Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Extatiq.
Bonjour peux- tu te présenter ?
Je suis extatiq sur twitter. J'ai 26 ans, je travaille dans un établissement scolaire, je suis lesbienne, cis et blanche.
Depuis quand es-tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est-ce venu progressivement ?
J'ai l'habitude de dire que je suis devenue féministe à cause de Soral, c'est un peu une exagération, mais fin 2006, je suis tombée sur des vidéos dailymotion de lui dans C'est mon choix, il était particulièrement anti-féministe et très virulent. Ca m'a intriguée, je suis allée lire sur le féminisme et j'ai découvert que j'en étais une.
A l'époque cela voulait dire quoi pour toi être féministe ? Est-ce-que ta définition a changé ou évolué depuis ?
A l'époque être féministe c'était revendiquer avoir le droit d'être traitée de la même manière que les hommes. Ca a évolué oui, parce qu'en vivant et en lisant, je définis surtout ça comme une lutte pour la survie, ça a pris une dimension personnelle aussi, mais c'est une lutte politique pour la survie dans un système d'oppression. En fait, que ce soit par mes expériences personnelles ou le peu de théorie que j'ai lu ces deux visions ont convergé vers une même définition.
Tu parles de "lutte pour la survie" : ce sont des mots très forts et très lourds. Beaucoup de gens n'ont pas conscience à quel point un système peut être oppressif. Peux-tu détailler ce point ?
J'ai conscience que ce sont des mots très forts. Ceci dit, les injonctions liés à ces oppressions sont étouffantes. Le stress post-traumatique que je vis m'a placée dans une survie personnelle quotidienne, mais au delà de ça, je n'aurai pas le courage d'affronter les blagues, les réflexions semi-ironiques et les éditorialistes qui épiloguent sur notre infériorité. Je lisais encore aujourd'hui quelque chose sur les différences d'évaluation lié au genre, et combien la sous-évaluation des filles dans les matières scientifiques par leurs professeurs leur instillait l'idée qu'elles n'étaient pas douées pour ces matières. A mon avis, baigner dans une culture qui attaque autant ce que tu es c'est destructeur et nocif. Et je parle ici du sexisme, mais ça ne lui est pas du tout exclusif.
Je te suis depuis longtemps sur twitter et tu demandes régulièrement aux gens de mettre des "trigger warning" ou "tw". C'est un concept encore assez peu connu et mal compris. Peux-tu nous expliquer ce qu'il signifie ?
C'est rigolo que tu poses cette question, parce que dans une certaine sphère militante sur twitter, j'ai fini par devenir, madame trigger warning. Et ça m'a poussé à moins en parler, parce que j'ai pas envie d'avoir cette étiquette sur le dos.
Je l'avais défini comme ça dans un de mes textes :
On peut traduire trigger par déclencheur dans le champ d’application de ces avertissements. Le champ sémantique du mot trigger en anglais est assez vaste puisqu’il signifie tout aussi bien gachette, détonateur, amorce ou déclic. L’usage du mot dans les milieux militants est issu du domaine psychiatrique puisque la notion de trigger fait référence à ce qui provoque un rappel de traumatisme.
Le terme est donc, à l’origine, très lié aux notions de PTSD (Etat de stress post-traumatique) et de survie à des événements traumatisants. Il est également utilisé pour désigner les événements, contenus, objets qui amènent des crises phobiques.
(...)
Sur internet, on retrouve des trigger-warning plus explicites et pensés comme outil utile non à une censure mais à une inclusivité plus grande, dans deux grands domaines, sur les travaux de fanfictions au sens large, mais aussi dans les contextes militants anti-racistes, féministes. La formulation des avertissements est parfois sujette à débat : « Doit on détailler ou pas leur contenu ? Quels contenus sont à signaler ? »
(...)
L’objectif n’est pas de protéger tout le monde. L’objectif est de permettre à des personnes à qui certains contenus occasionnent des situations d’inconfort extrême de pouvoir naviguer dans des espaces, prétendant lutter avec eux, et en les prenant en compte, sans craindre de voir survenir de manière impromptue les dits contenus.
Je ne vais pas faire la liste des moments où avertir d'un contenu est nécessaire et de ceux où on peut s'en passer. (il y a des textes sur Choses Aléatoires, sur le blog de Ca fait genre également qui en parlent). En fait je trouve que c'est une question importante parce qu'elle fait réfléchir à nos pratiques militantes, on a pour habitude de montrer l'horreur pour la dénoncer. Deux exemples très différents me viennent en tête immédiatement, récemment la photo d'Aylan Kurdi qui a continué à être diffuser après que sa famille a demandé l'arrêt de son utilisation, et il y a un peu plus longtemps les propos violemment transphobes, lesbophobes, homophobes et biphobes de la manif pour tous qui ont été surmédiatisés souvent sans contextualisation. A chaque fois on se dit que l'horreur va suffire (la liste des utilisations de cette logique militante est longue). Mais en fait il faut expliquer pourquoi on en arrive là, ce qui crée et maintient les systèmes d'oppression, parce que malgré ce qu'on peut croire, ce n'est pas évident.
J'ai largement dévié de la question initiale, mais s'il y avait une chose à retenir dans leur utilisation c'est ceci : Si on prétend lutter contre des injustices faites à quelqu'un mais qu'on utilise des techniques qui contribuent à tenir cette personne à l'écart de la lutte c'est qu'on a une pratique militante défaillante.
Ah et un ajout, on peut utiliser "avertissement de contenu" qui est certes plus long mais qui évite de rendre la lecture difficile à des personnes non anglophones.
Tu disais dans une question précédente que nous baignons dans une culture qui infériorise les femmes ; peux-tu en donner quelques exemples ?
Je vais préciser ma réponse, on baigne dans une culture qui insécurise les femmes et les personnes qui ne sont pas des hommes cisgenre plus globalement.
Ca marche sur ce que l'on est avec les injonctions intenables corporelles et de comportement. Les injonctions contradictoire (ex. Il faut que tu fasses du sexe sinon tu es coincée, mais pas trop sinon tu es une salope) sont quasiment impossible à éviter et elles essayer de les satisfaire est par définition complètement vain donc on est jamais sûr.e de soi toujours à se dire que peut être on devrait être autrement.
Et puis ça nous insécurise aussi sur comment on peut circuler dans l'espace public et ça tu l'as par exemple très bien montré dans tes articles sur la culture du viol qui nous apprennent à le craindre dehors et nous pousse à rester à l'intérieur. Donc insécurité sur sa personne et sur sa présence et dans l'espace public.
Et le temps qu'on passe à essayer de respecter ces injonctions toutes plus complexes les unes que les autres, on ne l'a pas pour se rendre compte que peut être finalement dans la manière dont on nous a orienté à l'école, peut être qu'il y avait du sexisme et on aurait pu se rebeller contre.
C'est comme ça que je vois la chose fonctionner, et c'est pour ça que ça me fait enrager quand on m'explique que le patriarcat a disparu avec la fin des lois sexistes sur la possibilité de travailler ou d'ouvrir un compte sans l'accord de son mari par exemple. On a certes détruit certaines structures légales, on n'est loin d'avoir détruit les structures mentales qui le perpétuent.
Te sens-tu militante ? Que mets-tu derrière ce mot ?
Je me sens militante, même si je me sens pas assez militante aussi. Je mets derrière ce mot lutter pour essayer de détruire les structures d'oppression. Je pense pas qu'il y ait UNE bonne manière de militer. En ce moment la façon dont je milite passe beaucoup par l'écriture de texte et puis j'ai créé un groupe de parole avec d'autres victimes de viol. J'ai quelques projets, un film sur lamanifpourtous et sont impact sur le milieu transpédébigouine et je voudrais monter une action sur le consentement à destination des ados en utilisant des médias qu'ielles utilisent beaucoup (comme youtube).
En tant que féministe lesbienne, as-tu l'impression que les féministes hétérosexuelles prennent en compte les demandes spécifiques que peuvent avoir les lesbiennes ?
Pas vraiment. C'est super agaçant de voir que couple c'est toujours couple homme-femmes dans la communication des assos les plus connues, dans les films sur le sexisme, ou dans les échanges entre militants. C'est un petit exemple, mais ça montre une certaine paresse dans la manière dont on envisage la lutte féministe.
Ca peut paraître minime et au final pas si grave sauf que ça a des conséquences graves, la questions des violences conjugales dans les couples de femme par exemple mérite qu'on s'y attarde. De même, il y a des chiffres qui sont alarmants sur les consommations de produits psychoactifs par les femmes non cis-hetero. Et ça c'est des trucs qui à mon sens méritent qu'on les explore. Et en tous cas qu'on nous laisse un espace pour l'explorer.
Tu souhaites réaliser un film sur le consentement à destination des ados ; pourquoi ce choix ?
Pour la réalisation de contenu sur le consentement à destination des ados en passant par youtube. Ca part de plusieurs constats, l'éducation à la sexualité à l'école est assez sommaire et beaucoup plus tournée vers le contraception que vers le consentement. Il y a des gens qui font des choses intéressantes sur la sexualité sur internet. Ceci dit, je le vois au quotidien au travail, ce qu'on peut dire dans un petit coin de twitter/tumblr ou sur un blog est pas toujours accessible et il y a finalement peu de chose sur le consentement dans le youtube francophone. Pour l'instant c'est vraiment à l'état d'ébauche. Mais l'envie est là.
Extatiq collabore au blog participatif Choses aléatoires.
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