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La douleur vécue dans un rapport sexuel est souvent interprétée comme une douleur subie, comme une violence, une humiliation. Elle est jugée et condamnée. Une femme qui souffre est perçue comme une femme violée ; un homme qui accepte de se faire dominer est un homme qui renonce à sa virilité. Revendiquer le plaisir à souffrir c’est avouer, aux yeux de beaucoup, que l’on ne se respecte pas.
J’avais eu l’occasion lors d’une émission de Frédéric Taddei (Ce soir… ou jamais !) de répondre aux attaques d’un jeune philosophe qui accusait le porno avec véhémence, dénonçant l’image dégradante que celui-ci pouvait donner des femmes. J’avais répondu en lui souriant qu’il y avait une réelle jouissance à jouer les objets sexuels. Vivre le plaisir en remettant son corps entre les mains d’un autre est un jeu qui, s’il peut s’avérer dangereux, peut aussi s’avérer dangereusement… délicieux. Je suis maîtresse du maître que je choisis. Mon corps est l’objet à travers lequel je jouis ; je le prête, je l’orne, je l’étire, le partage, il est mon medium, et mon cerveau, source de mes choix, est avec ma chair, mon sexe, chaque centimètre carré de peau, le récepteur de ma jouissance.
Je vous pose la question: pourquoi la douleur dans la sexualité est-elle à ce point jugée ? Pourquoi rougit-on d’admettre que l’on aime être l’objet de l’autre ? Pourquoi un homme doit-il avoir honte de s’asservir à une femme, à un homme le temps d’un rapport sexuel ? Pourquoi une femme qui se donne à plusieurs hommes est-elle nécessairement considérée comme une trainée à la merci de mâles qui ne la respecteraient pas ? Pourquoi attribue-t-on forcément à une femme qui porte des marques sur son corps, le statut de femme battue, maltraitée , humiliée ?
La douleur noble
Nous n’émettons pas ce type de jugement lorsque nous voyons de grands sportifs s’entraîner avec passion, qu’ils soient hommes, femmes, enfants. Or, tous ceux qui s’adonnent à leur passion en font les frais. On ne devient pas bon guitariste sans se brûler les doigts, on ne devient pas boxeur sans encaisser des coups, on ne devient pas danseuse sans forcer son coup de pied. On n’atteint pas la perfection sans défier la nature. L’art est un bras d’honneur au monde tel qu’il est. Il le raye, le défigure, le transfigure, le sublime, le révèle dans une déchirure. L’homme se reproduit en pénétrant, la femme perd sa virginité dans le sang, l’enfant voit le monde dans les larmes. La pulsion de vie est intimement associée à la pulsion de mort. Vivre, c’est vivre une forme de violence. La véritable performance est l’élastique tendu à son extrême, la recherche de l’ultime limite , et c’est lorsque le point de rupture est atteint que l’homme devient sur-homme, que le sportif devient champion, que l’acte devient jouissance. Si tout le monde n’a pas cette aptitude à se sacrifier pour atteindre son but, nous pouvons aisément comprendre ceux qui le font, et nous les admirons justement pour cette force que nous soupçonnons enfouie en nous et en laquelle pourtant, en général nous renonçons.
Les marques-trophées
J’étais il y a quelques jours à un stage de pole-dance, discipline sportive à part entière qui, si elle est encore essentiellement connue en France à travers l’univers du strip-tease, est beaucoup plus un sport à rapprocher de la gymnastique que de la simple exhibition autour d’une barre. Je dois dire que j’ai été stupéfaite devant la persévérance et l’abnégation dont les autres élèves faisaient preuve. Des mamans, des danseuses, des “Madame tout le monde” toutes unies autour du même amour d’un sport où elles peuvent s’exprimer avec force, grâce et souplesse. Au fil des jours je voyais leurs jambes, leurs bras, leur dos se couvrir d’énormes hématomes, leur peau allant jusqu’à s’arracher sur leurs poignets, leurs cuisses, chaque zone de contact avec la pole métallique les brûlant dans l’effort. Pourtant aucune ne se plaignait. Certaines mêmes, observant les marques violacées noircissant leurs jambes, les exposaient en riant, les présentant comme des trophées, preuves de leur souffrance et par conséquent de leur plaisir à s’entrainer encore et toujours . “No pain, no gain”. (Pas de souffrance, pas de résultat) Elles auraient de nouveaux reproches de la part de leurs conjoints, des regards interrogateurs au bureau. Peu importe, elles s’en foutaient.
La douleur comme emprise, la marque comme signature
Si je me montrais plus douillette qu’elles, je ne les comprenais pas moins. Je me souvenais de cette scène tournée avec Rocco Siffredi quelques années auparavant. Il s’agissait d’une scène particulièrement forte axée sur un rapport de domination. Cliché classique de l’imagerie pornographique mais dont je ne me plaignais pas, étant adepte de ce type de rapport. J’avais reçu avec dévotion chacun de ses coups (fessées, claques) , marques brutales d’un rapport passionné où nous avions décidé de jouer le jeu jusqu’au bout, jusqu’à cette limite où plaisir et douleur se mêlent dans une démente alchimie. Le secret d’une telle dévotion ? La confiance et bien sûr, l’excitation. Entre un « action » et un « coupez », j’avais remis entre ses mains mon corps-offrande qui lui criait d’assouvir sa soif : fais de moi l’écho de tes désirs, écris sur mon corps, caresse ou blesse ma peau, qu’importe, je suis un livre vierge, noircis le.
Je me souviens de l’étreinte de ses doigts, empreintes bleutées alors laissées sur ma gorge. J’en tirais une évidente fierté. Je ne demande évidemment pas aux femmes battues de me comprendre. Il va s’en dire que ces mêmes marques ont pour elles un tout autre sens. Une fois de plus ce ne sont pas tant les actes mais le sens qu’on leur donne qui importe. Je ne célèbre pas la violence. Je n’encourage ni la méchanceté, ni la misogynie. (D’ailleurs, je trouve que penser les femmes comme des éternelles victimes est déjà en soi sexiste. Il existe des hommes maltraités, qui subissent des violences.) Ma démarche est de célébrer le choix, celui d’être libre, pleinement. Celui de vivre le plaisir jusqu’au dernier fil même si celui-ci mène à la folie. S’il est partagé, consenti, il ne devrait jamais, jamais être jugé.
La douleur comme lien
Revenons à cet exemple très représentatif du sport de haut niveau. Mon professeur, Prana, une jeune française, championne reconnue dans le monde de la pole-dance, m’avait envoyé une photo montrant une enfant gymnaste forçant son grand écart avec l’aide de son entraîneur. Le pied avant surélevé, elle grimaçait, les larmes coulant sur son visage, la douleur était palpable alors que le poids de son corps frêle l’attirait fatalement vers le sol. Méthode pouvant paraître barbare mais s’avérant efficace. Quand on veut progresser, l’effort s’accompagne d’une certaine douleur. En tant qu’ancienne élève de GRS mais surtout en tant que coach, Prana était rêveuse devant la beauté violente de cette image. Je savais à ce moment qu’elle ne voyait pas la souffrance d’un enfant ou le vice possible de la compétition, mais la dévotion d’une jeune sportive pour sa passion, accompagnée par celui qui était son guide, la voix combative de sa conscience. Il faut endurer la douleur devenir maître dans son art. Il faut la dompter, l’apprivoiser, la faire sienne, l’aimer. Elle est la condition pour se dépasser, il n’y a pas de limites sans douleur, pas d’épreuves sans effort, pas de réussite sans obstacle.
Si cette forme de douleur tend à déranger lorsqu’elle touche l’enfance, elle ne choque aucunement lorsqu’on parle d’adultes, plus encore lorsqu’il s’agit de sportifs de haut niveau ou de compétiteurs. C’est sous-estimer la volonté et la maturité de certains enfants pour qui il est absolument naturel de s’adonner à des activités où ils s’accompliront même s’il en coûte des bleus et des heures de travail acharné. Il faut croire que ce qui compte est la notion de choix. Si l’on est conscient de ses actes et que l’on les mène jusqu’au bout, alors après tout, où serait le problème ? (Il existe bien sûr de bonnes et de mauvaises douleurs. Forcer brutalement sans intelligence et connaissance du corps, de soi, de l’autre n’est pas recommandable. Mais ce qui m’intéresse ici est la volonté de l’individu et non la douleur en elle-même.)
Les hommes se cachent pour jouir
Le problème se pose néanmoins lorsque nous entrons dans le langage du sexe qu’il ait lieu dans la sphère publique ou la sphère privée. Une actrice porno, aussi intelligente soit-elle, demeure pour beaucoup une femme-objet incapable de désirer ou maîtriser sa condition. Exemple criant, suite à ma lettre ouverte postée ici : JP Brighelli, croyant me donner une réponse convaincante en réaction à mon article, ne trouve rien de plus pertinent que d’invoquer le syndrome de Stockholm dont je serais évidemment victime. A comprendre :
1. Il est impossible que l’on puisse vivre le porno sainement. On se ment forcément à soi-même, manipulé, exploité mentalement et physiquement (discours de nombre de féministes).
2. Quand bien même on le choisit, il est inconcevable que l’on puisse éprouver du plaisir à jouer des situations où l’on vit une forme de soumission. Cela revient à adorer son partenaire/tortionnaire et à nier sa dignité.
Il est des choses qui sont difficiles à expliquer. Nous avons tous plus de facilités à comprendre la personne qui vit une situation que nous avons déjà vécue. Le transfert que nous effectuons en nous identifiant à l’autre nous rend a priori plus tolérants. Mais la vraie tolérance est d’accepter, d’entendre quelqu’un vous dire : ce que toi tu détestes, moi j’en raffole ; parce que le fait de ne pas aimer quelque chose ne suffit pas à la définir comme mauvaise. (Je peux très bien dire « Je n’aime pas ce chanteur mais je reconnais que c’est un très bon artiste. ») Je ne parle pas au nom des autres femmes ni même au nom de mes collègues de travail. Chacune vit son métier en fonction de ses choix, ses goûts, ses aptitudes, son expérience et il est toujours regrettable d’entendre des témoignages de femmes exploitées, blessées, que ce soit dans le X ou ailleurs. C’est une triste réalité et je ne la nie pas. Je ne parle qu’en mon nom et j’ose espérer ne pas être la seule à pouvoir affirmer ceci : femme, homme, hétérosexuel, gay, transsexuel, peu importe. Notre sexualité nous est personnelle. Nous avons tous notre manière de jouir et pourtant beaucoup d’entre nous ne savent pas même comment vivre l’extase, trop apeurés par le jugement des autres, freinés par leur propre regard sur eux-mêmes.
Jouir d’un baiser, d’une caresse, d’un regard. Jouir d’une morsure, d’une main sur la gorge, d’un claquement de ceinture. Faut-il avoir honte ? Si vous pensez toujours que oui, alors dites-vous qu’il peut être bon d’avoir honte.