Quelle place pour les représentations des vieillesses LGBT+ aujourd’hui ?
En préparant cette rubrique autour des représentations des minorités LGBTI+ est venue l’envie de parler des vieux. Et avec cette envie, ces questions : où sont les vieux gays ? Les vieilles lesbiennes ? Les vieilles personnes bi et trans ? Qui peut citer trois noms de personnes âgées appartenant à la communauté LGBT+ et qui ont encore droit de citer à son propos ? Ou simplement dans les fictions, quels personnages de vieux ou de vieilles vivant leurs homosexualités et/ou leurs transidentités sont invités dans nos imaginaires et, soyons audacieux, dans nos fantasmes ? Où pouvons-nous les voir, les entendre ou ne serait-ce que les imaginer afin d’appréhender ce que sont aujourd’hui les vieillesses LGBT+ ? C’est curieux ce silence autour d’un des rares sujets qui, souhaitons-le, nous concernera pourtant toutes et tous un jour.
Un premier constat s’impose, celui que la vieillesse se pense et se parle de plus en plus. Impulsion portée par les mouvements féministes qui en se questionnant sur les corps objectalisés par le patriarcat, se sont interrogés sur ceux qui, comme disait Despentes, sont exclus du marché à la bonne meuf parmi lesquels les corps ménopausés, les corps supposés invalides et les corps vieillissants.
Puis la pandémie et les confinements ont mis en lumière les conditions de vie (et de travail) dans les EHPAD où les habitant·es ont été enfermé·es bien plus radicalement qu’ailleurs, bien plus longtemps et où les décisions se sont prises sans consultation des personnes concernées ni grande considération pour leurs droits. Enfin la vieillesse est de plus en plus parlée par une génération de jeunes vieux, des septuagénaires né·es pendant le baby-boom, dont certain·es rompu·es à l’exercice du militantisme puisqu’ayant eu 20 ans en 1968 et paniquant à l’idée de bientôt vieillir dans les mêmes conditions que leurs parents.
Des tribunes dans les journaux (Libération en mai 2017), des romans témoignages (Laure Adler, La voyageuse de nuit), cette génération s’exprime sur sa vieillesse. Idem pour les personnes LGBT+. Des podcasts (L’épisode de Gouinement Lundi Vieilles et Lesbiennes ou Marie-Pierre Pruvot aka Bambi, femme trans de 87 ans invitée de l’émission À voix nue sur France Culture en décembre dernier), des articles (la médiatisation du mariage de deux lesbiennes résidantes d’un EHPAD et votre serviteur Hétéroclite qui en juillet dernier dans sa rubrique dédiée aux discriminations parlait de l’âgisme, autrement dit les discriminations liées à l’âge). Il y a aussi des documentaires comme le bien-nommé Les invisibles de Sébastien Lifshitz.
Enfin des collectifs sont créés, toujours avec les féministes en pionnières (La Maison des Babayagas, maison pour femmes âgées située à Montreuil et fondée par la regrettée Thérèse Clerc) puis le collectif GreyPride et à Lyon l’association Les Audacieuses et les Audacieux qui sont en train de créer la Maison de la Diversité, première maison de retraite LGBT+ en France dont nous vous parlions également dans un précédent numéro.
Les représentations se multiplient donc sous l’impulsion d’observateur·ices et de personnes bientôt concernées qui s’alarment à juste titre d’une exclusion sociale manifeste des personnes vieilles, dites dépendantes, exclusion dont notre communauté LGBT+ n’est pas exempte. D’autant qu’il existe des risques spécifiques aux vieillesses LGBT+. Le risque d’un isolement social accru. Le passage à la retraite, la potentielle perte de mobilité et la baisse des revenus isolent les vieux et les vieilles qui ne gardent souvent comme lien social que leurs familles et leurs vieux amis quand ils sont encore de ce monde.
Mais au sein de la communauté LGBT+, nous restons nombreux·euses d’une part à ne pas pouvoir ou souhaiter avoir d’enfants et d’autre part chez qui les ruptures familiales sont plus nombreuses du fait de l’homophobie et/ou de la transphobie de certaines familles. Nous pouvons aussi évoquer celleux dont la sociabilité s’organisait autour des pratiques sexuelles – majoritairement des hommes gays – et dont iels se retrouvent exclu·es parce que désormais trop vieux. Ici, à moins d’avoir les moyens d’une carrière de Sugar Daddy, le risque d’isolement est très fort. Nommons aussi que l’autre espace de sociabilisation LGBT+, celui lié au militantisme, n’est pas toujours très accueillant avec les personnes âgées jugées has been et réactionnaires. Enfin dans les EHPAD où même les hétéros sont empêché·es dans leur vie sexuelle par l’absence d’intimité et par les idées reçues de certain·es professionnel·les sur la sexualité des personnes âgées (lire pour cela le rapport des Petits Frères des Pauvres Vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées), les vieilles et les vieux LGBT+ se sentent parfois obligé·es de retourner dans le placard par crainte des discriminations.
On peut donc se réjouir que les choses bougent et se rappeler qu’elles doivent encore bouger car nos aîné·es LGBT+ d’aujourd’hui qui ont lutté souvent bien plus que nous pour sortir du placard et qui ont vécu leurs sexualités et/ou leurs transidentités avec moins de droits et peu de soutien autre que celui de la communauté expriment très justement qu’ils et elles ne supporteraient pas de se placardiser à nouveau. Faisons bouger les choses donc.
Mais reste une question en suspens. Pourquoi les vieilles personnes LGBT+ sont-elles si peu représentées dans les fictions ? Hormis le beau film Deux de Filippo Meneghetti, touchante histoire d’amour entre deux lesbiennes âgées, peu de film ou de roman existent sur le sujet. On peut penser à Gerontophilia de Bruce LaBruce qui a le mérite de ré-érotiser les corps vieux mais dont la limite est que la question du désir est amenée par un personnage jeune qui demeure le centre du film. Idem pour le personnage de Madame Madrigal dans les Chroniques de San Francisco qui devra attendre le 9ème tome avant d’être autre chose qu’un personnage annexe, une sage à l’écoute de ses jeunes pensionnaires. Des vieilles et des vieux donc mais qui sont rarement des protagonistes. Comme si même la fiction ne s’autorisait pas à les sortir du carcan des clichés sur les personnes âgées. Prochaine étape ? Souhaitons-le.
© Isabelle Valera
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