"Equality in the realm of sex is an antisexual idea if sex requires domination in order to register as sensation."
Andre Dworkin, Intercourse.
Elle travaille dans un magasin de bricolage, qui, depuis peu, peut ouvrir le dimanche. Un accord d'entreprise permet que les salariés seront payés double ce jour-là (et cela n'est pas le cas dans toutes les entreprises). Elle a deux enfants, est mère célibataire et travaille à temps partiel dans cette entreprise.
Son supérieur lui propose de travailler désormais les dimanches ; un rapide calcul lui permet de se rendre compte qu'elle n'a aucun avantage à accepter sa proposition (faire garder ses enfants les dimanches travaillés lui coûterait trop cher) et elle refuse. Son supérieur la menace alors de la pousser à la faute et de la virer pour faute grave.
Elle accepte de travailler le dimanche.
Est-ce qu'elle a consenti à ces heures de travail dominicales ?
Elle était confrontée à deux possibilités :
- travailler le dimanche, ce qu'elle ne souhaite pas faire et garder son travail
- ne pas travailler le dimanche, suivre son souhait et perdre son travail
(Il y a évidemment une 3eme option qui consisterait à faire appel à un syndicat, aller aux prudhommes mais pour la démonstration on ne l'abordera pas ici).
Chacun-e constatera que les deux possibilités ne sont pas équivalentes. Elle est une salariée précaire, avec deux enfants à charge et ne peut prendre le risque d'être renvoyée. Consentir à quelque chose nécessite d'avoir le choix entre plusieurs propositions à peu près équivalentes ce qui permet de faire un choix éclairé. Elle ne consent donc pas à travailler le dimanche, elle cède sous la menace.
Faisons un bref aparté, sur le terme "choix éclairé". Il est bien évident que nous subissons des déterminismes sociaux et qu'un choix apparemment libre est aussi fait en fonction de ces différents déterminismes ; une mère célibataire précaire est justement à cause de ce qu'elle est soumises à des déterminismes qu'il est difficile pour elle de combattre. Pour autant nous ne sommes pas faits que de ces déterminismes - du moins je ne le crois pas - sinon on ne pourrait simplement pas parler de consentement.
Autre cas. Elle travaille dans cette entreprise de bricolage qui ouvre désormais le dimanche. On lui propose de faire des heures le dimanche sans pression extérieure (même si évidemment les propositions d'un supérieure, surtout envers un-e salarié-e précaire - sont difficiles à appréhender comme "sans pression"). Son réfrigérateur a récemment claqué et il n'est pas possible avec deux jeunes enfants de faire sans ; cela nécessiterait de faire les courses au jour le jour, donc d'acheter en petite quantité ce qui coûte beaucoup plus cher. La seule possibilité pour racheter un réfrigérateur est de faire un crédit à la consommation, seul type de crédit ouvert aux travailleurs précaires comme elle. Les heures du dimanche payées double présentent donc un intérêt car elle pourra sans doute escompter une augmentation de 150 euros par mois ; ce qui lui permet de se payer un réfrigérateur rapidement. Elle fait le calcul de ce que va lui coûter son travail du dimanche (lever tôt les enfants un weekend, les emmener chez sa mère, un temps de trajet allongé car il y a moins de bus le weekend, retourner chez sa mère, récupérer les enfants etc) et ce que cela lui coûtera de ne pas les faire ; l'obligation de faire un crédit à la consommation qui la mettra dans de grandes difficultés très durablement.
Elle a fait un choix entre deux propositions, aucune des deux n'est réellement très réjouissante pour elle. En sociologie, on parle d'agency (agentivité en français) c'est-à-dire la capacité d'un sujet à agir dans un contexte où il ne domine pas forcément. "L’agency renvoie alors à une puissance d’agir qui n’est pas une volonté inhérente au sujet, plus ou moins attestée, mais le fait d’une individue qui se désigne comme sujet sur une scène d’interpellation marquant la forte présence d’un pouvoir dominant. " Dans le cas qui nous occupe, elle fait effectivement un choix qu'on ne peut nier, mais lié à de fortes contraintes économiques pesant sur elle et sa famille. On peut être agent (agir donc) et aussi victime de ce choix ; nul doute qu'elle aura de lourdes contraintes à travailler le dimanche. Mais elle a estimé que dans son contexte, c'était le "moins pire" des choix s'offrant à elle.
Peut-on ici parler de consentement ? C'est plus difficile de trancher. Avait-elle vraiment le choix de refuser ce travail du dimanche ?
Cela rappelle une phrase de Romeo et Juliette, rappelée par Nicole-Claude Mathieu " My poverty, but not my will, consents" (ma pauvreté et non pas volonté, consent").
Autre cas. Elle est toujours dans la même situation avec un réfrigérateur toujours en rade. Sa mère lui a proposé de lui en payer un mais on lui propose aussi de faire des heures de dimanche. Là encore, elle pèse le pour et le contre et décide de faire des heures de dimanche plutôt que de dépendre de sa mère qui ne manquerait pas de lui faire payer le frigo par des remarques assassines. Là encore elle a eu le choix entre deux possibilités et a choisi celle la plus intéressante pour elle.
A travers ces différents exemples, on constate que la question du consentement, du choix n'est pas simple à trancher. Mais alors qu'en est-il au point de vue sexuel ? Il ne s'agit évidemment pas de comparer le travail du dimanche et le sexe mais de justement démontrer que si c'est déjà compliqué de décider du consentement d'une personne dans le cas d'un travail alors cela l'est encore davantage dans le domaine sexuel puisque le sexe n'est pas - et ce dans aucune société à ma connaissance - considérée comme une activité "comme une autre". Si nous avons justement des lois sur les crimes sexuels, c'est parce que le consentement en matière sexuel est considéré comme plus important que le consentement dans d'autres domaines.
Rappelons que je ne suis pas ici en train de parler de consentement au sens légal du terme (la loi française n'emploie d'ailleurs même pas le mot "consentement"). Inutile donc devenir m'expliquer qu'il y a viol ou pas viol ; cela n'est pas le sujet.
Comme le rappellent plusieurs féministes (Mathieu, Dworkin) on ne peut faire comme si les femmes étaient des sujets égaux aux hommes dans une société marquée par la domination masculine ; on ne peut faire comme si les mêmes contraintes pesaient sur les femmes et les hommes ou comme, comme certain-es l'ont prétendu, on pouvait inverser les rôles dans un contexte sexuel hétérosexuel. Pour Dworkin il devient extrêmement difficile de parler de consentement dans la sexualité hétérosexuelle dans la mesure où elle est entièrement axée sur la pénétration du vagin par le pénis. Les termes utilisés sont en eux mêmes masculino-centrés ; on parle de pénétration par le pénis et non pas par exemple d'absorption par le vagin. La plus grande pauvreté des femmes - et ce partout dans le monde - les rend moins aptes à consentir. Mathieu rajoute que le fait d'être constamment en charge des enfants, de devoir être à la disposition, d'avoir continuellement l'esprit occupé par eux, empêche parfois et souvent de se concentrer sur ses propres droits, ses envies, ses désirs. Dworkin montre enfin que les rapports sexuels sont sinon une obligation dans le mariage du moins une condition du mariage (sinon on parle de mariage blanc), il devient donc difficile de parler, en leur sein, d'un acte pratiqué librement par les femmes. Enfin rajoutons qu'on nous éduque tous et toutes à croire qu'un homme non satisfait sexuellement devient potentiellement dangereux, il semble donc compliqué là encore de penser que les femmes ont toute latitude à consentir à un acte hétérosexuel.
Même si je souscris, sur ce sujet, aux positions de Dworkin, je considère qu'elles ne peuvent être utilisées hors d'un cadre théorique puisque nous avons besoin de savoir, au delà du "les femmes en tant que classe dominée ne consentent jamais" comment on reconnait le consentement dans nos relations.
On aura compris que le consentement consiste à pouvoir choisir entre plusieurs propositions qui ont toutes un intérêt équivalent.
Dans le domaine sexuel, consentir consiste à avoir le choix entre oui et non et que ce oui et ce non aient la même valeur.
- si dire "non" va vous valoir un poing dans la figure : vous ne consentez pas.
- si dire "non" va vous valoir des menaces d'en parler à vos parents/collègues/voisins, de diffuser des photos de vous nu-e, vous ne consentez pas.
Pourquoi ne consentez-vous pas y compris dans le deuxième cas ? Car les deux propositions n'ont pas un intérêt égal.
Dans le cas de la menace de la divulgation des photos, vous êtes face à deux propositions :
- être contrainte à coucher avec quelqu'un
- ne pas coucher avec lui et voir les photos de nue diffusées ce qui vous apportera beaucoup d'ennuis, et ce durablement.
Ces deux propositions ne vous laissent pas la possibilité de choisir en y trouvant un quelconque intérêt ce qui est le deuxième point en matière de consentement ; il faut y trouver un intérêt, quel qu'il soit.
Abordons maintenant un exemple courant vécu par beaucoup de femmes vivant en couple hétérosexuel. Les statistiques ont montré que plus les couples hétérosexuels ont des enfants, plus la charge de travail domestique (incluant les soins aux enfants) des femmes augmente, alors que celle des hommes n'augmente que très peu voire diminue. (au passage, le lien inclut le bricolage et le jardinage, tâches que des hommes sont toujours prêts à brandir aux féministes pour justifier l'inégalité en matière de tâches ménagères ; on ose espérer qu'on n'y reviendra plus après qu'ils aient vu ces statistiques ).
Prenons le cas d'une femme, 3 enfants donc 2 de moins de 3 ans et qui travaille à temps complet. C'est elle qui s'occupe principalement des enfants. Son temps de sommeil est donc plus que réduit et sa fatigue extrême. Son mari lui demande régulièrement d'avoir des rapports sexuels le soir.
Elle a calculé qu'elle a environ 3 heures de sommeil entre deux réveils d'enfants.
Deux possibilités s'offrent donc à elle :
- ne pas céder à son mari et voir ses précieuses minutes de sommeil gaspillées par les plaintes du mari qui supplie, demande, feint de promettre je ne sais quoi
- céder à son mari et dormir rapidement ensuite.
Y-a-t-il consentement ?
Les deux propositions qu'elle a n'ont que peu d'intérêt ; les deux sont très contraignantes pour elle. C'est la fameuse phrase féministe "céder n'est pas consentir" qui signifie justement que si les deux propositions ne sont pas d'un intérêt à peu près équivalent, alors on ne consent pas. On cède.
Mais est ce que le consentement c'est le désir ?
Je crois qu'il convient de dissocier les deux ce qui ne signifie pas pour autant que le désir n'est pas important.
De manière schématique les hommes sont éduqués à voir leur désir comme mécanique (l'érection), naturel, quasi spontané et instinctif. C'est un désir qui doit être satisfait car un homme non satisfait sexuellement (la fameuse "misère sexuelle") fait n'importe quoi ; c'st ainsi qu'on nous explique que c'est à cause de leur célibat que certains prête sont pédocriminels. (alors que l'immense majorité des pédocriminels est marié).
Le désir des femmes est plutôt lié aux hommes et à l'amour qu'elles leur portent ; on entend ainsi souvent que le désir des femmes est "cérébral", "lié à l'amour". Les femmes sont davantage éduquées à faire plaisir aux hommes (souvenez vous du désormais célèbre article de Elle, la pipe le ciment du couple - "et la cyprine c'est du MAP?" ai-je envie de demander).
Il importe donc, évidemment, d'expliquer aux adolescentes que leur désir est important, que leurs envies le sont également.
Pour autant, on peut consentir sans aucune envie ; une adolescente peut décider d'avoir des rapports sexuels pour faire comme les autres, pour se débarrasser de sa virginité. Elle n'a pas forcement de désir sexuel mais elle consent bien.
Et à l'inverse, comme on me l'a fait remarquer sur twitter, on peut très bien désirer et ne pas consentir. On peut avoir envie de sexe mais se sentir trop fatigué, avoir mal au crâne, une cystite, bref d'autres choses à penser et à faire.
Consentement et désirs ne sont pas liés. Encore une fois, je le répète il est extrêmement important d'inculquer aux ados que le désir des femmes est important et qu'on doit en tenir compte (car on tient en général compte du désir des hommes du moins dans les couples hétérosexuels cisgenres). Mais on peut consentir sans désir et désirer sans consentir.
Consentir peut donc se définir comme le fait, comme je l'ai déjà expliqué d'avoir le choix clair, formulé, explicite de pouvoir dire non.
Peut-on dire non sans craindre des conséquences désagréables ? Peut-on dire non en se sentant en l'aise, sans avoir peur ?
Et à l'inverse comme la question m'est souvent posée par des hommes, comment reconnaît-on le consentement ?
Le consentement ne se reconnait pas à des phénomènes physiques ; si votre partenaire à une érection, ou mouille, il ou elle ne consent pas forcément.
Si vous la connaissez, demandez. Si vous la connaissez peu ou pas, demandez encore plus. Vous considérerez que demander nuit à l'excitation ? j'en avais parlé dans ce texte nous avons en effet été éduqué-es dans l'idée que le non consentement sexuel féminin est excitant. Pour autant cela peut et cela doit changer. Donc demandez. Pas la peine de faire des longues phrases. Et au moindre doute, si vous avez l'impression que quelque chose ne va pas, que la personne se force éventuellement, ne vous dites pas que cela la concerne et qu'elle n'a qu'à s'exprimer. Si vous vous êtes senti assez proche d'elle pour avoir des relations sexuelles alors vous pouvez vous sentir assez proche d'elle pour faire attention aux non-dits éventuels.
Un acte sexuel n'implique pas que la personne consent à la totalité des actes sexuels possibles et imaginables ; le consentement se redemande pour chaque acte sexuel.
C'est désagréable et tue l'amour selon vous ? Demandez vous plutôt pourquoi vous pensez que savoir que l'autre est consentant-e est tue l'amour.
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