Les robots sexuels sont-ils moins hétéro-normatifs que les acteur pornos ? Eux, au moins, «n’éjaculent pas sur le visage de la femme», répond une chercheuse. De fait, ils n’éjaculent jamais. Qu’en déduire ?
Les sex-machines n’arrêtent jamais d’aller et venir.
Faut-il y voir une métaphore de la performance virile «optimisée» ? Si oui, ces
machines pourraient-elles, à terme, remplacer les hommes ? Dans un ouvrage
collectif intitulé «Représentations-limites des corps sexuels dans le cinéma et l’audiovisuel contemporains», Antoine Gaudin –chercheur à Paris 3–
souligne l’intérêt qu’il y a d’étudier le porno : «à la fois caisse de résonance» des stéréotypes dominants,
«baromètre de dynamiques plus vastes présentes dans nos sociétés, mais
également espace de négociation pour les individus et les identités divergentes»
le porno est le miroir grossissant des cultures contemporaines.
Regarde du porno et connais-toi toi-même
Rien de plus instructif que ces images «à travers lesquelles notre époque trace les
contours de sa morale sexuelle». Voir des vidéos pornos, c’est forcément se
confronter aux «obsessions et contradictions de toute société». Pour
n’en donner qu’un seul exemple, Antoine Gaudin relève avec humour «la
fréquence élevée des recherches d’internautes [dans] les catégories «teen»,
«lolita», «twink», «18+», etc.» qui accompagne «(presque a contrario),
la tendance des sociétés occidentales à renforcer leur arsenal répressif
vis-à-vis des représentations sexuelles (même non pornographiques) impliquant
des mineur.e.s.» L’exemple est en effet révélateur : chaque tendance
possède sa contre-tendance. Le jeunisme occidental a donc pour corollaire la
diabolisation des pédofantasmagories. Que dire de l’attirance pour les robots sexuels ?
Parmi les nombreux articles publiés dans l’ouvrage co-dirigé par Antoine Gaudin
–articles traitant pêle mêle de la gérontophile (Federico Zecca), des images de
torture sur les sites pour adultes (Michel Bondurand) ou des pornos tournés par
les minorités sexuelles (Marie-Hélène/Sam Bourcier)–, celui de la chercheuse
Giovanna Maina est le plus révélateur du rapport ambigu que notre société
entretient avec la norme virile. Les sex-machines sont en
effet ambivalentes : d’un côté, elles forniquent sans fin, ce qui correspond
bien à l’exaltation des valeurs d’endurance masculine, en Occident. D’un autre
côté, elles forniquent sans fin… Danger.
Les fucking machines sont-elles des
surmâles ?
Dans les films estampillés fucking machines,
l’humain (le pénis) est remplacé par une limeuse électrique. Dès qu’on appuie
sur le bouton, le jeu de piston se met en marche, à intensité variable. Ces
films sont dits «alternatifs» parce qu’ils relèvent d’un marché de niche, mais
offrent-ils vraiment une alternative au spectacle habituel de l’homme qui
«défonce» une femme «par tous les trous» ? Pas vraiment. Les sex-machines sont terriblement phalliques. Ainsi que le souligne Giovanna : «Dans
la plupart des cas, la référence à l’organe sexuel masculin est sans ambiguïté,
avec des noms comme Robo-cock, Versa-cock, Hide-a-cock, ou sous-entendue
par de simples analogies : Scorpion, The Snake, The Dragon, The Octopussy, etc.»
La plupart des machines sont incapables de faire jouir autrement que par
pénétration : très peu lèchent ou sucent. Conçues pour produire «un plaisir
infini, stérile et mesurable», ces machines «semblent, plus que tout,
incarner la quintessence de toutes les caractéristiques les plus typiques de la
pornographie (hétérosexuelle) [et] se conforment visiblement à la reproduction
stéréotypée du modèle traditionnel du porno, qui semble souvent n’être rien
d’autre qu’une suite de contacts génitaux répétitifs.» A première vue, il
s’agit donc bien de copies d’humains augmentés, mâles infaillibles et
infatigables, formatés sur le modèle des œuvres de Max Ernst, aux titres
suggestifs : La grande roue orthochromatique qui fait l’amour sur mesure et
Erectio sine qua non.
ou… des surfemelles ?
Une seule différence, cependant : dans une vidéo
«normale», l’acteur finit par éjaculer en gros plan. Dans les vidéos de fucking
machines, il n’y a pas de money shot. S’il faut en croire Giovanna Maina, cette différence est essentielle. L’interprétation
qu’elle en donne n’a cependant rien d’évident : elle s’appuie sur l’idée que la
jouissance féminine est comparable au mouvement perpétuel. Citant les
travaux de Masters et Johnson qui, après Kinsey dans les années 1960, avaient émis
l’hypothèse que les femmes étaient capables de jouir ad libitum,
Giovanna affirme que les fucking machines ne mettent pas en scène des
hommes mais bien… des femmes. Pourquoi ? Parce que les fucking machines
semblent dotées d’un désir infini. Elles n’éjaculent jamais car elles
n’arrivent jamais au bout du plaisir. «Le cliché* de la femme
insatiable aux multiples orgasmes trouve une nouvelle nuance de sens dans ces
liens avec la machine», résume Giovanna.
Un gros engin peut en cacher une autre
La chercheuse insiste sur un autre point : en
apparence, ces machines sont faites par des hommes sur le modèle du gros engin.
«La fabrication d’une machine relève de la gratification typiquement
masculine tirée du DIY, qui ressemble à celle de réparer sa moto.» Chaque
dimanche, dans leur garage, les américains qui démontent le moteur de la
tondeuse à gazon pour le transformer en sextoy-monstre ne font jamais que
reproduire le schéma viril : aux mecs, les travaux de force, la mécanique et le
cambouis. Ils le font pour combler leur épouse, disent-ils. Mais que cachent
ces petits jeux de bricolage ? Giovanna décèle «une subtile paranoïa de la
défaillance sexuelle» dans la «normalité» apparente de ces hobbies
salissants. Poussant plus loin son raisonnement, elle va jusqu’à suggérer que
ces hommes qui fabriquent les fucking machines mettent peut-être en
scène non pas un double optimisé d’eux-même, mais leur propre anéantissement. S’agit-il d’un hasard
? Certaines vidéos de fucking machines montrent des femmes fontaines qui
explosent, projettent des jets de liquide et inondent la machine de leurs
fluides. Comme par retournement, la machine rend la femme virile dans ces films
pornos qui renversent le partage traditionnel des rôles. La machine, elle-même,
n’est-elle pas féminine lorsqu’elle se fait asperger à grands jets par
l’actrice qui la chevauche ?
.
«C’est précisément dans ce genre de productions
visuelles – qui semblent généralement glorifier la «réalité» de l’orgasme
féminin et la masculinité parfaite d’un mécanisme indéfectible – que le concept
même de genre sexuel subit un processus de dissolution et de fusion qui
brouille ses frontières et en problématise le sens » (Giovanna Maina, «Cet
obscur objet du désir : machines hybrides,
pornographie et plaisir féminin», Représentations-limites des corps sexuels…)
A LIRE : Représentations-limites des corps sexuels dans le cinéma et l’audiovisuel contemporains, dirigé par
Antoine Gaudin, Martin Goutte et Barbara Laborde, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2017.
POUR EN SAVOIR PLUS : «Un orgasme par minute, 20 minutes, sans s’arrêter» ; «A quoi reconnait-on qu’une femme simule ?»
CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN TROIS PARTIES : «L’avantage avec les robots, c’est qu’ils n’éjaculent pas», «Rencontre avec un pionnier de meco-porno», «Robot sexuel : faut-il en avoir peur ?».