Cette année, j’ai décidé de faire comme article inaugural l’article qui me fait bien rigoler depuis que j’en ai eu l’idée il y a deux ans avec le Mari. Mais comme l’être qui partage désormais mon lit et dont l’ordinateur partage sa place avec le mien a d’autres projets d’écriture, je continue en solitaire cette exploration historique de mon univers musical qui s’étend de la seconde moitié du XXe au début des années 2000.
Pourquoi je persiste à faire ce tour d’horizon sur cinquante ans ? Parce que c’est ce que j’estime faire partie de mon univers musical contemporain. Je vais avoir 33 ans cette année et j’ai acquis l’expérience personnelle de trente ans de musique. J’ai aussi l’expérience personnelle de mes parents et de mes oncles, c’est ainsi que j’estime avoir un univers musical contemporain qui s’étend sur cinquante à soixante ans. Et encore, je ne parle pas des apports de mes grands-mères (dont l’une est encore vivante et m’apprend beaucoup sur l’histoire du début du XXe siècle).
Trêve de blabla : voici mes propositions de réécoute (ou pas) de 1966 à 2006.
1966 : 50 ans après
Chansons écoutables
Version française : Jacques Brel, Ces gens-là
Oui, c’est belge, mais au moins, c’est chanté en français et cela change des yé-yés. Et si cette chanson est encore très écoutable cinquante ans après, c’est que Jacques Brel n’a pas d’âge. Il a réussi à faire quelque chose d’intemporel dans une époque où la musique était très standardisée. Dans le même genre, il y a La Bohème de Charles Aznavour. On s’aperçoit quand même qu’on a sorti pas mal de trucs foutrement bons en 1966, en France comme ailleurs.
Version internationale : Simon & Garfunkel, For Emily, Whenever I May Find Her
Là aussi, j’ai eu un putain de cas de conscience. Entre Revolver des Beatles, Aftermath des Rolling Stones, Monday Monday des Mamas and the Papas, Blonde on Blonde de Bob Dylan, Happy Together des Turtles, It’s a Man’s Man’s Man’s World de James Brown, Pet Sounds des Beach Boys, force est de constater que l’année 1966 a été pléthorique en termes de pépites musicales. J’ai préféré me concentrer, comme pour la version française, sur quelque chose de vraiment intemporel.
En 1966, Simon & Garfunkel ont sorti deux albums, Sound of Silence qui a été enregistré entre 1964 et 1965, et Parsley, Saige, Rosemary and Thyme qui a vraiment été enregistré durant l’année 1966. J’aurais beaucoup aimé mettre Scarborough Fair/Canticle, mais ç’aurait été de la triche, étant donné que c’est une chanson traditionnelle datant du XVIe siècle. J’ai donc mis For Emily… parce qu’elle résume tout à fait l’esprit du duo. Si la plupart des compositions ont été enregistrées dans les années 1960, ils en sont encore en 1966 où ces compositions ne peuvent pas être datées et restent intemporelles. J’ai écouté en comparaison The Boxer, enregistrée en 1968, et où on lit le contexte musical américain de l’époque.
Chansons inécoutables
Version française : Mireille Mathieu, Mon Credo
Réaction du Mari : Tu vas arrêter de nous casser les couilles avec Mireille Mathieu ? Je pense que tout est dit. Mireille Mathieu a trusté sur l’auditorat d’Edith Piaf, sans avoir ni le talent d’interprétation ni les paroliers compétents pour mettre en valeur cette puissance vocale. J’avoue, j’ai longuement hésité avec La plage aux romantiques de Pascal Danel, mais j’ai trop de respect pour les souvenirs musicaux adolescents de ma mère, aussi dégueulasses qu’ils soient.
Version internationale : Mrs Elva Miller, Yellow Submarine
Pour sortir ce qu’il y a de vraiment dégueulasse musicalement en 1966 sur le plan international, j’ai même enquêté sur Bide et Musique. C’est le Mari qui a eu l’éclair de génie (sic) de ressortir ce traumatisme du placard des refoulements mentaux communs. Cette Américaine, décédée en 1997 dans sa 90e année, s’est fait connaître dans les années 1950 et surtout 1960 pour des reprises, on va dire, barrées des tubes du moment. Même si Yellow Submarine n’est pas le meilleur titre des Beatles qui soit, il ne méritait pas un tel traitement. Vraiment.
1976 : 40 ans après
Chansons écoutables
Version française : Véronique Samson, Vancouver
J’avais une autre idée en tête, en me disant que le hit-parade de 1976 en France sentait le pays en défaite. Puis j’ai décidé de trier le bon grain de l’ivraie, et je me suis retrouvée à devoir choisir entre Bidon d’Alain Souchon, Sur la route de Memphis d’Eddy Mitchell et donc Vancouver de Véronique Samson. Comme je vous ai pas mal seriné les oreilles avec le premier en 2015 et avec le deuxième en 2013-2014, j’ai préféré sélectionner la seule femme du lot, qui vaut mieux que sa réputation d’alcoolique. Vraiment.
Il suffit d’écouter justement une chanson telle que Vancouver pour vérifier qu’elle se démerde très bien toute seule, sans Michel Berger… Même s’il faut avouer, à la réécoute, qu’on sent bien ne serait-ce qu’un souffle de Stephen Stills dans la chanson (Putain, il faudrait que j’arrête de penser qu’une femme ne sait pas se démerder seule en musique, on me l’a reproché plusieurs fois)…
Version internationale : Queen, Somebody to Love
J’aimerais me dire qu’un jour, j’aurai fait le tour de Queen et que j’arriverai à passer à autre chose. Sauf que je n’arrive pas à trouver d’artiste aussi inspiré et inspirant que Freddie Mercury, et que je suis bien contente d’avoir vécu l’époque que je vis pour en prendre la pleine mesure. Mais s’il n’y avait eu que lui dans le groupe : tout charismatique qu’il était, il n’a pas pu effacer totalement les velléités artistiques de Brian May, Roger Taylor et John Deacon. Même John Deacon, le bassiste sans une once de charisme qui pourtant mène la barque sur certains titres du groupe (Another One Bites the Dust pour ne citer qu’un exemple).
Chansons inécoutables
Version française : Gerard Lenorman, La ballade des gens heureux
Vocalement, je ferai le même reproche à Gérard Lenorman qu’à Salvatore Adamo : une voix tellement exaltée qu’elle en devient agaçante. Et même s’il a chanté des chansons pas trop mauvaises dans sa carrière, je pense qu’il est nécessaire de le fusiller juste pour cette chanson. Cet enthousiasme surjoué qui te tape sur les nerfs est capable de faire commettre des meurtres quand on n’est pas dans un bon jour.
Version internationale : The Beach Boys, TM Song
Le Mari, grand exégète du groupe devant l’Eternel, dit qu’après avoir eu vent du « mieux » mental de Brian Wilson, les producteurs cherchaient à tout prix à le faire retourner en studio. Voilà le résultat.
1986 : 30 ans après
Chansons écoutables
Version française : Desireless, Voyage Voyage
Pourquoi cette chanson plus qu’une autre ? Parce que, davantage que Capitaine abandonné de Gold, que Les démons de minuit d’Images, qu’Eve lève-toi de Julie Pietri, qu’Ouragan de Stéphanie de Monaco ou que Les bêtises de Sabine Paturel, c’est quand même le seul succès français de 1986 qu’on écoute 30 ans après sans se dire que c’est du second degré.
Version internationale : The Smiths, Bigmouth Strikes Again
Je vous livre cette suggestion avec un pistolet sur la tempe, parce que le Mari pogote sur le spleen et la dépression. Mais j’avoue que la chanson est bonne et qu’elle fait partie des madeleines de Proust qui émaillent mes souvenirs d’enfance et mon cheminement de vie.
Chansons inécoutables
Version française : Emmanuelle, Premier baiser
Et oui, mesdames et messieurs, ce qui a pourri une partie de votre enfance a déjà trente ans. C’est là qu’on se dit que Jean-Luc Azoulay ne s’est jamais remis du doo-wop.
Version internationale : Lionel Richie, Say You, Say Me
Je suis bien consciente que je vais me faire taper dessus, mais cette chanson est le summum de la tartignole durant l’année 1986. Ni plus, ni moins. J’ai beaucoup de respect pour Lionel Richie, dans la mesure où All Night Long fait partie des chansons qui ont rythmé mon enfance. Mais quand même, avouez qu’il chie littéralement dans la colle avec ce titre, non ?
1996 : 20 ans après
Chansons écoutables
Version française : FFF, Le pire et le meilleur
J’ai pleuré devant le peu de possibilités que m’offrait le souvenir de l’année 1996 en termes de chansons françaises. Le Mari me proposait des choses très pop – Luka, Doriand – que je trouvais datées. Il m’a même proposé Personne de Pascal Obispo et Un jour en France de Noir Désir, que je ne choisis pas parce qu’il est devenu un hymne au vu des actualités françaises – foutu prêt-à-penser de merde. Je me suis donc aperçue que mon adolescence était trop influencée par la musique britannique, le rap et l’électro pour apprécier la variété française dans son ensemble. C’est pourquoi je propose ce qui me semble le moins grave cette année-là, à savoir un bon mélange de funk et de rock bien senti.
Version internationale : Fugees, Ready or Not
Dans mon entourage de l’époque, tout le monde s’était procuré The Score. Pourtant, il y a eu pléthore de succès internationaux en 1996. Les autres tubes de l’album m’ont vite gonflé, notamment parce que j’ai trop chanté Killing Me Softly à mon fan-club allemand. Mais ce titre surpasse les autres, parce que les samples de départ sont plus classes. Je m’explique.
Vous prenez comme instrumental un titre sans paroles d’Enya :
et vous saupoudrez du refrain d’un titre funky de la fin des années 1960 :
Chansons inécoutables
Version française : Alliage, Baila
1996 a été une année sombre pour la chanson française, notamment à cause du pic d’audience des boys bands. Pour autant, j’ai préféré suggérer Baila plutôt que Partir un jour des 2B3, parce que j’ai eu un grand débat dessus avec le Mari. En effet, je trouve que Partir un jour souffre juste d’une orchestration de merde et qu’elle aurait très bien pu être une très bonne chanson de Michel Jonasz. Tandis que je trouve qu’il n’y a rien à sauver dans Baila : c’est une chanson de merde, point barre.
Version internationale : The Spice Girls, Wannabe
Je n’aimais déjà pas cela en 1996. Je n’aime toujours pas cela en 2016. Même après 5 Black Russians, même lors d’un enterrement de vie de jeune fille, même avec un pistolet sur la tempe, même si je bugge en soirée. Je trouve même que c’est limite insultant pour un pays aussi musicalement distingué que la Grande-Bretagne.
2006 : 10 ans après
Chansons écoutables
Version française : Najoua Belyzel, Gabriel
Un one-hit wonder assez sympa en vérité, un des seuls titres français que j’écoute avec plaisir dix ans après. Même si, par la suite, Najoua Belyzel n’a pas connu le succès escompté – son dernier album, sorti en 2015, s’est vendu à 150 exemplaires – il y avait quelque chose de prometteur à l’époque. Mais contrairement à ce que l’on pensait, la chanson ne parlait pas de bisexualité, mais de mysticisme : la femme abandonnée dans la chanson ne pleurait pas le départ de l’aimé pour un autre homme, mais pour se vouer à Dieu.
Version internationale : Amy Winehouse, Tears Dry on their Own
C’est le seul titre de la regrettée Amy où je me suis écriée Sale pute ! quand je me suis aperçue de la supercherie. En effet, elle a repompé toute l’orchestration de départ de Ain’t No Mountain High Enough version Marvin Gaye & Tammi Terrell. Mais comme Mark Ronson et Salaam Remi sont des producteurs réglos, ils ont directement crédité la chanson Ashford & Simpson, alias les compositeurs originaux du succès précédemment cité. Il n’empêche que ça reste ma chanson préférée d’Amy Winehouse et que je l’écouterai jusqu’à ma mort.
Chansons inécoutables
Version française : Nâdiya, Roc
En vérité, ce n’est pas que cette chanson soit plus mauvaise qu’une autre dans le contexte de 2006. C’est juste que, dix ans après, elle est devenue la meilleure publicité pour les restaurants vietnamiens (Comme un wok, ensemble comme un wok). Oui, c’est ridicule de se moquer de la diction d’une chanteuse de R’n’B. Mais c’est tout aussi ridicule de vouloir donner une tonalité powerful à une chanson française en y intégrant des anglicismes à tout va.
Version internationale : Muse, Supermassive Black Hole
C’est à partir de ce moment précis que, pour moi, je me suis mise à haïr Muse du plus profond de mon être. Pourquoi ? Parce qu’ils ont commencé à péter plus haut que leur cul et à abandonner ce qui faisait le sel du groupe : une forme d’onirisme qui aurait pu en faire un groupe plus grand que Queen. En se la jouant guitar heroes, ils ont perdu leur âme. Typiquement, quand j’écoute Supermassive Black Hole et à peu près n’importe quel titre de Muse depuis 2006, je me demande à quel stade de l’évolution du groupe l’ego a pris le pas sur l’artistique.
Ce n’est pas parce que 2016 a commencé depuis deux-trois jours que j’en tire cependant un bilan. J’ai fait cet article pour commencer à me situer dans une nouvelle temporalité, après une année émotionnellement chargée. A bientôt pour de nouvelles aventures musicales.
(cc) PRO Lynn Friedman
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