Erin E. chronique pour Sexpress un livre que n’aurait pas renié le groupe Odeurs : « Le concierge », de Jean-Michel Jarvis.
Le concierge – J.M. Jarvis – Ed. Tabou
Aujourd’hui c’est vendredi et comme tous les vendredis, Jacques Marette, le concierge, cire lentement, avec application, l’escalier en chêne qui dessert les six étages de l’immeuble où il officie depuis 35 ans. Mais ce n’est pas l’odeur de l’encaustique, qu’il étale avec le plus grand soin que ce drôle de concierge préfère, c’est la qualité et la profondeur de champ de vision que son travail lui permet ce jour-là. Car Jacques Marette est un voyeur, un voyeur et un grand amateur d’entre-jambes de demoiselles. Et le vendredi, le dessous des jupes de toutes les jeunes filles de l’immeuble se dévoile à lui, si tant est qu’il reste assez longtemps accroupi à frotter les marches de ce grand escalier. Un voyeur mais également un collectionneur de petites culottes déjà portées ; un concierge avide d’effluves puissantes, que les notions de bienséance et de morale traditionnelle ont déserté depuis sa plus tendre enfance.
Répugnant, provocant, addictif
Le personnage inventé par J.M. Jarvis est présenté comme répugnant par son auteur même, affublé des pires défauts, et des fantasmes les plus tordus. Mais la pointe de dégoût qu’il inspire n’empêche pas de suivre ses tribulations dans l’immeuble avec beaucoup de plaisir, à l’instar des jeunes femmes qui croisent sa route et qui se prêtent à ses jeux érotiques. La provocation est ici permanente, et se satisfait de tous les contrastes entre le sale et le propre, la pureté et le nauséabond. Le schéma est assez simple, mais les scènes sont drôles et plutôt bien écrites. Elles se veulent transgressives, de la scène initiatique, traditionnel point de départ des perversions du héros, en passant par un catastrophique séjour à la campagne, ou d’acrobatiques cours de gymnastique. Les jeunes filles de bonne famille en perdent aussi un peu de leur superbe, mais c’est pour mieux apprécier tous les charmes de la mixité sociale …
Dans la veine d’Esparbec, l’équilibre est vite trouvé ici entre la dimension érotique, ou pornographique des scènes et des situations décrites et leur humour. Rien de sérieux, et rien de vraiment dérangeant dans ce récit bien rythmé. J.M. Jarvis s’éloigne dans ce roman-là, du réalisme et du mélange des genres inévitables qui caractérisaient ses deux autres ouvrages, ZEP et Snuff movie, qui oscillaient entre critique sociale et pornographie, et c’est tant mieux.
Entre Proust et hérisson
Dans un cadre très resserré, guère plus grand que la cage d’escalier de l’immeuble et la loge du concierge, les situations gagnent en tension érotique et en second degré, délivrant un récit plaisant et excitant, avec un personnage masculin qui fonctionne mieux que les femmes de ses deux autres romans. Plus légères et beaucoup plus drôles, les aventures de Jacques Marette forment un écho aux timides émois de la concierge intello de l’Elégance du hérisson, elle aussi enfermée dans sa loge pour satisfaire ses passions secrètes. A l’amatrice de Marcel Proust – auteur d’ailleurs de la plus célèbre scène de voyeurisme dans une cour d’immeuble de la littérature – J.M. Jarvis offre un pendant masculin et déjanté, qui n’a pas totalement évacué tous les bons sentiments, mais qui s’assied quand même largement dessous, voire pire … Nez délicats, s’abstenir.
Le concierge. J.M. JARVIS. Ed. Tabou, 2014.
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