Certaines féministes se voient aujourd’hui accusées d’avoir fermé les yeux sur les agressions sexuelles commises à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre par peur d’alimenter le racisme et le rejet des étrangers. Mais sur quels éléments tangibles repose ce mauvais procès ?
Plus de deux mois après les faits, le cauchemar de Cologne n’en finit pas de nous hanter. La nuit de la Saint-Sylvestre, en plein centre-ville de Cologne, des centaines de femmes ont été victimes de viols ou d’attouchements sexuels, commis, selon la police allemande, par des assaillants d’«apparence arabe ou nord-africaine». Après les agressions sexuelles inqualifiables, après les récupérations racistes intolérables auxquelles elles ont donné prétexte, voici la troisième vague nauséeuse : la mise en accusation des féministes… au nom d’un féminisme dévoyé.
C’est Marine Le Pen qui dénonce le prétendu «silence inadmissible, voire l’assentiment tacite de la gauche française devant ces atteintes fondamentales aux droits des femmes» (L’Opinion, 13 janvier).
C’est Caroline Fourest qui déplore que «certaines associations féministes, pas toutes, [aient] pris mille précautions» avant de dénoncer les événements de Cologne (Le Huffington Post, 19 janvier). Est-ce à dire qu’il aurait été préférable que les féministes foncent tête baissée, sans prendre aucune « précaution » face au déchaînement de racisme et de xénophobie qui n’a pas manqué de suivre ces agressions ?
C’est Élisabeth Badinter qui tonne : «franchement, quand on prétend diriger un mouvement féministe, ou incarner le nouveau féminisme, être à ce point silencieux, comme première réaction, sur les violences dont ont été victimes ces femmes… c’est stupéfiant !» (Marianne, 21 janvier).
C’est un collectif dont les membres se présentent comme des « militantes féministes » (parmi lesquelles l’écologiste Arlette Zillberg ou l’ancienne présidente du Centre LGBT Paris-Île de France Christine Le Doaré) qui déplorent qu’en raison de leurs origines, « ces violeurs [soient] […] devenus, non seulement aux yeux de la société mais aussi des associations progressistes, des intouchables ». Ce genre de monde parallèle (où les rapports de domination seraient inversés et où les immigrés et descendants d’immigrés, au lieu d’être discriminés, bénéficieraient de privilèges) n’existait jusqu’à présent que dans les fantasmes de l’extrême-droite. Mais, en 2016, c’est aussi l’univers de science-fiction dans lequel évoluent des militantes se réclamant de la gauche et du féminisme…
C’est le Figarovox, dont l’expertise en matière de droits des femmes est bien connue, qui s’enflamme et hurle : « sus au féminisme qui fait le lit du communautarisme !« .
C’est l’hebdomadaire Valeurs actuelles, autre référence en la matière, qui titre sur « le silence coupable des féministes« .
Mais qui donc sont ces curieuses féministes qui fermeraient les yeux sur les agressions sexuelles ? Qu’ont-elles dit, ou écrit, pour tenter de minimiser ce qui s’est passé à Cologne ? Ni Marine Le Pen, ni Caroline Fourest, ni Élisabeth Badinter ne le précisent. Leur réquisitoire ne comprend ni nom, ni citation, ni élément tangible permettant un débat sérieux.
Et pour cause : leur argumentation repose sur un sophisme appelé en rhétorique un «homme de paille» : une caricature grossière des idées de leurs adversaires pour en faire des épouvantails, des repoussoirs. Ces féministes silencieuses, qui chercheraient à étouffer l’affaire de Cologne pour ne pas alimenter le racisme, n’existent nulle part ailleurs que dans l’imagination de leurs détracteurs.
Dans le monde réel, toutes les grandes organisations ou militantes féministes ont unanimement dénoncé, avec force et dans un même élan, à la fois les violences sexuelles de la Saint-Sylvestre ET la stigmatisation des réfugiés, des musulmans et des hommes d’origine arabe. Et cela, quelque soient leurs désaccords persistants sur un grand nombre de questions (voile, laïcité, GPA, prostitution…). Citons, au hasard et en vrac, Osez le féminisme, le Collectif national pour les droits des femmes, le blog féministe Crêpe Georgette… Et elles ont appelé à un rassemblement à Paris dès la mi-janvier.
Elles l’ont fait d’autant plus spontanément que ce sont elles qui, depuis des années, dénoncent une «culture du viol» tendant à minimiser, nier ou occulter les violences sexuelles faites aux femmes.
Un combat raillé comme une «posture victimaire» par la même Élisabeth Badinter, qui les accuse depuis longtemps de faire Fausse route (titre de son essai paru en 2003), voire de faire preuve de misandrie…
Les féministes n’ont donc aucune leçon à recevoir aujourd’hui de celle(s) pour qui la dénonciation des violences commises contre les femmes est un combat d’arrière-garde… sauf, visiblement, quand l’agresseur est arabe ou musulman.
The post Après Cologne, le mauvais procès intenté aux féministes appeared first on Heteroclite.