Maïa Mazaurette, chroniqueure.
Aujourd’hui, on a les moyens de transmettre, d’apprendre, d’inventer, de créer une utopie sexuelle. On a encore de la chance parce que la sexualité est l’un des rares, sinon l’un des seuls domaines, où l’utopie est possible, où on peut donner le meilleur de soi-même.
« Et loin des imaginaires de dégradation, de souillure, de pulsion de mort qu’on lui associe constamment, la sexualité demeure l’espace physique et mental où nous exprimons notre désir, notre amour, notre tendresse, notre gratitude et, j’insiste, notre dignité, pour faire advenir cette utopie. »
Maïa Mazaurette | Ce que l’on a oublié de vous dire sur le sexe | TEDxTours
J’aime bien cette idée de transcender les pratiques BDSM, en vue de les inscrire dans un grand tout, comme dirait le concombre masqué.
Un grand tout qui tient compte de notre santé sexuelle.
Développer une culture érotique
En écoutant la vidéo de Maïa Mazaurette, un vieux dossier paru dans la revue Psychologies, m’est revenu en mémoire. Quelques clics m’ont amené à son titre, on ne peut plus clair : développer une culture érotique.
Deux sexothérapeutes, Brigitte Martel et Alain Héril, y établisse un plan de match destiné aux couples soucieux de retrouver la spontanéité et l’intensité des débuts.
Une forme d’hygiène érotique, en quelque sorte. Ou une abbaye de Thélème du cul…
Que contenait ce plan de match?
- Retrouver le goût du jeu
- Comprendre nos inhibitions
- Ritualiser la rencontre
- Varier les registres
- Prendre en charge sa sensorialité
- Cultiver l’érotisme de son couple
- Ce que veulent les femmes…
Je me rappelle avoir trouvé assez fou que ce « programme » ressemble en tous points à ma façon de formaliser la relation de pouvoir érotique et de la vivre.
Sauf pour le point 8 : ce que veut le Maître.
Une démarche saine
Dans un festival de mauvaises langues dans Fetlife à propos de la vidéo de Maïa Mazaurette, j’ai eu envie de lancer aux oiseaux-moqueurs qui la vilipendent, qu’elle n’a pas à se coca-coller au catéchisme BDSM, la dame.
D’abord, elle ne démonise pas les pratiques BDSM, ce qui est déjà pas mal. Ce ne sont pas tous les sexologues et les psychologues qui pensent et agissent ainsi.
La chroniqueure parsème son vocabulaire de mots spécialisés devenus courants dans le grand public en 2019, à commencer justement par ce mot « BDSM ». Et personne ne lui lance de soulier ou ne lui fait de scène dans cet environnement grand public (et donc, tellement « vanille » par définition).
Non, plutôt les gens écoutent. Ils sont curieux, viennent voir, essaient de comprendre ce qui se passe autour d’eux et en eux.
Ces gens cherchent à dé-mystifier.
C’est une belle démarche, très saine. On est ici dans un contexte d’ouverture.
Le premier S de la formule SSC
On lit presque invariablement chez les gens qui se définissent par les pratiques BDSM ce besoin de se distancer, d’une part, de la sexualité dite vanille, normative, voire de la reproduction, et d’autre part, de l’abus et de la violence.
Explorer tous les contours de notre eros et d’autres espaces de notre libido, ce n’est pas renier la « part BDSM » de ce que l’on est. Il est tout de même très sain de ne pas devoir estampiller BDSM tout ce que l’on fait dans la chambre à coucher ou à l’extérieur de celle-ci.
Faut-il rappeler que les jeux érotiques de pouvoir, reconnus comme tels, ne sont qu’un article parmi d’autres dans le grand tout de la sexualité humaine?
On touche ici au premier S de la formule SSC. Les jeux que l’on appelle BDSM requièrent des pratiques qui soient saines, sécuritaires et consenties, qui les distinguent de l’abus.
C’est de bonne guerre de pouvoir le (re)dire.
Que dit ce S, le sain?
Que les pratiques BDSM ne doivent pas être une condition sine qua non à une interaction intime et sexuelle. En d’autres termes (je simplifie), si t’as impérativement besoin de BDSM pour bander, t’as un problème.
Ce qui est attendu
Non, Maïa Mazaurette n’est pas sur scène pour faire l’apologie des pratiques BDSM.
Mais elle dit tout de même un truc formidable sur la notion de scripts sexuels. C’est-à-dire « ce qu’on croit qui est attendu » dans telle ou telle situation sociale, intime et sexuelle.
Et c’est là que les gens qui font du BDSM (ou de la corde, tiens) aurait intérêt à (ré)écouter le propos de Mazaurette et à y réfléchir, au lieu de se moquer.
S’affranchir de « ce qui est attendu » dans telle ou telle situation sociale, intime et sexuelle, c’est difficile. C’est pas vrai que c’est facile de se mouvoir dans cette grande mascarade, comme dirait Goldoni ou Shakespeare, je sais plus.
Bref, on le sait que c’est pas simple, une rencontre entre deux personnes.
Or, malgré toutes les déconstructions des cinquante dernières années, on fait encore comme ci parce que « c’est ça être une femme ». On fait encore comme ça parce que « c’est ça être un homme ». Insérez tous les autres mots que vous souhaitez ici.
Ce qui est attendu (bis)
Du coup, dans l’arène BDSM, c’est assez pareil : on fait « ce qui est attendu ». On fait comme ci parce que « c’est ce qui est attendu d’un Maître ». On fait comme ça parce que « c’est ce qui est attendu d’une soumise »…. « d’un soumis »… « d’une domina », etc.
Je soupçonne ce « ce qui est attendu » d’être la source de bien des maux actuels, tout simplement parce que « ce qui est attendu » empêche bien des gens de dire les choses au moment où elles devraient être dites.
La suite devient un spaghetti émotionnel difficile à démêler pour les parties impliquées, cela se conçoit. Il y a tellement de sauce…
Réinventer les scripts sexuels
La chroniqueure nous dit (rappelle) que nous avons la capacité de réinventer les scripts sexuels, de questionner « ce qui est attendu ».
Avec les bouleversements technologiques et identitaires, on sait désormais que tout est devenu possible, que plus rien n’est déterminé.
Alors?
Alors? Ce ne sera jamais facile, pour une foultitude de raisons, de nous affranchir des codes sociaux. Mais nous devons être en mesure de dire non à une activité qui ne nous plait pas pour xyz raisons.
Une personne soumise n’a pas à accepter une activité BDSM qui ne lui convient pas, sous le prétexte qu’une soumise, ça doit se comporter « comme ça ». Parce que « c’est ça être une soumise ».
C’est idem pour la personne dominante. Le carcan du « c’est ça être un Maître », fait des torts immenses. Nous ne sommes jamais loin de la figure du Prince charmant et de ses ravages…
La capacité à dire clairement non
Les 3 singes de la sagesse, linogravure sur papier japonais washi, impression au baren, Takuma Shindo, Exemplaire n°34/ 50. Dimensions : 15×12 cm.
Si quelque chose ne fait pas notre affaire durant une séance BDSM, il faut le dire pendant, sur le coup, sur le champ, on the spot. Pas après!
Après?
Après, il est trop tard. Le mal est fait.
Que le contexte en soit un de bonne ou de mauvaise intention, si la personne n’a rien dit ni exprimé pendant « l’acte BDSM » sous prétexte que ça se fait pas, qu’une soumise ça n’a pas le droit de parler, qu’elle ne peut pas faire ça, qu’elle ne veut pas faire de peine, qu’il ne faut pas disqualifier l’autre dans sa dominance, trouvez le motif que vous voulez, je m’excuse, mais cette personne ne peut pas reprocher à l’autre a posteriori de ne pas l’avoir « décodée » sur le moment.
On ne parle pas ici des cas où dans la jungle de la concurrence féroce, une actrice se rend chez un producteur pour obtenir un rôle… (et où le gros bout du bâton n’est certainement pas toujours du côté que l’on croit…)
On parle ici de Monsieur et Madame tout le monde.
Si c’est trop difficile de dire non…
C’est beaucoup trop commode de rejeter sur les autres un prétendu manque d’écoute et de sensibilité (ce qui est une probabilité relativement forte aussi, remarquez), alors qu’il y a aussi fort plausiblement un manque d’expression au départ… sous prétexte qu’une vraie soumise, ça ne pose pas de question… qu’un vrai Maître, ça ne se justifie pas… vous savez, ce genre de discours insupportable d’irresponsabilité.
Nous sommes des adultes, bordel. Pis des adultes, ça met leurs culottes. Pas juste les enlever…
S’il est trop difficile pour vous de dire *sur le coup* que quelque chose ne vous convient pas… si vous n’êtes pas en mesure ou si c’est trop difficile pour vous de dire non au moment où il faut le dire, à la bonne personne…
Eh bien, vous savez quoi? en ce cas, on ne s’adonne pas aux jeux érotiques de pouvoir. On ne fait pas de BDSM ou de corde, ou…
C’est aussi simple que ça.
La responsabilité dans la relation de pouvoir érotique, elle va dans les deux sens.
Est-ce utopique de penser ainsi?
L’article Créer une utopie sexuelle est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.