Merci. Merci. Oh merci à toutes et à tous.
Il y a 14 ans j’ai créé la NUIT ELASTIQUE à Paris, 7 ans après avoir organisé la toute première soirée fétichiste de Belgique, mon pays natal. Durant près de 13 ans celle-ci a connu des périodes de succès variables, vu évoluer sa formule, s’est ouverte sur d’autres univers musicaux et esthétiques, vu son public se transformer mais n’a jamais traversé de véritable difficultés.
En juin 2011 nous quittions les Caves Lechapelais parce que son état de délabrement était tel qu’il était devenu quasiment impossible d’y travailler et de vous y accueillir. Mais passons.
La crise avait déjà frappé mais pas suffisamment fort pour mettre la soirée en danger. Nous avons donc décidé de déménager sans trop d’inquiétude.
Ce qui nous attendait allait être d’une autre teneur. Comme tous les autres organisateurs de soirées, quel qu’en soit le thème, j’allais voir les rentrées financières perdre mois après mois 20 à 30%, une diminution qui met toute soirée régulière en péril.
Il a fallu faire des économies partout, tout renégocier, demander des délais de paiement, réduire l’équipe, réduire les frais jusqu’au plus bas possible, tout cela non pas pour continuer à vivre mais pour que la NUIT ELASTIQUE ne coule pas purement et simplement. La NUIT ELASTIQUE n’avait plus aucun moyens, les caisses étaient plus que vides, le matériel ne pouvait plus être remplacé, ni réparé, je ne pouvais plus me rembourser aucun frais et j’ai commencé à m’endetter personnellement sérieusement pour tenter de sauver celle qui m’aime depuis plus longtemps que n’importe qui d’autre : ma soirée. Je ne parvenais pas à me résoudre à rompre avec elle, à l’abandonner malgré les avis d’huissiers.
Avant chaque soirée j’étais pris de panique, de crises d’angoisse en pleurant et en hurlant sur mon lit en pensant que j’allais encore pourrir un peu plus ma situation financière, apporter un peu de fête aux autres certes mais repartir seul, un peu plus endetté encore et en me posant de plus en plus la question : faut-il que je continue à faire vivre un espace de liberté et de plaisir où tout le monde s’amuse sauf moi ?
Mon histoire personnelle qui fait que l’immense majorité des gens pensent que je suis un grand patron à la tête d’une immense entreprise, alors que je n’ai pas d’entreprise, ni de société, que je ne suis qu’un simple employé dans les endroits où vous me voyez (je ne figure pas parmi les cadres et je n’y ai même pas une seule action dans ces boîtes), que je n’ai jamais eu dans ma vie le moindre bien (ni appartement, ni maison, ni voiture…) et que je viens d’une famille modeste qui n’a jamais pu me soutenir qu’avec de la tendresse et des mots d’encouragement. Ce qui est déjà pas si mal.
Dans ces conditions il est très difficile de demander de l’aide, du soutien et de la patience. Je me suis retrouvé tout seul à devoir faire tout ce qu’il y a à faire avant et après la soirée, sans plus aucun budget pour celle-ci, sans moyens pour ma propre vie, à préparer des buffets pendant deux jours dans ma cuisine, faire la promotion comme je le pouvais et sans collaborateurs pour réfléchir ensemble à des idées nouvelles, je me suis transformé en robot dépressif, désespéré mais curieusement je suis resté absolument obstiné, me disant que c’était juste un mauvais moment qui allait passer alors qu’il passait allègrement de deux mois de désastre, à six mois, à un an et enfin à quatorze mois. Pour tout dire j’étais fini, perdu, noyé, je marchais au radar, je tentais de sourire mais rien ne me permettait d’espérer que je puisse m’en sortir et sauver cette satanée soirée.
Puis, il faut croire que les miracles ça existe finalement, est arrivé ce mois de septembre, celui de mon anniversaire et en plus la soirée tombait le jour précis de mon anniversaire. Moi qui ne croit strictement en rien, je l’ai pris comme un signe des dieux, il ne restait plus que la superstition pour croire encore à quelque chose. Je me suis dit foutu pour foutu, je vais prendre mon pied cette fois-ci, danser toute la nuit sur la musique qui me sauve et me fait tout oublier, j’ai été voir les trois autres DJ’s résidents de la soirée (dont la fidélité est incroyable) et je leur ai dit que pour mon anniversaire c’était donc à moi de choisir le thème et que mon choix s’était porté sur 100% musique électronique. Une chose pas vraiment complexe pour eux qui en mixaient déjà en tout ou en partie, mais qui était une révolution pour moi qui étais jusque là un DJ rock et ceci depuis vingt ans. Je crois que tous pensaient que j’allais venir avec des remix new wave, des années 80, du Prodigy et du Chemical Brothers. Pas du tout. J’en étais à la limite du supportable, cette nuit-là j’étais au plus profond du désespoir et bien décidé à ne passer que ce que je voulais, que tout le monde pouvait aller se faire foutre et quitte à s’endetter je ne ferais plus d’effort pour personne.
Et, allez comprendre pourquoi, sans doute le travail mené depuis un an sans que je l’analyse à tête reposée et le fait que je connaisse parfaitement le son que je balançais, mon premier sourire depuis longtemps est apparu à ce moment-là. Je souriais seul face aux machines, n’osant trop lever la tête et jeter un regard vers la piste de danse, je n’avais plus envie de faire plaisir à qui que ce soit et je ne voulais pas entendre de demandes ou de reproches. Ne surtout plus me laisser influencer.
A un certain moment il a bien fallu que je relève la tête et là le monde avait changé, la soirée débutait à peine et voilà que la piste de danse était pleine et que la soirée était déjà bizarrement bien pleine également avec les gens qui faisaient des bêtises dans tous coins, nous venions pourtant d’ouvrir les portes il y a à peine un peu plus d’une heure. Ils souriaient, ils s’éclataient comme ils le faisaient il y a un moment, il y a belle lurette, trois ou quatre ans dirais-je. La soirée a connu ce jour-là un succès qui a dépassé de très loin et à tous points de vue ce qui s’y passait depuis bien plus d’un an.
La suite de l’histoire est plus légère, les deux mois suivants le succès ne s’est pas maintenu mais il été en forte croissance. Je n’ai jamais reçu autant de remerciements (sauf après certaines éditions de la Nuit Dèmonia mais ici tout ne pouvait s’adresser qu’à moi puisque il y a bien longtemps que la plupart m’avaient lâché en me disant qu’il n’y avait aucune crise que j’étais juste devenu incompétent et tombé sous l’emprise de ceci-cela), de signes d’affection, d’encouragement, d’aide et de soutien.
Les problèmes financiers sont en train de s’effacer pour de bon, tout le monde s’éclate moi y compris. La formule de base n’a pourtant pas vraiment changé, il y a juste eu connexion entre plusieurs choses : j’ai travaillé pendant un an triste mais obstiné à faire la promotion, à calculer tout au plus juste, j’ai appris à me passer des autres, appris à ne plus travailler encadré par une équipe et à ne plus écouter les idées des autres (je n’écoute que ceux qui mettent la main à la pâte, ayant découvert que les gens qui ne font que parler n’ont jamais de vraies bonnes idées car ils ne mesurent pas ce que cela représente concrètement).
Peu d’entre vous savaient que la NUIT ELASTIQUE allait très mal financièrement, certains avaient connaissance de soucis et, à vrai dire, tout le monde s’en fichait, ce qui est d’ailleurs assez normal, c’est à l’équipe de trouver des solutions et donc à moi car l’esprit d’équipe s’était réduit à venir me rejoindre sur place le soir-même et puis c’est tout.
Tout ceci pour vous dire à que mes remerciements sont profonds et sincères, à vous toutes et tous qui faites la fête dans ma soirée (aujourd’hui je sais que c’est MA soirée et que plus personne ne peut venir prétendre à une quelconque co-paternité). Vos sourires, vos messages, vos mots doux, le fait que vous relayez les informations, fassiez circuler les flyers, conseilliez à vos amis de vous rejoindre ou de vous accompagner, écriviez ici comme ailleurs tout le bien que vous pensez de la NUIT ELASTIQUE, tout cela me touche énormément, bien plus, bien plus vraiment, que vous ne pouvez le soupçonner tant je montre peu mes sentiments en public.
Aujourd’hui je sais que la soirée ne connaîtra plus de graves problèmes de ce genre parce que j’ai retrouvé le moral, que je m’entoure petit à petit d’une équipe nouvelle, jeune, fraîche et motivée, que nous sommes à l’écoute de tout et que tous les projets à venir connaissent déjà un succès incroyable bien avant leur déroulement.
Je finirai juste par remercier le patron de la Péniche Henjo qui toujours été là pour me remonter le moral, toujours trouvé des solutions aux difficultés financières et qui me disait chaque fois : « tu vas voir, ta soirée est bien, ça va venir ». Il avait raison. Et je voudrais remercier les quelques personnes très proches de moi qui connaissaient l’état financier de la soirée comme le mien et qui ont eux aussi cherché à trouver les mots et les idées pour que l’on s’en sorte. Ce sont ces petits détails qui ont apporté au fil des mois ce qui fait toute la différence aujourd’hui.
Maintenant, il nous reste plus qu’une chose à faire toutes et tous ensemble, nous amuser, prendre du plaisir, montrer le visage heureux, ouvert, tolérant et positif de la scène fétichiste et SM. Continuez à rire, à vous amuser, à danser toute la nuit, à vous aimer, à vous séduire, à vivre vos désirs les plus fous, à oser être ce que vous êtes au fond de vous, réalisez vos plus beaux rêves et vos pires fantasmes.
Vous êtes chez vous à la NUIT ELASTIQUE et si celle-ci existe encore c’est grâce à vous. Alors, encore une fois, merci. Merci.
Francis Dedobbeleer
Organisateur de la Nuit Elastique