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Dans son petit cahier s’affiche une écriture bien appliquée. Pourtant, des dissertations, Virginia n’en a pas beaucoup rédigé dans sa jeunesse. A 16 ans, cette grande brune originaire de Salta, province très conservatrice du nord de l’Argentine, quitte l’école. «Dès 13 ans, j’ai commencé à me travestir, j’ai découvert très tôt ma sexualité. Et rapidement aussi, j’ai lâché les cours. Parce qu’on se moquait de moi et parce que je ne me sentais pas à ma place dans un système binaire où tout est divisé entre garçons et fille: les toilettes, les cours de sport, etc.», explique-t-elle.
Virginia commence alors à vivre dans la rue et à se prostituer, parce qu’elle n’a pas de formation, et «parce que c’est l’exemple que te montrent tes pairs». Un parcours assez classique chez les personnes transsexuelles en Argentine.
C’est pour leur donner une nouvelle chance professionnelle qu’est née fin 2011 une école originale: le «Bachillerato popular Mocha Celis», qui accueille aujourd’hui gratuitement une centaine d’élèves dans les anciens locaux d’une compagnie de chemin de fer du quartier de Chacarita, à Buenos Aires. «En tournant un documentaire, j’ai découvert cette réalité: 85 % des personnes trans n’avaient pas fini leurs études secondaires, et une grande majorité avait envie de les reprendre», conte le directeur et initiateur de l’école, Francisco Quiñones. «Au début, on a pensé les aider à retourner dans le système scolaire classique, mais elles risquaient de revivre les discriminations et moqueries vécues plus jeunes. Donc on a décidé de créer une école de toute pièce», poursuit-il.
80 % vivent au moins en partie de la prostitution
Le nom de l’institution, Mocha Celis, vient d’une travestie qui n’osait pas dire à ses amies qu’elle était analphabète, mais qui apprit peu à peu à lire et à écrire en prison, avant d’être assassinée dans les années 1990. «C’est l’histoire de beaucoup de personnes», souligne Francisco. L’espérance de vie des personnes trans se situe en effet autour de 35 ans en Argentine, du fait du sida, de la drogue, des violences de rue et de la répression policière. Et 80 % vivent au moins en partie de la prostitution.
Un vrai cursus
C’est encore le cas de beaucoup d’élèves du Bachillerato Mocha Celis, qui travaillent la nuit et dorment le matin. Les cours commencent donc l’après-midi. Au programme du cursus, qui dure trois ans: des cours de langue, d’histoire, de mathématique, mais aussi quelques matières plus originales, comme l’histoire du coopérativisme ou du militantisme trans.
A cela, s’ajoute un module d’insertion professionnelle, par exemple pour apprendre à rédiger un CV. En parallèle, l’école propose aussi des ateliers plus pratiques, cuisine, coiffure, massage, secrétariat ou communication. «Quand des élèves s’absentent, on les appelle, on voit si tout va bien, s’ils ont un problème», poursuit Francisco. Ecole et centre social, le Bachillerato popular offre une attention qui inclut un suivi sanitaire et administratif si besoin. Ici, tout le monde se connaît, et les portes sont ouvertes. Dans la cuisine, deux trans papotent avec une grand-mère. Car le cursus accueille aussi d’autres personnes qui souhaitent reprendre leurs études, notamment beaucoup de personnes âgées. «Pour nous, c’est intéressant de rencontrer des gens qui viennent d’ailleurs», souligne Virginia.
Objectif: l’université
D’autres partagent une cigarette ou un sandwich dans la toute nouvelle cafeteria. Les locaux viennent en effet d’être rafraîchis grâce à une aide de l’Etat. «Nous avons la chance d’être soutenus par un gouvernement sensible aux revendications des LGBT», remarque Luciano Ceva, le président de l’association. L’Argentine a en effet adopté ces dernières années deux lois avant-gardistes: le mariage gay a été légalisé en 2010, tout comme le droit au changement d’état civil sur simple demande en 2012. Jusqu’ici bénévoles, les vingt professeurs de l’école espèrent aussi être rémunérés cette année. Le ministère du Travail accompagne enfin l’association lors de tournées dans les quartiers et les hôtels où vivent les personnes trans, pour leur parler de l’école, qui s’agrandit peu à peu, avec une trentaine d’élèves par année. La première promotion devrait être diplômée fin 2014, recevant un titre équivalent à un baccalauréat technique. Ensuite, les élèves qui le souhaitent pourront s’inscrire à l’université. Virginia, déjà déléguée de sa classe, sait déjà ce qu’elle souhaite, faire du droit: pour défendre ses amies.