Que fait votre coloc seul·e dans sa chambre ? D’où viennent ces gémissements ? Dans son lit, est-ce vraiment une série que mate votre « step-sis » ? Bref, vous connaissez le scénario ! Du porno dans le porno. C’est le fantasme classique de la personne prise en flag : « What are you doing? » La personne chopée semble avoir honte de se toucher devant un film de cul. Évidemment, elle se transforme vite de spectatrice surprise à actrice…
Mais, de plus en plus, ce scénario disparaît. Laissant place à une mise en scène assumée du porno regardé. En couple, pour se chauffer ou s’inspirer. En solo, pour se branler ou pour réagir et commenter. Nous aimons mater des modèles matant du porno. Voyeurisme commun et réactions complices : excitations liées par ce porn mis en abyme.
Du porn en cachette au porno complice
L’histoire du porno est souvent l’histoire de l’obscène. Il s’agit de montrer ce qui est stigmatisé socialement, interdit ou tabou. Expliciter la transgression. Regarder du sexe cru étant une activité souvent solitaire et intime, le montrer à l’image est transgressif. Dans le cinéma mainstream et les séries TV, c’est souvent une courte scène d’un·e jeune découvrant la sexualité en cachette. Plus rarement, on peut voir une scène de groupe. Comme dans l’épisode 4 de Ginny & Georgia où les amies matent ensemble du porno. On peut voir leurs réactions et commentaires. Mais, évidemment, c’est en cachette des parents et on ne voit pas l’écran.
Pornographiquement, la transgression vient d’abord de la découverte obscène : c’est autant l’écran que la branlette qu’on surprend, surtout depuis la démocratisation et la domination des smartphones. Lorsqu’un film porno montre un film porno, c’est une mise en abyme. Le plaisir solitaire devient un secret partagé. Comme un lecteur découvrant que le personnage principal du roman est aussi un lecteur, une complicité s’ouvre entre nous. Connivence d’une action commune. Si cette personne a été surprise matant du porno, pourquoi ne serais-je pas moi-même surpris·e à mater la personne surprise à mater ? Nous passons du porn en cachette à la communauté de la branlette.
Ce porn en abyme brouille ainsi les frontières entre fiction et réalité, entre spectateur·ice·s et acteur·ice·s. Mon fantasme d’être chopé·e en train de me toucher devant du porn est donc explicité. Cette complicité transgressive me rapproche de la personne à l’écran devant son écran. Julie Jess, par exemple, se fait choper en train de se toucher devant Pornhub, debout face à son écran d’ordi. Son mec la filme « discrètement » puis elle se retourne et le suce. Pas de paroles, c’est fluide et c’est une évidence. C’est assumé. Je me touche devant Pornhub : que va-t-il m’arriver ?
Carolina Sweets, de son côté, surprend son « step-bro » (Alex Adams, le plus célèbre de tous les reufs) en train de se branler devant du porno. Il apparaît d’abord gêné mais pas parce que c’est du porno… Il fait le timide car c’est sa « step-sis » et qu’elle veut regarder avec lui ! Très vite, après un peu de role play peu crédible (mais mignon), elle le suce, etc. On dirait que se faire choper à mater du porno finit toujours bien ! Lolly Lips est mieux équipée : elle se caresse en matant du porn en VR ! Ici, c’est pour elle que la barrière entre réalité et fiction vacille : son mec vient la baiser alors qu’elle a toujours son casque VR sur les yeux. Ce mélange d’un visuel fantasmatique avec un réel tactile montre ce que le porn en abyme nous fait miroiter : se branler devant du porn nous amènera forcément une vraie bonne baise ! On ne sait pas ce que Lolly voit mais on sait qu’elle finit par enlever l’écran pour se concentrer sur le réel.
Regarder du porno ensemble rapproche et rassure. En améliorant la communication, cette pratique a même sauvé des couples. Mater du porn à plusieurs permet, par exemple, de partager des fantasmes, d’en parler, de s’en inspirer et de se réchauffer. Souvent tranquillement. Cette pratique réelle est aussi un fantasme, une forme de comfort porn. Des couples baisent en matant d’autres couples baisant. Porn en abyme ! Ainsi, LufaVingt, couple méconnu et sous-coté, mate le porno d’autres couples. Au début, c’est surtout lui qui regarde et elle qui le suce… Mais, au bout d’un certain temps, il se passe un truc fou : il dégaine son smartphone pour la filmer en POV ! Ce nouvel écran change le sens de la vidéo : alors que nous les voyions d’abord faire du sexe devant du porno, nous les voyons ensuite faire du porno devant du porno. Mais, peu après, le montage mêle les deux points de vues : mater du porn et faire du porn sont ici noués, indissociables. Pour aller plus loin dans la multiplicité des focales (avec 4 cams pour 4 performers et du split-screen) pour un mix porno voir-faire-voir, ruez-vous sur Recursion II du collectif Four Chambers.
Esthétiques du porn en abyme
Quelle est la culture porn de tes modèles préféré·es ? Le porn en abyme nous montre une grande diversité de techniques masturbatoires et de fantasmes. Je m’amuse ainsi à pister les liens entre les pornos matés par les modèles et leurs pornos réalisés. On ne compte plus, par exemple, les vidéos où Morgpie mate du hentai. Que ce soit sur smartphone ou sur grand écran (en FPOV). Souvent, on peut observer la manière dont le hentai déteint sur elle : de ses gémissements à l’ahegao face ! Dans cette autre pépite, elle nous invite : en tournant l’écran de son phone puis son regard vers nous, elle semble vouloir qu’on la rejoigne ! C’est finalement, après l’orgasme de l’américaine, son mec qui la rejoindra… Saluons aussi, entre l’usage des doigts et celui des sex-toys, la démocratisation du pillow humping (pratique aussi prisée par Lily, la DeLuXeGirL que par Morgpie).
BigBootyAssTeen est plus explicite : elle nomme souvent, dans le titre de ses vidéos, ses sources d’inspirations pornographiques. De véritables dédicaces. Pour bien commencer sa journée, elle nous montre comment, encore sous la couette, elle lance sa matinée : avec une vidéo de Leolulu ! Voilà un rituel qu’on aime. Elle est assise sur son lit et a posé l’écran sur son genou gauche. Équilibre précaire. Contrairement à Morgpie, BigBootyAssTeen se doigte les jambes bien écartées. Comme elle a laissé le son, ses gémissements se mêlent à ceux de Léo. Et aux nôtres en la regardant se régaler ? Elle aussi préfère mater du porn au smartphone. Pourtant, les écrans plus grands, ordis ou TV, ont des avantages : ils nous laissent libres de nos gestes et sont visibles de plus loin. C’est pour cette dernière raison qu’ils restent si présents dans le porn en abyme…
Dans sa série « Watch porn with me », Littlelaine nous invite devant son ordi. Ses vidéos sont presque toutes en Female POV (FPOV), permettant de mieux montrer son écran. De nous immerger dans son excitation qui monte et de jouir avec elle. Par exemple, ici, en tant que Little Laine, je me touche devant un threesome, l’écran entre mes jambes. Les dernières minutes sont savoureuses : du commentaire en mode dirty talk à l’écran qui tremble lors de l’orgasme ! Little Laine aime aussi mater du porn avec son mec parfois même avec deux écrans pour satisfaire tout le monde ! Cependant, je m’identifie encore plus lorsqu’elle se branle devant une compilation de faciales : un mec giclant sur un visage déclenche son orgasme à elle. C’est la fameuse « psychic cumnection » : nous jouissons « ensemble », par écrans interposés. Si je jouis lorsqu’elle jouit en matant le mec jouir, c’est une mise en abyme supplémentaire de l’orgasme ! C’est ainsi que je me perdit dans une pornloop.
Réactions d’influenceuses et dirty talk
Les mieux placées pour parler de leurs fantasmes sont les modèles elles-mêmes. Ainsi, une nouvelle forme de porn en abyme est apparue : les réactions. Au lieu de simplement se branler devant du porno, des modèles se filment en train de commenter du porno. Avec, le plus souvent, l’écran regardé en incruste : picture-in-picture ou split-screen. Afin de mieux montrer leurs réactions et plus facilement critiquer la vidéo vue. C’est une tendance de reviews venue de Youtube. Les modèles sont, dans ce cas, en positions d’influenceuses du porn. D’ailleurs, il y en a de plus en plus qui se désignent comme modèles cross-canal : instagrammeuse en mode sextape, tiktokeuse commentant du porn ou youtubeuse en montrant un peu trop. Ces dernières années, Lena the Plug et Eva Elfie ont accéléré la confusion entre SFW et NSFW. Si bien qu’il nous arrive de devoir vérifier sur quelle plateforme on est. N’est-ce-pas Lola & James ?
Emma Fiore est une tiktokeuse argentine. Mais elle est aussi une étoile montante de Pornhub ! Parmi ses spécialités, on trouve ses réactions à ses vidéos pornos préférées. La structure est presque toujours la même : ça démarre en commentaire, ça se transforme en dirty talk et ça finit en branlette. (Un peu comme moi tentant de finir cet article ! Bref.) Par contre, pour bien suivre, il vaut mieux comprendre l’espagnol… Heureusement pour nous, ses dernières reviews sont sous-titrées en anglais ! Ainsi, sa critique enthousiaste et détaillée d’un hentai est un joyau du porn en abyme. Mention spéciale pour le storytelling, les bloopers et les différentes incrustes. La petite Emma aux cheveux roses a aussi publié une vidéo de recommandations, en bonne influenceuse porn qui se respecte… Si vous préférez quelqu’un de confiance plutôt qu’un algorithme pour vous guider dans vos faps, les vidéos d’Emma Fiore sont une excellente alternative.
Les visites guidées de Pornhub sont aussi la spécialité de Vanessa June. Elle semble avoir une prédilection pour la découverte de vidéos bizarres (tag « weird »). Avec Vanessa, on s’embarque pour une navigation improbable à travers les océans de diversité baignant Pornhub… Elle fait aussi de la cam et semble beaucoup aimer la bière. Ses vidéos de réactions sont particulièrement chill et drôles (malgré ses découvertes étonnantes) : ça détend. Pour aller encore plus loin dans la mise en abyme : Vanessa montre, dans sa dernière vidéo (réactions à un bukkake) qu’Amber Sonata a eu la même idée… Une communauté de passionnés ! Avant de se spécialiser dans les vidéos de « reacting », Amber était surtout célèbre (et le reste) pour ses extraordinaires vidéos de sexe en public. Ses vidéos de réactions sont, à l’opposé de celles de Vanessa June et Emma Fiore, vénères et un peu moralistes. Mais aussi assez drôles…
Le porn en abyme passe par l’identification et l’immersion. Il nous ouvre à une communauté fantasmatique de la transgression assumée. Le porn en abyme trouble les frontières entre réalité et fiction, voir et faire. Invitations à l’action : découvrir, s’émouvoir, se branler. Mais aussi guider, commenter, converser. Se pornographier.
Le porn en abyme, c’est enfin faire du porno avec son propre porno : recyclage fantasmatique d’une compilation en mode dirty talk. Comme ces souvenirs émouvants qu’on convoque pour mieux jouir. Ou pour s’améliorer et préparer l’avenir.