Deuxième long-métrage de Julia Ducournau après le vorace Grave en 2017, Titane s’est fait attendre sur les écrans français un peu plus longtemps que prévu, Covid-19 oblige. Pendant longtemps nous avons dû nous contenter d’un pitch énigmatique, avant que la victoire du film et de son équipe au festival de Cannes émoustille jusqu’à l’insupportable l’attente de le découvrir en salles. Fin juillet, accompagnée de mon pass sanitaire tout neuf et ayant esquivé critiques et spoilers, j’ai pu faire face à Titane sur grand écran l’œil frais.
Alexia (Agathe Rousselle) est une trentenaire qui vit encore chez son père (Bertrand Bonello) et travaille la nuit comme go-go dancer dans un showroom de voitures. Quand elle était enfant ils ont eu un accident de la route, qui l’a blessé au niveau de la tête et lui a valu un implant en titane dans le crâne. Depuis les deux ne se parlent pour ainsi dire pas, comme s’il y avait toujours une rancune mutuelle, et Alexia kiffe les voitures. Elle a embrassé celle dans laquelle son corps s’est brisé enfant, elle lèche et se frotte sur celle avec qui elle danse au boulot. Alexia ne semble kiffer que les voitures par ailleurs. Et tuer des gens, quoiqu’on ne sait pas si elle aime ça. Mais à un moment elle est obligée de fuir pour éviter d’être arrêtée par la police, et usurpe l’identité d’Adrien, un garçon disparu depuis dix ans, puis s’immisce dans la vie de son père Vincent (Vincent Lindon), un pompier dépressif et accro aux stéroïdes. Sauf qu’Alexia a un souci de taille à dissimuler, pire que son imposture, pire que sa cavale : elle est enceinte de la Cadillac sur laquelle elle a dansé.
Est-ce qu’une scène de sexe aussi bizarre qu’une femme et une voiture peut être excitante ? Nous savons tou·tes que si j’écris cet article la réponse est oui. Nul besoin de préciser que Titane empreinte beaucoup à Crash de David Cronenberg, réalisateur adoré de Julia Ducournau pour sa grammaire du body horror, sauf que le fantasme automobile est lu ici par une sociopathe uniquement attirée par les bagnoles. Elle ne s’intéresse pas aux hommes, tente de baiser avec sa collègue Justine (Garance Marillier) de façon maladroite, violente et zéro sensualité. Ce fantasme exclusif est exposé en ouverture du film, offrant la vue de la mécanique d’une voiture détaillée et moite de transpiration telle un corps humain, chaud et gorgé de fluides. Rien à voir avec les mécanophiles gênants sur Google – ne faites pas cette recherche, vraiment.
Et Agathe Rousselle est incroyable. Incandescente – littéralement par moments d’ailleurs – et entière, mutante, une présence à la fois agressive et vulnérable, le corps couvert de petits tatouages pas toujours très beaux (un de mes kifs personnels, ne me demandez pas pourquoi), sans oublier la side cut d’Alexia révélant la cicatrice de l’implant qui a changé sa vie sexuelle. Elle est belle même quand Alexia s’éclate le nez contre un lavabo pour coller aux traits d’Adrien disparu (la seule scène que j’ai vraiment eu du mal à regarder), et même quand elle massacre Justine et ses potes sans raison. Belle évidemment aussi quand elle go-go dance sur sa Cadillac de showroom, non pas pour ce qu’elle donne à voir aux clients mais la passion viscérale qui l’unit à son véhicule. Quand elle devient le Adrien retrouvé de Vincent son charisme se modifie, son corps évolue en zones troubles, mi-grand garçon mal pubère de fiction mi-mère en gestation d’un être à la fois attendu et redouté.
Venons en à la fameuse scène. Une nuit après avoir travaillé au showroom, et buté un client harceleur et agresseur, Alexia prend une douche. Elle est seule, au calme, jusqu’à ce qu’elle entende frapper lourdement à la porte des vestiaires. Quand elle ouvre pas de relous ou autre être malvenu, mais sa bien aimée Cadillac, pleins phares. Alexia s’avance nue et encore dégouttant d’eau vers elle.
Elle caresse et enlève tendrement le véhicule, avant de s’y glisser côté conductrice. Le véhicule se cabre et s’agite, et à l’intérieur Alexia les bras enroulés aux ceintures de sécurité rouges façon bondage crie son plaisir, avant de reprendre son souffle. Tout est dans la suggestion et une interprétation réaliste, ce qui rend cette brève scène excitante malgré sa bizarrerie. J’aurais apprécié plus d’explicite (est-ce le levier de vitesse ou autre chose?) mais je comprends les choix évidents de ne pas trop en montrer pour garder le film dans un relatif registre tout public (mais âgé de plus de 16 ans, scènes violentes oblige), et laisser toute sa place à l’imagination.