Il y a longtemps que je voulais publier ce « recueil » de textes, si j’ose dire, sur un sujet difficile qui est celui des relations intimes entre personnes majeures et mineures, où tout n’est pas toujours aussi tranché qu’on le souhaiterait.
C’est pas tellement que ça m’intéresse per se. Anyway, mouah, j’ai une nette préférence pour les femmes mûres depuis toujours… :- )
C’est surtout que c’est un sujet qui revient sur le tapis régulièrement quand on discute avec des femmes soumises de tous âges, chacune ayant son histoire, son parcours, ses blessures et, osons le mot, sa résilience.
L’affaire Polanski, qui a encore rebondi dans l’actualité récemment à la Mostra de Venise, où son film « J’accuse » a reçu des récompenses importantes, n’y est pour rien dans la publication de cet article. C’est pas le sujet anyway.
Voilà, c’est dit.
Quand Foglia et Madame B se pognent sur le cul
Je reprends d’abord deux chroniques de Pierre Foglia, parues dans le journal La Presse en octobre 2009, parce que ça parle de cul avec une certaine hauteur. Et que ça touille dans le glauque, comme il dit… tirant la goupille et lançant qu’une dose homéopatique de banalisation est un excellent antidote à l’explosion hystérique qui survient, quand il s’agit d’évoquer un acte intime entre une personne majeure et une personne non majeure…
D’où la réaction courroucée de Denise Bombardier, une semaine plus tard, dans le journal Le Devoir. Et le coup de semonce subséquent du chroniqueur.
La sexologue et écrivaine Jocelyne Robert ramène les questions évoquées par les deux francs-tireurs dans leur contexte, avec une réflexion hors du cercle des égos présents, de même qu’un troublant aveu…
Magnéto, Serge!
Au Québec, on dit : Télécino! Ou : Manon, pèse su’l piton…
Mon oncle Alfred
Pierre Foglia, chroniqueur devant l’Éternel et
la tombe de Luis Mariano.
Chronique de Pierre Foglia dans La Presse du 10 octobre 2009. (1)
Roman Polanski? Mon sujet serait plutôt l’Atlantique. De ce côté-ci, la quasi-unanimité de l’intelligentsia québécoise, canadienne, nord-américaine qui veut envoyer Polanski devant son juge, même si la victime elle-même plaide pour un pardon. De l’autre côté, le flou artistique d’une bonne partie de l’intelligentsia européenne, du moins les Français (et quelques Italiens) que je suis allé lire sur le Net.
Différente conception de la justice? Du statut de l’artiste? Du pardon? De la notion d’asile? Rien de tout cela.
Quoi alors?
Le cul, madame. Le cul ici et le cul là-bas. Pas pareil du tout. Le cul dans la culture, dans l’éducation, dans la morale, dans l’art, dans le quotidien, sur les murs du métro, le cul collectif, le cul dans la tête des gens. Le cul, malade ici comme là-bas, mais différemment.
Pensez à Berlusconi. Ses partouzes. Ici, il serait fini. Là-bas, il s’en trouve beaucoup pour le trouver admirable d’éjaculer à son âge. S’il se sort de cet autre scandale, il pourrait très bien être réélu. Quel homme.
Pensez au viol. Sanctionné (reconnu?) par les tribunaux de là-bas bien après ceux d’ici. Pensez à la pédophilie, longtemps banalisée là-bas, sinon par la littérature elle-même, par les moeurs de quelques-unes de ses grandes figures, de Gide à Nabokov…
Les enfants mieux protégés ici, alors?
Je ne jurerais pas de cela. Plus de lois ici. Plus de protections, je pense à l’indispensable DPJ. Mais plus d’hystérie aussi, ici. Dites «pédophile» et voyez comme la justice ne suffit plus, tout à coup. Voyez comme mon oncle Alfred devient subitement mon beauf Alfred, et sa fiancée une furie; voyez-les chercher une paire de tenailles pour cisailler les couilles de ces enculeurs. Allez lire les 12 456 courriels d’insultes qu’a reçus Cassivi pour n’avoir pas écrit, comme tout le monde, qu’il fallait livrer Polanski à la justice. (Comme tout le monde sauf, encore une fois, Odile Tremblay du Devoir. Chère Odile.)
Ainsi, monsieur le chroniqueur, vous pensez qu’on devrait foutre la paix à Polanski?
Oui, mais je n’en fais pas une montagne, même pas une chronique, ce n’est pas mon sujet. Son arrestation ne m’interpelle que par les réactions qu’elle a provoquées. L’unanimité ici. Le flou artistique là-bas.
Unanimité que je ne qualifierai pas de pathologique, mais comment dire? Qui en annonce peut-être une, pathologie. Je note, par exemple, que tous les papiers rappellent que la gamine a été sodomisée. Je comprends qu’on veuille souligner la gravité du crime, la persistance du rappel me trouble quand même un peu.
Et puisque vous allez me hurler dessus de toute façon, je vais oser conclure avec une dernière image qui vous fera hurler un peu plus, et c’est bien le but de l’exercice, pas de vous faire hurler mais d’aller touiller dans le glauque, disait Louis-Ferdinand.
Qu’on enferme un pédophile dans une prison régulière et la population régulière de cette prison le tuera. Notons que les plus empressés à lui faire la peau seront sûrement les motards qui gèrent les salons de massage et les clubs de danseuses où des gamines tout juste majeures font des pipes à des vendeurs d’assurance vie entre deux lignes de coke, je ferme la parenthèse.
La justice, moins carnassière que la société, a justement prévu des prisons spéciales où les pédophiles ne deviendront pas des victimes expiatoires.
On comprend les criminels d’avoir besoin de victimes expiatoires. D’avoir besoin de tuer le monstre (en eux).
Mais la société? Mais mon oncle Alfred?
Allez voir expiatoire dans votre dictionnaire, le hasard fera peut-être qu’il vous renverra à la même citation de Lautréamont que le mien:
Par ce moyen expiatoire tu effaçais les taches du passé
Quel passé, mon oncle Alfred?
Lautréamont.
Le vaccin contre l’hystérie
Foglia en rajoute, le 14 octobre 2010, toujours dans La Presse. (2)
Dans ma chronique de samedi, qui touillait le glauque, je me résignais d’avance à me faire crier des noms. Merci de ne l’avoir pas fait. Et même le contraire…
Je ne vous hurlerai pas dessus, m’écris Sophie B., prof d’allemand à l’Université Bishop. Au contraire, je vais ajouter que René Girard, dans son essai sur le bouc émissaire (3), précise que ce qui est reproché à celui que l’on ostracise et persécute n’est pas le fait d’être différent, mais le fait de ne pas l’être du tout : l’absence de différence là où on s’attendait à en voir une… Votre image des motards est donc une parfaite illustration des théories de Girard.
(Pour mémoire, j’avançais que la répulsion souvent hystérique qu’inspirent ici les pédophiles aux criminels «ordinaires», et par extension à la population «ordinaire» en général, participait (peut-être) d’une volonté de tuer le monstre… en eux.)
Toujours en marge de cette chronique, mais tout à fait dans son esprit, cinq ou six lecteurs ont osé témoigner d’expériences dissidentes qu’ils ont vécues ou dont ils ont été témoins.
D’abord ce monsieur gai qui a vécu ses premières expériences sexuelles avec un adulte alors qu’il était, lui, au tout début de l’adolescence. Cela s’est très bien passé, raconte-t-il sobrement : loin d’avoir été traumatisé, je garde de cette initiation un souvenir attendri.
Christine, elle, se souvient que, en deuxième secondaire, S. est arrivée dans sa classe, petite Européenne dont le papa avait été muté ici. Rapidement on s’est liées, raconte Christine, on s’écrivait nos vies pendant les cours de latin. Un jour, elle m’avoue que son papa lui a déjà inséré deux doigts dans le vagin. Je suis devenue folle de rage. Je me rappelle lui avoir balancé que son père était un pédophile, que sa place était en prison, tu en seras traumatisée à vie, l’avais-je avertie. Elle osa me répondre alors que pour l’instant elle n’était nullement traumatisée et qu’en plus, elle n’avait pas détesté.
La fin du courriel de Christine : je n’en démords pas, bien entendu, son père était un ignoble connard. Reste que, beaucoup plus tard, me souvenant dans quel état cette confidence m’avait mise, je me suis posé une curieuse question : se pourrait-il que ma réaction ait causé à S. plus de dommage que son papa?
Je suis un honnête père de famille de 33 ans, trois enfants. Ma femme est resplendissante, je touche du bois en le disant : nous sommes toujours très amoureux. La première fois qu’on a baisé, sur l’acide, elle venait tout juste d’avoir 13 ans. Je n’étais pas majeur non plus, mais quand je me souviens de nos ébats, je peux vous affirmer que sexuellement nous l’étions, majeurs, la tendresse en plus. C’est signé Fred.
Des voix qui dérangent parce qu’elles disent tout bas des vérités qu’on n’entend jamais? Que ce soit bien clair : pas une foutue seconde. La vérité, largement documentée, c’est que les vieux messieurs qui initient les petits garçons sont presque toujours de vieux salauds. L’inceste est toujours ou presque accompagné de violence, de chantage, de mensonge. Et les gamines de 13 ans, aussi délurées soient-elles, sont toujours des enfants.
Si ces voix déviantes dérangent, c’est bien évidemment parce qu’elles banalisent l’inadmissible. Et c’est bien ce qu’on va m’écrire : monsieur le chroniqueur, vos exemples banalisent l’inadmissible.
Je vous répondrai en rougissant que c’était un tout petit peu mon intention. J’insiste : un tout petit peu, vraiment pas beaucoup. Le dosage, ici, est très important.
J’ajouterai que la banalisation si décriée dans ce monde, où la banalité est pourtant l’ultime référence culturelle, la banalisation, donc, à dose homéopathique bien sûr, est un excellent remède à l’hystérie.
Rappelez-vous de l’inscrire sur ma tombe : c’est lui qui a inventé le remède contre l’hystérie.
TOUT-À-L’ÉGOUT – Rien à voir. Ce que je trouve extraordinaire des blogues, c’est que la plupart, comme les égouts, drainent la marde par des canaux souterrains et qu’ainsi rien n’affleure à la surface. Sauf quand les wannabe, les pain in the ass qui sévissent dans les blogues ont une communication importante à faire à l’univers. Alors ils remontent à la surface, comme celui-là qui a adressé l’autre jour à tous les chroniqueurs de l’hémisphère Nord un courriel pour leur enjoindre de prendre connaissance, de toute urgence, d’un texte sur les graves problèmes de sécurité que posent la burqa et le hijab.
J’ai été incroyablement poli. Bonjour monsieur, voudriez-vous avoir la gentillesse (et la civilité) de me retirer de votre liste d’envoi. Je vous remercie d’avance.
Sa réponse : voir la réalité en face et prendre note de la vérité (sic) c’est pas votre fort, vous, hein ? Dites-moi, seriez-vous payé pour vous fermer les yeux et ceux des autres en même temps ?
C’est ce que je vous disais : le problème, avec les égouts, c’est que des fois ils débordent.
(3) René Girard, anthropologue français. Le bouc émissaire, Livre de poche, collection Biblio, essais.
L’intouchable
Denise Bombardier répond à Pierre Foglia, dans Le Devoir du 17 octobre 2009. (4)
Court élément contextuel, Denise Bombardier mène depuis longtemps un combat contre la pédophilie. Dans un livre coécrit avec la journaliste française Françoise Laborde, elle dénonçait «le machisme archaïque» en France que révèle l’affaire Strauss-Kahn et plusieurs autres (Polanski, Allen, etc.)
Il règne en quelque sorte sur la presse et, en apparence à son corps défendant, il est devenu le moralisateur en chef de fans éblouis par sa plume aussi dévastatrice qu’agile, son intelligence vitriolique et pervertie et son snobisme inclassable et inoxydable. Depuis des décennies, il entraîne ses lecteurs dans des voies savonneuses dont lui seul connaît les issues puisqu’il en définit lui-même les contours.
Monsieur Pierre Foglia, chroniqueur de son métier, est un janséniste à rebours, obsédé d’être systématiquement hors normes, hors pistes et hors catégories. C’est un séducteur abrasif qui, à la manière du carcajou, étripe ceux, nombreux, qui l’idolâtrent. Il fantasme publiquement pour ceux qui le font privément et sa posture est toujours celle du précipice.
Les cloaques, les zones marécageuses, les bouges de tous genres appartiennent aussi à sa géographie personnelle. Il avance sur des terrains minés, indifférent au fait que ceux qui le suivent religieusement perdent un membre dans l’explosion, car sa notoriété et son statut de gourou de tous les affranchissements le mettent, lui, à l’abri des dommages collatéraux. Il ne se mouille pas, il arrose. Par ses écrits, et avec quel style, il prend un plaisir sournois à semer le trouble dans les esprits. Les naïfs n’y voient que du feu, inconscients du mépris qu’il leur distille, et les pervers se régalent.
Monsieur le chroniqueur aime l’idée de pousser toujours de l’avant les limites des tabous et autres interdits. Cette semaine, en voulant vacciner contre l’hystérie (le titre de sa chronique) tous ceux que dégoûte la pédophilie, il bascule dans une banalisation de celle-ci à travers des citations du philosophe René Girard rapportées par une de ses lectrices universitaires. C’est qu’il se protège, monsieur Foglia. Il sait user des commentaires de ses lecteurs (qu’on n’a pas lus, évidemment, d’où l’impossibilité de vérifier les faits) pour parvenir à sa démonstration.
Ainsi, une lectrice lui raconte qu’une amie d’adolescence lui a confié un jour que son père lui avait inséré les doigts dans le vagin. Sa lectrice fut horrifiée, mais elle ajoute que la jeune fille prétendait ne pas être traumatisée et qu’en plus elle n’avait pas détesté cette caresse paternelle. La lectrice concluait en se demandant si sa réaction scandalisée n’avait pas causé plus de dommage à son amie que l’abus du père. Monsieur Foglia cite d’autres témoignages, toujours de lecteurs, qui vont dans le même sens de la banalisation d’actes pédophiles. Ce sont « des voix qui dérangent parce qu’elles disent tout haut des vérités qu’on n’entend jamais », écrit le chroniqueur.
À jouer les Sigmund Freud en s’aventurant dans les abysses de la psychologie des profondeurs avec pour seuls arguments des témoignages de gens dérangeants, parce que dérangés eux-mêmes, il y a un risque de ne plus retrouver la sortie. À trop vouloir singulariser sa pensée, à mettre de l’avant la marginalité et la déviance dans un effet de mode et de tendance, on risque tous les dérapages. Monsieur Foglia, dans ses écrits, n’est pas en train de discourir assis sur sa bicyclette en regardant les prés du Vermont ou dans sa maison de campagne avec sa fiancée et ses voisins. Son délire journalistique, aussi talentueux soit-il, comporte aussi des limites qui sont liées à la responsabilité que doivent assumer ceux qui exercent un métier public.
L’obsession manifeste du chroniqueur pour l’exacerbation a concouru à son succès, mais elle peut aussi finir par entraîner sa perte. À ce jour, monsieur Foglia a réussi à écrire des horreurs, à briser des réputations, à ridiculiser de pauvres gens et avant tout à imposer sa loi : celle du style que des générations d’étudiants en journalisme ont tenté de copier sans son talent, ni sa maîtrise de la langue, qu’il s’est appliqué à déconstruire parfois, luxe que seuls les vrais lettrés se permettent.
Son ton affiné pour mieux trancher la gorge de ses rares contradicteurs sert de défouloir à ceux qui s’écrasent devant toutes autorités, ne pouvant bénéficier de l’immunité de leur gourou. Ce ton construit sur l’arrogance, sur une forme de mépris affiché pour les gens trop lisses, trop maladivement conformistes, ternes ou peureux. Monsieur Foglia impose sa loi aussi par une pensée entièrement au service de sa propre cause et de son propre mythe, et, il faudrait ajouter, de sa propre angoisse. Car les textes du chroniqueur transpirent l’angoisse et c’est sans doute par là qu’il arrive à nous émouvoir parfois.
Monsieur Foglia fait peur. Personne n’ose l’affronter, le contredire et encore moins le ridiculiser. C’est le seul personnage public qui apparaît intouchable et c’est sans doute cette omnipotence qu’on lui reconnaît qui lui permet de signer des textes aussi douteux et pervers que ceux cités plus haut. Mais il y a des failles chez le chroniqueur. Sa haine des boss et des riches dont il épargne ses propres patrons, son dédain des parvenus, des gentils sincères et des vedettes populaires et son attrait pour les forts en gueule et les tordus, à condition qu’ils appartiennent à sa propre mouvance.
Cette semaine, sa prétendue attaque contre l’hystérie antipédophile démonte la mécanique Foglia et le rend moins intouchable.
Retouches (d’un intouchable)
Foglia répond à Madame B. le 24 octobre 2010 dans La Presse. (5)
Froidures hâtives. J’entends Mme Bombardier fredonner que les foglie – prononcez follié, les feuilles en italien; une follia, des follié – que les foglie mortes se ramassent à la pelle, voire à la petite cuillère. Mais non je ne suis pas mort, madame Chose. Seulement un peu embêté de l’obligation que me fait plus ou moins mon entourage et surtout vos ennemis de vous répondre. D’autant plus embêté que dans ce genre de derby de démolition, le second à parler a toujours l’air du benêt qui dit: c’est celui qui le dit qui l’est, gnagnagna.
On me voudrait irrité. Je ne trouve pas irritant que les gens que je n’aime pas ne m’aiment pas non plus. J’ai bien assez d’avoir parfois à souffrir du contraire, je veux dire d’estimer des gens qui ne me le rendent pas, ou peu.
Intouchable, dites-vous? Petite comique. Vous ne connaissez pas mes presque amis.
Vous rappelez-vous, madame, la première fois que nous avons été en contact? C’est par un petit mot de votre main. C’était avant les courriels. Je parlais déjà de livres dans mes chroniques. Vous m’aviez invité, en deux ou trois lignes, à m’intéresser aussi à la littérature d’ici. Vous veniez de sortir votre premier roman autobiographique, mais c’est sûrement un hasard.
Je ne sais pas à qui d’autre vous avez envoyé ce genre de petit mot. Sûrement à plein de monde; à défaut de beaucoup de talent, vous avez beaucoup de persuasion. C’est ainsi que vos médiocres romans vous ont conduite jusque chez Pivot, dans la liste de L’Express. On vous a même remis la Légion d’honneur. Était-ce avant ou après qu’on la remette aussi à Youppi, mon ancien boss?
Du haut de votre gloire, vous avez chié sur le monde entier, puis vous vous êtes pognée avec les Français sur le sujet du cul; déjà, je me souviens vaguement d’un papier vraiment pas gentil dans Libé. Alors vous êtes revenue ici et vous êtes devenue «people». C’est là que j’ai cessé de vous haïr pour vous trouver drôle.
Je me souviens aussi d’un essai que vous avez écrit en collaboration avec un psychiatre qui devait être radié par la suite par le Collège des médecins pour… rappelez-moi donc pourquoi, déjà? Je ne vous reproche pas cette douteuse collaboration. Je m’étonne seulement que vous ayez pu manquer d’intuition à ce point dans son cas, et en montrer autant pour faire mon portrait. Ah si, madame, votre portrait, enfin le mien, est très juste sur bien des points.
Vous me dites snob; c’est épouvantablement vrai. Vous me dites pervers; c’est assez évident. Vous me dites lettré; vous exagérez à peine. Vous me dites intelligent, même très intelligent; j’en rougis, mais bon, j’eusse trouvé plus crédible que cela vienne de quelqu’un qui l’est aussi.
Il n’y a que sur le fond, finalement, qu’on ne s’entende pas.
Je m’excuse, lecteurs, d’y revenir une troisième fois. C’est pas moi, c’est elle.
Je posais dans une première chronique que le Québec est peut-être malade de son cul, par la faute de se l’être trop fait pogner par ses mononcles, d’où le titre : mon oncle Alfred.
Ici, peut-être bien que je déconne. Peut-être bien, comme me le faisait observer un confrère, que le Québec n’est pas plus malade de son cul que le Danemark ou le Cambodge. Tout le monde il est malade de son cul, me disait-il; chacun le soigne à sa façon.
Mettons.
Je n’en repose pas moins ma question : l’hystérique réaction de l’ensemble de la population, quand survient un fait divers de cul impliquant un adulte et un enfant, n’ajoute-t-elle pas au traumatisme de la victime?
Banalisons un tout petit peu, ai-je écrit. Le mot a fait frémir. Je voulais dire qu’il y a des lois, des juges, la DPJ qui fait très bien son travail la plupart du temps; pas la peine d’en appeler au lynchage, pas la peine d’exciter la foule, carnassière d’avance.
Dans la seconde chronique, une petite fille attouchée par son père disait qu’elle «n’avait pas détesté». On me prête d’insinuer que tout est correct puisqu’elle n’a pas détesté. Branchez-vous, madame Chose: ou je suis très intelligent ou je suis un total demeuré. Bien évidemment, le traumatisme est d’autant plus grave, d’AUTANT PLUS GRAVE, que la victime n’a pas détesté; ma question reste la même : l’hystérie collective ne plombe-t-elle pas un peu plus la culpabilité des victimes?
Dans l’actualité en ce moment, deux jeunes, 17 et 18 ans, qui ont perdu la maîtrise de leur char et sont allés tuer une petite fille de 2 ans, Bianca, qui jouait devant chez elle. Calme très plat du côté de l’opinion publique. Personne ne parle d’aller arracher les couilles de ces deux morrons. Fait longtemps qu’il n’y a plus rien à banaliser quand il est question de jeunes qui font les cons dans un char, vroum, vroum; on ne va quand même pas gâcher leur vie pour une bêtise de jeunesse.
Froidures hâtives, disais-je. Jamais le Québec ne m’a paru aussi pâle qu’en cet automne, qui fut pourtant aussi rouge que les autres. Envie de partir. Ce doit être pour cela que je me suis jeté dans toutes ces lectures de voyage en même temps. J’inclus le voyage de Sôseki autour de sa maladie, Le vide et le plein, et les déliés de Bouvier, et pour faire bonne mesure la relecture de Tristes tropiques (6), surtout pour le coucher de soleil des premières pages – des petits coins de l’horizon jouissaient encore d’une vie éphémère et indépendante dans toutes les variantes du rose et du jaune : crevette, saumon, lin, paille…
Quand on pense que ce type-là n’était qu’anthropologue; imaginez s’il avait été écrivain comme Mme Bombardier.
(6) Le vide et le plein, de Nicolas Bouvier, Folio. Choses dont je me souviens, de Sôseki, Picquier poche. Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, Pocket.
Sur le plancher des vaches
Dans son texte Foglia, Bombardier (7) publié dans son blogue, Jocelyne Robert, écrivaine et sexologue, ramène tout le monde sur le plancher des vaches.
« Une bonne polémique que cette bagarre entre Pierre Foglia et Denise Bombardier? Pas certaine. Madame Bombardier s’indigne. À sa manière et c’est son droit. Foglia lui réplique avec une inélégance sans pareil. Mais c’est pas pour cela qu’ici, Foglia m’énarve au plus haut point. Il dit vraiment n’importe quoi. »
Elle poursuit.
« Quand il insinue qu’il y a des gestes pédophiles heureux parce qu’une victime lui a confié qu’elle avait éprouvé du plaisir, il touche sans le savoir, le coeur même du geste gluant.
« Un enfant qui découvre le plaisir sexuel avec son père, son entraîneur sportif, un cinéaste célèbre ou n’importe quel adulte est triplement traumatisé. Et pourquoi est-il plus foutu? Pour deux ou trois raisons toute simples :
« a) un enfant attend d’un adulte, surtout d’un adulte qu’il aime et de qui il se sent aimé, qu’il le traite en enfant. Pas en amoureux, pas en objet érotique, pas en amant ou amante;
« b) la partie de l’expérience qui sera le plus difficile à surmonter, qui lui fera le plus ressentir le plus de culpabilité c’est justement le fait qu’il a éprouvé du plaisir;
« c) c’est cet aspect de la relation coupable qu’il le plus besoin (sic) de liquider pour passer à autre chose, pour se refaire, pour retrouver l’estime de soi et, vous savez quoi ? C’est de cet aspect de la relation dont on ne lui parlera jamais parce qu’on est trop pogné pour être capable de le faire sereinement, sans trop d’angoisse. »
Elle termine sur ceci :
« Comment voulez-vous que quelque chose soit liquidée et meurt si on est pas même capable de la nommer. C’est en la nommant qu’on reconnaît qu’elle a existé et donc qu’elle peut mourir. »
Un aveu troublant
Revenant sur l’affaire Polanski, dans un autre billet de blogue (8), Jocelyne Robert conclut son texte (nous sommes en 2009, je vous le rappelle) en laissant tomber un aveu tout de même étonnant :
« C’est une histoire scabreuse, complexe et politique dans les dédales de laquelle il est facile de tout mélanger. Tant et si bien que je suis partagée, n’arrivant pas à me faire une opinion claire et sans équivoque. Ouais… »
Références
(1) Pierre Foglia, « Mon oncle Alfred », dans La Presse, 10 octobre 2009 [lien d’origine : https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/pierre-foglia/200910/10/01-910298-mon-oncle-alfred.php.]
(2) Pierre Foglia, « Le vaccin contre l’hystérie », dans La Presse, 14 octobre 2009 [lien d’origine : https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/pierre-foglia/200910/14/01-911441-le-vaccin-contre-lhysterie.php.]
(3) René Girard, anthropologue français. Le bouc émissaire, Livre de poche, collection Biblio, essais.
(4) Denise Bombardier, « L’intouchable », dans Le Devoir, 17 octobre 2009 [lien d’origine : https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/272059/l-intouchable.]
(5) Pierre Foglia, « Retouches (d’un intouchable) », dans La Presse, 23 octobre 2009 [lien d’origine : https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/pierre-foglia/200910/23/01-914620-retouches-dun-intouchable.php.]
(6) Le vide et le plein, de Nicolas Bouvier, Folio. Choses dont je me souviens, de Sôseki, Picquier poche. Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, Pocket.
(7) Jocelyne Robert, « Foglia, Bombardier », dans le site jocelynerobert.com, 26 octobre 2009, [Lien d’origine : http://jocelynerobert.com/2009/10/26/foglia-bombardier/.]
(8) Jocelyne Robert, « Polanski, la politique étasunienne, la Suisse, le viol d’une enfant à une autre époque… », dans le site jocelynerobert.com, 26 octobre 2009, [Lien d’origine : http://jocelynerobert.com/2009/09/28/polanski-la-politique-etasunienne-la-suisse-le-viol-dune-enfant-a-une-autre-epoque/.]
L’article Ce besoin de tuer le monstre en soi est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.