait du sexe, sérieusement, maintenant qu’on a la pilule, la liberté de baiser, les iPhone et les sites de rencontre ? Du cynisme et du chantage ? Franchement, on ne vaut pas mieux que nos parents...
Pour ma part (c’est un peu « moins pire » car les sentiments d’origine n’étaient pas feints) je n’oublierai jamais ce soir d’hiver, seule à Paris, où je me suis engouffrée dans le commissariat du 7
e arrondissement (il est souterrain, près des Invalides), pour aller déposer plainte contre un petit mec qui me faisait chanter avec des photos de moi en sous-vêtements (parce que je voulais le quitter, il n’était pas d’accord, et exigeait que l’on continue « au moins à coucher » (du reste, il était un très mauvais amant, je n'y trouvais aucun plaisir) - il était devenu super violent, incontrôlable, menaçait le grand déballage à ma famille, mes profs, photos placardées sur les murs de mon école, etc.). J’avais 17 ans, j’étais apeurée, extraordinairement seule, livide, incapable de cesser de pleurer, et avec toute mon immaturité de l’époque, il me semblait que ma vie s’arrêtait (qu’on se rassure : la vie s’est douloureusement chargée, plus tard, de m’apprendre qu’il y a des choses tellement plus graves que cela. Mais à l’époque et sur le coup… l’horreur). Je me revois encore dans le bureau du flic, tremblant comme une feuille, expliquer entre mes sanglots désespérés que le maître-chanteur était mon petit copain, que je l’avais laissé faire les photos parce que j’étais amoureuse, tout simplement, que j’avais toute confiance en lui… Le plus dur, en fait, n’était pas tant l’idée que mes photos soient diffusées à mes proches (il était devenu tellement malade que je le sentais parfaitement capable de le faire), mais le fait que les souvenirs enchantés avec lui étaient, donc, à réévaluer au regard de cette menace. Ce qui avait été beau est soudain devenu hideux. Je me rappelle de la soirée « shooting », dans les éclats de rire, la complicité partagée, la tendresse, les baisers incessants, une impression superbe de vivre un moment fabuleux… et tout cela, il le piétinait pour le retourner contre moi, pour me faire chialer de peur et m’avilir. Juste parce que je souhaitais le quitter. N’étant par première dame, il n’aurait pas trouvé d’éditeur pour publier 320 pages sur mes petits travers et mes phrases malheureuses. Mais la démarche, l’esprit, l’ignominie me semblent strictement semblables.
[Pour info, il a fait HEC, aujourd’hui il est marié et il a un super job à Londres. On peut donc être très, très, très con et réussir. Le malheur, c’est d’ailleurs que c’est souvent lié.]
C’est comme ça : quand deux adultes partagent du désir, du sexe et de la complicité, il y a ceux (et celles) pour qui le désir partagé est, et restera toujours, un don, un partage, une belle chose. Et il y a ceux (et celles) qui seront capables, un jour, de s’en saisir comme une arme et de la retourner contre l’autre. Il y a des gens qui ont l’âme suffisamment noire pour être capable d’une telle bassesse. Tu t’es donné à moi dans toute ta fragilité, tu t’es foutu(e) à poil au propre et au figuré, tu signais en fait ta perte. Tu me quittes : très bien, je ne peux pas t’en empêcher, mais tu vas payer. Très cher.
J’ai déjà écrit ici que je m’interdis, par nature, tout jugement sur les choix des autres. Je n’ai rien, vraiment rien d’une donneuse de leçon. Je crois que chacun fait comme il peut, en fonction de ce qu’il ressent, en fonction de ce que la vie lui donne, de ce qu’elle lui reprend aussi, je crois que chacun cherche comme il le peut sa voie entre son envie de vivre et ses grandes douleurs enfouies, et que c'est assez dur. Je n’entre pas dans les catégories de ceux qui savent quoi dire, quoi penser, quoi espérer, qui théorisent les choses et assènent des jugements définitifs. J’ai un regard spontanément bienveillant sur les gens, et j’ai suffisamment de mal à conduire ma propre vie pour savoir que c’est dur pour nous tous, qu’on tâtonne avec plus ou moins de grâce, et qu’on fait bien ce qu’on peut pour « jouir sans faire de mal ni à toi ni à autrui ». Mais la mesquinerie entre (ex)amants, c’est vraiment ma ligne rouge.
Je suis (très) loin d’être moi-même irréprochable (mes amants le savent, malheureusement). J’ai été infidèle (à une époque où je promettais fidélité à mes compagnons), cruelle, j’ai fait souffrir inconsciemment, j’ai parfois manqué de douceur, j’ai laissé croire des choses ou pourrir des situations, enrôlée dans ma drôle de guerre (ma guerre pour le bonheur, l’intensité, la profondeur, ma guerre pour « vivre à fond » - car j’ai longtemps cru que tout cela était une conquête, une bataille). Mais je n’ai jamais fait usage de cette mesquinerie auprès des hommes qui m’ont aimée. Même ceux qui m’ont quittée, même ceux qui m’ont
mal, très mal quittée. Je n’ai jamais ne serait-ce que menacé d’appeler une épouse ou des proches, de dévoiler des écrits, des mails, des photos, fait chanter ou menacé de je ne sais quoi. C’est comme ça, j’ai mille défauts mais je ne fais définitivement pas partie des gens capables de flinguer (dans le dos) ceux qui les ont aimés. Même le fameux D. que j’ai aimé à en crever (
dont je parle longuement ici), j’ai parfois fantasmé l’idée de me venger (foutre en l’air son couple factice) pour le récupérer, ou au moins pourrir un peu sa vie, à défaut : qu’il souffre lui aussi, puisque moi j'étais à terre. Cent fois, en pensées, j’ai écrit à sa femme une lettre bien cruelle, ne lui épargnant aucun détail, et surtout pas le nombre incalculable de fois où son mari m’avait dit, dans mon lit et contre mon corps qu’il venait de baiser, qu’il allait la quitter, qu’il ne l’aimait plus, qu’il n’aimait que moi, qu’il ne pourrait plus jamais aimer que moi. Je ne l’ai jamais écrite, jamais envoyée, cette fameuse lettre, même si j’ai mis un temps infini à faire la paix avec le souvenir de cette passion, qui m’a littéralement laissée sur le carreau.
Peu de choses me rendent vraiment très fière, aujourd’hui, dans ma vie, mais ça oui. J’aurais pu sombrer dans cette mesquinerie dégueulasse de la vengeance. Mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai jamais fait du sexe une arme. Je n’ai jamais retourné le sexe contre aucun de mes amants. C’est mon orgueil, ma dignité d’amante.
Iacub, le petit connard de mes 17 ans et Trierweiler appartiennent à la même famille, au même clan des cyniques qui s’arrogent le droit de piétiner des gens avec qui ils ont baisé / qu’ils ont aimé.
Trois personnes qui contribuent à anéantir, en somme, tout ce qui fait que nous pensions nous êtres hissés à hauteur de civilisation. Pour la première, l’autre n’est qu’un simple objet qu'elle met au service de sa propre notoriété à elle. Pour les seconds, retour à la loi du Talion. Œil pour œil, dent pour dent (sans rapport avec l’expression prêtée par cette dame à son ex-amant Président). Si tu me quittes, tu vas le payer un prix infini. Compte sur moi pour te présenter l’addition, tu vas morfler.
Au moins le petit connard de mes 17 ans avait-il l’excuse de la jeunesse. Trierweiler n’aura pas l’excuse de l’humiliation – avec son tweet si vaniteux, « 1 partout » en termes d'humiliations publiques… Et dire que pendant un temps, elle fut censée nous représenter...
Voilà. Il y a des personnes avec qui on baise / partage / vit qui sont des hommes et des femmes. Et il y a des personnes avec qui on baise / partage / vit qui sont des experts-comptables, le flingue à la ceinture. Des experts-comptables qui n’hésiteront pas à tirer dans le dos, parce qu'ils ont une si haute opinion d’eux-mêmes qu’ils s’arrogeront le droit, si l'idylle se tarit, de faire lâchement justice à leur égo en flinguant leur anciens compagnons de lit.
Au fil d’une relation, pour toutes leurs fatales déceptions (ces gestes qui n’auraient pas reçu la réception qu’ils espéraient, ces discussions qui n’auraient pas permis d’avancer l’un vers l’autre, ces partages qui n’auraient jamais eu lieu parce qu’un des deux est pressé, a trop de boulot, tout ça, ne prend pas le temps pour l’autre, ces paroles parfois maladroites - mêmes prononcées sans penser à mal - ces usures du désir qu’on laisse s’insinuer, ces tromperies…), ils comptabilisent. Ils « enregistrent des provisions », comme on dit en compta. Ils ruminent leur haine et leur vengeance. L’heure des comptes va bientôt sonner, ils le savent, au fond. Le doigt n’est pas très loin de la gâchette, ils sont prêts.
L’amour d’expert-comptable laisse fatalement s’insinuer la terrible équation : ce que je donne à l’autre (mon temps, mon image, ou plus prosaïquement encore : l’accès à mon corps) = il ou elle ne le mérite pas, je me fais avoir. J’« investis » trop, j’« investis » à perte. Je « vaux mieux que ça ». Et la réponse à cette équation, pour un expert-comptable, c’est : « combien ? ». Combien il manque pour équilibrer ? Combien faut-il que tu me donnes en dédommagement, combien je dois recevoir en échange de ce que je n’ai pas reçu, en échange de ce qui n’est plus, combien je dois recevoir en compensation d'avoir été quitté(e) ? Dans le cas des couples mariés, c’est souvent une addition strictement financière. Parfois ça ne suffit pas : quand on n’est plus aimé, on ne veut laisser que des ruines. Alors je vais te faire souffrir en retour, le mal que je vais te faire va compenser celui que tu m’as fait (l’expert-comptable doit toujours équilibrer sa comptabilité, c’est le principe de l’actif / passif). Tu ne m’aimes plus, je vais te détruire.
C’est le Talion, le bon vieux Talion que tenait en horreur l’esprit des Lumières.Tout cela me donne la nausée. J’ai une autre idée de l’amour, du sexe, de l’honneur, et même simplement de la décence. Balancer les petits travers d’un homme (parce qu’elle n’en a aucun, elle, marquise irréprochable ?), qu’on connait, qu’on invente ou qu’on déforme parce qu’on a partagé son intimité, qui plus est quand cet homme est dans l’incapacité de s’en défendre, c’est immonde. Surtout que là, pour le peu que j’en ai entendu, elle lui met trois balles dans la tête. Peine de mort politique (le Talion, oui, c’est bien ça, œil pour œil…). Je trouve cela monstrueux. Ignoble. Immonde. Hideux.
Ma génération qui est si libre d’aimer et de baiser comme elle l’entend, a beaucoup de choses à réinventer, je crois : un certain romantisme, un désintéressement, un sens de l’honneur associé au désir et au sexe. Il y a des jours, comme ça, on se dit : on n’est vraiment pas aidés.