Il reste beaucoup de chemin à faire concernant la déconstruction de nos préjugés sur le viol. Ancrés dans des rapports de pouvoir légitimés par un système patriarcal, sortir de la culture du viol revient à combattre directement notre système. Cela s’annonce complexe, néanmoins il existe des pistes de réflexion qui ont le pouvoir d’initier un changement.
Cet article est le 3è de notre série d’articles sur la culture du viol. Il fait suite à l’article La culture du viol, une manifestation de la société patriarcale et Déconstruire les représentations sociales du viol, violeur et de la femme violée.
Comment lutter contre la culture du viol en quelques points
En Novembre 2019, l’ONU présente dans un rapport 16 façons de lutter activement contre la culture du viol. Valérie Rey-Robert ainsi que d’autres sociologues proposent également des pistes de réflexion. En voici quelques-unes :
Soutien et éducation
- Soutenir les victimes : une première piste, qui paraît assez évidente, serait de prendre en considération la parole des victimes : les écouter, les croire, les soutenir, leur donner de l’espace, les accompagner. Se centrer davantage sur leurs expériences et les orienter vers des structures à même de répondre à leurs besoins.
- Éduquer les personnes : une deuxième piste consisterait à créer une culture du consentement enthousiaste fondée principalement sur la communication. Apprendre à se détacher du romantisme, verbaliser nos envies, être à l’écoute des un-es et des autres et revoir notre définition de la galanterie, de la séduction.
“Il s’agirait de remettre au cœur de l’intimité émotionnelle et corporelle le fait que chacun.e puisse définir ses envies, ses attentes, ses temporalités, en discuter préalablement et extensivement, et acter quelles sont les pratiques sur lesquelles on se rejoint ou pas… Et refaire le point souvent !”
Juliet Drouar, 2021
Déconstruction et regard critique
- Déconstruire les rôles genrés très binaires : la culture du viol est alimentée par le maintien de rôles genrés binaires traditionnels. Il s’agirait ici de valoriser le désir sexuel des femmes tout en arrêtant de le juger, leur apprendre à prendre la parole et à s’opposer lors de désaccords, ainsi qu’à mettre en avant leur force plutôt que leur vulnérabilité.
En parallèle, les hommes cis devraient apprendre à écouter plus souvent, veiller à ce que leur désir ne passe pas au-dessus des autres, se confronter à leurs comportements problématiques, se questionner et se remettre en question. Sur le long terme, il importerait de dépasser les catégories hommes/femmes, catégories normatives et aliénantes, mais c’est un autre sujet que Monique Wittig développe en profondeur dans son ouvrage intitulé « La pensée straight ».
- Apporter un regard critique sur les œuvres qui mettent en valeur la culture du viol : films, livres, peintures … Et c’est d’ailleurs le travail que s’efforce de faire Valérie Rey-Robert sur son blog dans lequel elle analyse avec un regard critique plusieurs œuvres. Comme elle l’explique, se poser les bonnes questions est central : “Le point de vue de la victime est-il exposé ? Est-ce que la scène a un intérêt pour les personnages plutôt que pour l’intrigue ? Les conséquences émotionnelles sont-elles explorées et montrées ?” (Valéry Rey-Robert,2019)
Revoir nos façons de surveiller, punir et médiatiser
- Centrer plus les études sociologiques sur les violeurs dans le but d’affiner les campagnes contre le viol. Il est clair que nous ne sommes pas encore au stade d’accorder de la place aux études sur les violeurs quand on n’est même pas encore capable de véritablement proposer une prise en charge saine des victimes. Mais une fois ce premier objectif atteint, il serait intéressant d’essayer de comprendre plus en profondeur les mécanismes qui poussent les hommes à violer. Valérie Rey-Robert parle ici de l’insuffisance de la campagne “Non c’est non” car le problème du viol ne réside pas dans l’incompréhension du non mais dans l’acceptation de ce non dans le cadre des relations affectives et sexuelles. Par exemple, il serait pertinent de mener des campagnes de lutte contre le viol centrées sur le fait de comprendre un refus ou encore de mener des campagnes de luttes sur les violences faites aux personnes sexisées qui placent davantage la responsabilité du côté des violeurs.
- Revoir la manière dont les médias dépeignent les viols. Le traitement médiatique sur les viols perpétue les préjugés et représentations sur le viol. Le collectif de femmes journalistes “Prenons la Une” a rédigé une charte intitulé “Outils pour le traitement médiatique des violences contre les femmes” qui établit quelques recommandations pour permettre un traitement médiatique le plus juste possible. Par exemple, “ne plus utiliser les verbes “avouer” ou “reconnaître” lorsqu’on rapporte les déclarations d’une victime, car ils laissent croire à une culpabilité d’une victime ; éviter les précisions sur les vêtements, le physique ou les habitudes de vie qui induisent qu’elle peut être responsable de son agression; bannir les termes “crime passionnel” ou “drame familial” qui minimisent l’acte de l’agresseur en le considérant comme emporté par l’amour et la passion ; “traiter le meurtre conjugal et les violences sexuelles comme un fait de société” et non seulement comme des faits divers.” (Le collectif Prenons la Une, 2019)
- Revoir le système carcéral : le renforcement du système carcéral est souvent identifié comme potentielle solution face à la culture du viol, j’aimerais rapidement revenir sur ce point. Cet argument est présent dans l’article de l’ONU cité précédemment, mais aussi chez certaines féministes mettant l’accent sur l’importance d’endurcir les peines de prison ce qui conduirait à responsabiliser les violeurs. Face à cette argumentation, le féminisme anticarcéral souligne l’inaptitude du système carcéral à résoudre les problématiques sociétales, que ce soit le viol ou d’autres crimes. Endurcir les peines de prisons n’aurait pas d’effets directs sur la diminution de la criminalité. Ainsi, l’incarcération ne résout pas le problème sociétal du viol, elle agit en aval et ne s’attaque en rien aux racines du mal.
De plus, plusieurs études sociologiques ont démontré que le système carcéral actuel exacerbe encore plus les inégalités de genre, de classe et de race (Angela Davis, 2014). La sociologue Véronique Le Goaziou en témoigne, 90% des accusés de viols jugés aux assises sont issus des milieux populaires alors que les enquêtes démontrent bien que les violeurs sont issus de tous les milieux sociaux (Louise Fessard, 2011).
Cet article est le dernier de notre série de 3 articles abordant la culture du viol. Nous avons essayé de traiter globalement le sujet de la culture du viol, en montrant d’abord comment la culture du viol est une manifestation de la société patriarcale, puis en déconstruisant les représentations sociales et préjugés sur le viol, les violeurs et les femmes violées. Nous sommes bien conscientes que le sujet n’a été qu’effleuré et qu’il reste encore énormément d’aspects à traiter. Si vous souhaitez approfondir réellement ce thème, on vous laisse à disposition une grande bibliographie constituée de livres, podcasts, articles de presse etc. Ces supports répondront sans doute à vos questions les plus profondes.
Sources :
Rapport d’enquête de Mémoire traumatique et victimologie – IPSOS, “Les français.e.s et les représentations sur le viol et les violences sexuelles-vague 2- 2019 vs 2015”, Février 2019, Disponible sur : https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2019-06/2019-rapport_d_enquete_ipsos-web.pdf
Davis Angela, La prison est-elle obsolète ? Au Diable Vauvert, Paris, 2014, 154 p.
Douar Juliet, Sortir de l’hétérosexualité, Binge Audio Editions, Collection sur la table, Paris, 2021, 157p.
Rey-Robert Valérie, Une culture du viol à la française, Libertalia, Paris, 2019, 296 p.
Renard Noémie, En finir avec la culture du viol, Les Petits Matins, Paris, 2018, 185 p.
Wittig Monique, La pensée straight, Amsterdam, Paris, 1ère édition 2018, 200p.
Tuaillon Victoire, Les vrais hommes ne violent pas, Les couilles sur la table #37, Binge audio, 14 Mars 2019, 53 min, Disponible sur : https://www.binge.audio/les-vrais-hommes-ne-violent-pas/
Tuaillon Victoire, Qui sont les violeurs, Les couilles sur la table #18, Binge audio, 10 Mars 2018, 29 min, Disponible sur : https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/qui-sont-les-violeurs
Armand Paris, La culture du viol. Une légitimation sociale des violence sexuelles, Sortir du capitalisme, 25 Mai 2019, 48 min. Disponible sur : http://sortirducapitalisme.fr/sortirdupatriarcapitalisme/284-la-culture-du-viol-une-legitimation-sociale-des-violences-sexuelles?fbclid=IwAR1edRRhMIpWdj5YEE4HOB-5BFxRHWuuPaiZVqjdJBp60QYy5PRi266kZPU
Lorriaux Aude, El Moaddem Nassira, et Kirschen Marie, Une culture du viol à la française de Valérie Rey-Robert, Le Deuxième texte, 16 Avril 2019, 38min. Disponible sur Spotify.
Bordages Anais, Pareja Nina Pareja, Lecoq Titiou & co . Dossier sur la culture du viol, Slate, 2013-2021, [consulté le 02 Novembre 2021]. Disponible sur : http://www.slate.fr/dossier/60081/culture-du-viol
Feriel Alouti, “Pour le viol conjugal, dans 90% des cas la plainte est classée sans suite”, Le Monde, 23 Novembre 2016 (mis à jour le 25 Novembre 2016), [consulté le 02 Novembre 2021]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/11/23/pour-le-viol-conjugal-dans-90-des-cas-la-plainte-est-classee-sans-suite_5036621_3224.html
Fessard Louise, “Les viols commis au sein des classes favorisées échappent aux assises”, Mediapart, 27 Mai 2011, [consulté le 03 Novembre 2021]. Disponible sur : https://www.mediapart.fr/journal/france/260511/les-viols-commis-au-sein-des-classes-favorisees-echappent-aux-assises?onglet=full
Mazaurette Maia, La culture du viol, un concept pour en finir avec votre notre fatalisme, Le Monde, 18 Mars 2018 (mis à jour le 20 Mars 2018), [consulté le 02 Novembre 2021]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2018/03/18/la-culture-du-viol-un-concept-pour-en-finir-avec-notre-fatalisme_5272709_4497916.html
ONU Femmes, 16 façons de lutter contre la culture du viol, Lundi 18 Novembre 2019, [consulté le 03 Novembre 2021]. Disponible sur : https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2019/11/compilation-ways-you-can-stand-against-rape-culture
Prenons La Une, “Outils pour le traitement médiatique des violences contre les femmes”, 21 Novembre 2019, [consulté le 03 Novembre 2021]. Disponible sur : https://prenonslaune.fr/2019/11/outils-pour-le-traitement-mediatique-des-violences/
- Articles universitaires :
Nahoum-Grappe Véronique, « La culture contemporaine du viol. Mise en scène, signe de domination, arme en temps de guerre », Communications, 2019/1 (n° 104), p. 161-177. DOI : 10.3917/commu.104.0161. URL : https://www.cairn.info/revue-communications-2019-1-page-161.htm
Javeau Claude, « FAIT SOCIAL », Encyclopædia Universalis [en ligne], [consulté le 3 novembre 2021]. Disponible sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/fait-social/
Thames Valley Police, Tea and Consent, 16 Novembre 2017, 2 min 49. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=pZwvrxVavnQ
Site web de Noémie Renard : https://antisexisme.net/Site web de Valérie Rey-Robert (Crêpe Georgette) : https://www.crepegeorgette.com/Site web du collectif “Prenons la une” : https://prenonslaune.fr/
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