Sociologue des médias et chercheuse spécialisée dans les questions liées aux transidentités, Karine Espineira est l’invitée du festival
Fais pas genre à Lyon pour une conférence sur le transféminisme.
«La transmysoginie est la discrimination spécifique à laquelle font face les femmes trans, comme de considérer qu’ayant un pénis, elles ne sont pas tout à fait des femmes et ont encore une part de masculinité». C’est l’association Act Up-Sud-Ouest qui donne cette définition dans un communiqué publié le 22 février contre le nouveau film «certifié transphobe» d’Audrey Dana, Si j’étais un homme. S’il existe une «discrimination spécifique», au croisement du sexisme et de la transphobie, qui vise les femmes trans, il existe une réponse toute aussi spécifique : le, ou plutôt les, transféminisme(s).
La chercheuse trans Karine Espineira, auteure de plusieurs ouvrages sur les transidentités, s’apprête justement à donner une conférence à ce sujet à l’Université Lumière Lyon II. Pour elle, le transféminisme apparaît «officiellement» en 2003 avec la publication du Manifeste transféministe par l’Américaine Emi Koyama. C’est «un féminisme par et pour les personnes trans» qui est aussi «un féminisme de convergence des luttes» et «intersectionnel» en cela qu’il prend en compte différents critères d’oppression : le genre, le sexe, l’orientation sexuelle, la race, la classe…
Contre un certain féminisme transphobe
De la même façon que l’afroféminisme s’est développé en réaction au manque de considération d’un féminisme majoritairement blanc pour les expériences spécifiques des femmes noires, le transféminisme s’est construit contre l’invisibilisation des femmes trans dans la plupart des courants féministes et/ou lesbiens et gays, voire contre la franche hostilité qu’elles peuvent y rencontrer.
Certaines militantes de la «deuxième vague du féminisme» (apparue dans les années 60 et 70) manifestent en effet très tôt leur opposition à la «transsexualité» (selon le terme en usage à l’époque). L’universitaire Janice Raymond publie ainsi en 1979 The Transsexual Empire («L’Empire transsexuel»), une violente charge contre les femmes trans. Elle les accuse de perpétuer des «mythes patriarcaux» et des stéréotypes sur la féminité, de «coloniser» les luttes féministes et même de «violer les corps des femmes» à travers les opérations de réattribution sexuelle…
L’une des femmes trans nommément attaquées dans le livre de Janice Raymond, Sandy Stone, lui répond en 1987 dans un livre ironiquement intitulé The Empire Strikes Back («L’Empire contre-attaque»), qui insiste sur l’importance pour les personnes trans de construire un discours féministe sur leur propre vécu, notamment pour échapper à une approche pathologisante et psychologisante des transidentités. Cet ouvrage séminal peut donc être vu comme un des livres fondateurs des transféminismes.
Contre la standardisation des vécus trans
Cette ligne de fracture entre différents courants se réclamant tous du féminisme est toujours bien réelle aujourd’hui. En décembre, des féministes anti-trans américaines (rebaptisées par leurs opposant-e-s TERFs, pour Trans Exclusionary Radical Feminists) se sont ainsi indignées, à l’unisson de la droite religieuse et conservatrice, de la couverture du magazine National Geographic représentant une fillette trans. À leurs yeux, le combat des trans se fait au détriment des luttes de celles qu’elles estiment être les seules «vraies» femmes : les femmes non-trans. Et l’essor (tout relatif en ce qui concerne la France) des études universitaires sur le genre tendrait à effacer les études féministes… «Dans le monde francophone, ce conflit existe aussi, mais il est plus feutré. L’opposition aux personnes trans ne se dit pas aussi clairement. C’est peut-être dû à la montée en puissance plus tardive des questions trans en France» estime Karine Espineira.
La chercheuse rejette par ailleurs l’accusation souvent faite aux femmes trans de se plier aux stéréotypes de genre plutôt que de les subvertir. «Cette critique est liée au fait qu’historiquement, les femmes trans qui ont été le plus mis en avant, notamment dans les médias, ont souvent été des personnes peu politisées. Elles délivraient un «récit trans» très standard et très normatif, qui ne mettait pas en péril l’ordre du genre. Ce modèle est devenu quasiment hégémonique, jusqu’à aujourd’hui, parce qu’on estime qu’il «passe mieux» dans les médias.
De ce fait, les trans féministes et les hommes trans sont très peu visibles. Pourtant, dès qu’on s’intéresse un peu à l’associatif militant, à des structures comme Chrysalide (association lyonnaise, NdlR) ou OUTrans, on se rend compte qu’ils sont extrêmement présents». Chrysalide, justement, conclura la conférence de Karine Espineira par une intervention qui sera sans doute l’occasion de rappeler à quel point il est primordial d’articuler ensemble questions trans et questions féministes.
Festival Fais pas genre
Les transféministes, conférence de Karine Espineira (suivie d’une intervention de l’association trans lyonnaise Chrysalide), en partenariat avec Les UNvisibles de Stonewall, mercredi 8 mars de 16h à 18h à la Maison de l’Étudiant
Troisième édition du festival Fais pas genre, organisé par l’association étudiante L’Envolée culturelle, du 7 au 9 mars sur le campus Porte des Alpes de l’Université Lumière Lyon II à Bron
À lire
– Manifeste d’une femme trans et autres textes de Julia Serano (éditions Tahin Party, 2014). Traduits et publiés en français pour la première fois par une maison d’édition lyonnaise, il s’agit d’extraits du premier livre de l’Américaine Julia Serano, Whipping Girl: A transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity (Seal Press, 2007).
– La Transidentité. De l’espace médiatique à l’espace public de Karine Espineira (éditions L’Harmattan)
Photo de Une : Karine Espineira © Naïel Lemoine
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