A l’aube de mes trente-trois ans, on me demande de plus en plus si j’envisage de fonder une famille, de me marier, d’avoir des enfants. Il y a encore quelques années j’étais catégorique : la question ne se posait même pas. Ma vie était consacrée au porno, aux scènes, au sexe, à l’insouciance , aux sensations fortes, à l’argent qu’il faut vite mettre de côté, aux projets qu’il faut sans cesse renouveler… à moi. “Qui m’aime me suive”. Même en étant en couple, je pensais alors en tant que hardeuse avant même de penser en tant que femme. Il n’y a pas de hasard , on excelle dans sa discipline que si on s’y livre corps et âme, et se donner dans un tel métier implique forcément de partager son intimité au risque de ne pas la préserver pour la personne qu’on aime. Comment vraiment blâmer quelqu’un qui s’adonne pleinement à sa passion, vit pour ressentir et partager le plaisir ?
Attitude douloureusement paradoxale cependant car généreuse et égoïste: on donne à soi, au plus grand nombre, mais au final c’est sa vie privée et sentimentale qu’on choisit de sanctionner . Peu importe à ce moment-là ; on ne culpabilise pas. Le porno est alors une priorité. Il vous submerge et vous l’acceptez avec joie. Il n’y a pas de sacrifice quand on aime, il n’y a que de la générosité.
En ayant fait un tel choix de carrière il y a presque douze ans il me semblait donc inenvisageable de songer à devenir maman et surtout il n’était pas question de renoncer à une vie de libertés, de voyages, de la vie dont j’avais toujours rêvé et dans laquelle je m’épanouissais. Jusque là tout allait “bien”. Et BAM ! Voilà que l’amour vous frappe de plein fouet. Il vous surprend comme un clown monté sur ressorts vous sautant au visage avec son gros sourire narquois. Vous aviez ouvert cette boîte par curiosité, vous vouliez jouer. Et puis le jeu est devenu obsessionnel, sérieux, vital, à ne plus être un jeu, à en changer votre vie. Vous voilà amoureuse, vous virevoltez, vous planez, vous avez la foi, l’infini vous semble à portée de main, et vous en arrivez à oublier ce que vous faites, vous oubliez vos centaines de scènes diffusées sur internet, votre réputation, votre étiquette. Vous êtes connue parce que vos fesses sont exposées sur des écrans de télé, parce que vos prouesses sexuelles sont téléchargées de manière illimitée. Les mots “salope, pute, chienne…” sont associés à votre nom mais vous vous en foutez. Ça fait partie du métier, du personnage que vous aimez incarner. De toutes manières, vous ne pensez pas, vous êtes amoureuse. Votre cerveau ne pense plus performance et productivité mais équilibre et sérénité. Le bonheur vous suspend dans un espace-temps où rien ne peut vous atteindre. Vous êtes au-dessus de tout. Vous êtes heureuse dans un monde… qui n’est que le vôtre.
Mais dans le monde réel, vous êtes toujours hardeuse. La trentaine vous joue des tours et vous en riez à moitié. Une armée d’hormones est partie en vadrouille dans vos entrailles, c’est le bordel dans votre instinct de prédatrice. Si vous aimez toujours, même plus encore le sexe qu’à vos vingt ans, que vos fantasmes sexuels et vos frustrations continuent de se démultiplier, vous voilà à flâner dans les “rayons bébé”, à déplier sur votre pouce les mini-chaussons de laine, à comparer les pyjamas en coton, les bavoirs, les biberons. Vos yeux brillent d’une lueur nouvelle. Peut-être parce qu’une larme vient de naître. Il n’y a pas si longtemps vous vous exaspériez devant le gamin qui braillait dans l’avion, petite boule de nerfs, petit monstre à caprices, vous sortiez alors vos boules Quies ou augmentiez le volume de votre iPod. ACDC. Highway to Hell.
Aujourd’hui vous vous surprenez à rester muette, à esquisser un sourire béat. Vous éprouvez une soudaine empathie pour vos parents qui vous ont élevée… supportée. Qui sont là, toujours là pour vous. Vous vous sentez bête. Vous éprouvez de la tendresse et de l’admiration pour la maman remplissant son caddy, vous vous liquéfiez devant le papa qui gazouille avec son marmot. Vous enviez leurs rires, leur lien, cet amour inconditionnel que vous ne connaissez pas.
Le soir, devant votre miroir vous vous demandez si la rondeur de votre ventre est le résultat de quelques excès de gourmandise ou si, par magie, un petit être se développe en vous. Vous posez votre main, caressez l’arrondi du ventre que vous relâchez au maximum. Quelque chose en vous souhaite plus que tout au monde sentir un deuxième petit cœur battre. Vous savez que cette idée est folle. Vous ne pouvez pas, vous n’avez pas le droit. Vous êtes actrice porno. Vous savez que vous avez blessé vos proches, votre papa qui a tant redouté de vous voir fréquenter de mauvais garçons, votre maman qui vous a vue grandir, qui vous a portée en elle, que vous avez fait souffrir, qui vous a vue pure, intacte, innocente. Un bébé. Vous avez grandi, vous les avez surpris, vous les avez déçus. Tous. Mais un jour vous avez fait votre choix. Vous avez coupé le cordon et l’avez piétiné, être adulte c’est prendre ses propres risques, c’est aussi revendiquer le droit à sa propre liberté sexuelle. Vous avez donc cédé à votre instinct et vous ne le regrettez pas. Vous avez conscience que ce choix était égoïste vous qui avez eu la chance d’avoir eu une enfance chouchoutée, protégée, aimée . Mais votre nature n’est pas de suivre la norme. Vous n’êtes pas si sage. Le porno était votre voie , vous lui donnez tant, et il vous donne tant en retour.
Vous aviez environ vingt-ans quand vous avez choisi le X. Vous ne pensiez pas au lendemain. C’est aussi cela avoir vingt ans. Votre sexualité n’est pas censée être le problème de vos proches, ce corps est le vôtre, ils n’ont qu’à fermer les yeux, ne pas cliquer, ne pas zapper, ne pas chercher à vous regarder. Vous faites du porno parce qu’il est étroitement lié à votre sexualité et votre sexualité c’est aussi ce que vous êtes. Le porno fait partie de votre vie, votre histoire, vous. En tout cas pour l’instant. Car un nouvel amour pointe le bout de son nez. Celui de cet enfant qui est déjà né dans vos rêves. Vous observez les autres couples, ces papas , ces mamans du porno qui tournent la journée et rentrent border leurs enfants le soir. Ils suivent leurs devoirs à l’école, organisent de magnifiques fêtes d’anniversaire, ils sont attentifs, aimants, pour la plupart ce sont de “bons parents”. En tout cas ils font en sorte de l’être. A les entendre tout se passe plutôt bien.
Assez normal quelque part. Ces enfants sont… des enfants ou encore de très jeunes adolescents. Ils ne savent pas. Ils ne savent pas qu’après avoir été déposés à l’école Papa part faire une scène de domination avec une autre femme qui n’est pas Maman. Et parfois même une femme avec qui Maman ne s’entend pas du tout. Une femme qui pourra un jour les séparer. Il ne sait pas que Maman continue elle aussi de se dénuder, que les autres Papas la regardent et la désirent. Il ne sait pas, il est protégé dans le secret, le non-dit, le mensonge, le tabou. Il le faut. A vrai dire il n’y aurait pas de question à se poser si la vie sexuelle de Papa-Maman restait dans la sphère privée comme pour tous les autres parents. Être maman ne signifie pas renoncer à être “salope”.
Fort heureusement, être parent ne signifie pas renoncer à ses fantasmes, à sa vie d’homme et de femme. Mais la sexualité d’un acteur, d’une actrice porno s’expose dans la sphère publique. C’est le boulot. Préserver la pudeur dans le cercle familial est par conséquent quasi impossible. Les images circulent et, tristement, elles circulent d’autant mieux quand il s’agit de blesser l’autre. Un jour viendra où le copain de classe dira “Regarde, il y a ta mère qui se prend une sacrée fessée par trois mecs.” “Regarde, ton père se tape des filles qui ont l’âge de tes sœurs… de ta petite-copine.” “Et toi ? Fille de hardeuse, es-tu comme ta mère ?” “Toi, fils de hardeur, es-tu aussi performant ?”
“Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler.” Ces paroles de sagesse sont-elles vraiment applicables? Jusqu’à quel point ? Le bonheur n’est-il possible qu’en restant dans l’ignorance ? Être en couple et faire du porno, nous l’avons vu, peut déjà donner lieu à des situations complexes, douloureuses, aliénantes. Chaque être humain devrait conserver ce droit naturel et fondamental à pouvoir fonder une famille quelque soit son métier, sa culture, sa religion, son rang social et même, son orientation sexuelle. Mais quel modèle des parents actifs dans l’industrie du porno peuvent-ils donner à leurs enfants ? Si je considère que le porno est une affaire d’adultes et qu’il faut cesser de lui demander de montrer le “bon exemple”en terme d’éducation sexuelle, j’ose espérer cependant que des parents devraient pouvoir, idéalement, servir de référence à leur descendance. La perfection n’existe pas bien sûr et on peut être être faible, commettre des erreurs, vivre en marge de la société, et néanmoins se révéler être un excellent parent. Enfanter c’est aussi renaître, se donner une nouvelle chance en prenant soin d’une vie dont nous sommes responsables, l’encourager à s’épanouir en faisant aussi ses propres choix.
Peut-on faire du porno et être parent ? Comment préparer son enfant à appréhender la vérité sans l’exposer au traumatisme ? Je vous pose la question…
Et je vous proposerai très bientôt des témoignages de parents acteurs et actrices porno…
Katsuni
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