James Taylor chante Woodstock de Joni Mitchell chez Howard Stein.
Il m’est arrivé de croiser plus d’une fois une femme soumise qui avait en horreur le mot « gentille » et la notion de gentillesse.
Ce constat m’a toujours frappé. Et fortement amusé.
Je n’ai jamais compris comment nous pouvions considérer la gentillesse comme une faiblesse, voire une tare. Particulièrement chez une personne soumise, et a fortiori chez une personne dominante.
Gentillesse? « Qualité, comportement habituel, fait de prévenance. » C’est-à-dire « disposition de celui (ou celle) qui va au-devant des besoins, des désirs d’autrui ». On est ici dans la champ de la bienveillance : « qualité d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui ».
Dans le contexte d’un échange de pouvoir érotique, ce sont des dispositions nécessaires à la bonne marche des opérations. Il me semble.
Viser le bien et le bonheur de l’autre
Joaquin Phoenix et
Kate Winslet, dans Quills de Philip Kaufman (2000).
Le but ultime de la personne dominante est de viser le bien et le bonheur d’autrui.
N’est-ce pas le même but que celui poursuivi par la personne soumise?
Nous pourrions nous mettre d’accord. Ça se passe de multiples façons, à des niveaux différents. Il faut considérer que les notions de « bien » et de « bonheur » revêtent ici un sens large du fait qu’elles diffèrent d’une personne à l’autre. Elles évoluent même, au sein d’une même personne, dans le temps, selon les contextes et avec qui.
Enfin, dans une relation inscrite dans la durée, viser le bien et le bonheur de l’autre passe par ma capacité à répondre à certains de ses besoins. Et peut-être certains de ses désirs…
Ça dépend de mes priorités.
Dévalorisée, la gentillesse?
Dans un statut Facebook de Philosophie magazine, je suis tombé sur cette question, « Pourquoi donc la gentillesse est-elle si souvent dévalorisée? ». J’ai cliqué sans attendre. J’avais hâte de connaître la réponse offerte.
La voici (in-extenso) :
« Découvrant votre question, je songe à ce proverbe normand – « gentillesse n’a qu’un œil » – qui associe la gentillesse à une vision limitée, tandis que, le plus souvent, on prête au méchant toutes les qualités : intelligence, perspicacité, talent stratégique, etc.
« Cette dévalorisation de la gentillesse, assimilée à la mièvrerie, peut s’éclairer de plusieurs manières. L’histoire de la philosophie est marquée par une conception pessimiste de la nature humaine : si l’homme est, comme l’écrit Hobbes, « un loup pour l’homme », il risque fort d’être entravé dans ses luttes et sa compétition par un excès de gentillesse.
« La dévalorisation de la gentillesse durera donc tant que nous persisterons à accorder plus d’importance, au sein de la nature humaine, à l’agressivité ou à l’égoïsme plutôt qu’à l’empathie ou à l’altruisme. L’idéologie libérale triomphante contribue elle aussi au mépris de la gentillesse, mais associée à ce que je serais tenté d’appeler un pseudo-réalisme égalitariste : « Si la vie est dure et la compétition âpre, nous n’allons pas en plus nous encombrer d’altruisme ou de gentillesse. Au fond, nous sommes tous logés à la même enseigne, la difficulté de la vie nous obligeant à écraser les autres pour tenter de nous en sortir. »
La dévalorisation cessera quand…
« La dévalorisation de la gentillesse cessera donc quand nous retrouverons une manière d’esprit aristocratique : vouloir réussir, pourquoi pas, mais en réussissant aussi à être quelqu’un de bien, qui voit en autrui autre chose qu’un rival, un obstacle ou un marchepied.
« Bien réussir, mais sans mal se comporter, voila l’enjeu : la gentillesse ainsi comprise rappelle alors plutôt le gentilhomme que la mièvrerie, ainsi que le montre Emmanuel Jaffelin dans son Petit Éloge de la gentillesse (François Bourin Éditeur, 2011).
« La dévalorisation de la gentillesse véhicule une certaine idée du pouvoir : mon pouvoir est grand de ce que je retire aux autres. On peut pourtant penser le contraire : mon pouvoir est grand de ce que je donne aux autres. Comment, sans cette idée du pouvoir – avoir du pouvoir, c’est donner du pouvoir –, comprendre l’efficacité de la délégation, l’art du gouvernement des hommes ou même le charisme ?
« Être gentil ne relève pas simplement d’une logique de pouvoir : c’est avant tout se soucier de l’autre, se réjouir de son bonheur. Mais on peut aussi revaloriser la gentillesse en montrant qu’il y a quelque chose de noble, de généreux – de gentil en ce sens redéfini – dans la manière dont on accroît le pouvoir de l’autre tout en accroissant le sien. »
Source: « Pourquoi la gentillesse est-elle si souvent dévalorisée ? », Philosophie magazine, Mis en ligne le 18/03/2020 | Mis à jour le 27/03/2020.
Gentillesse cherche non-gentillesse
Geoffrey Rush et Kate Winslet, dans Quills de Philip Kaufman (2000).
Chacun.e à sa manière, ses goûts et ses capacités, cherche sa part de mordant dans l’exercice de ses pratiques BDSM.
Pour l’écrasante majorité des gens, y compris ses pratiquants, les activités dites BDSM appartiennent au registre de l’abus, la violence, la brutalité, la douleur, la froideur, la dureté, le sérieux, la rigueur, sous la forme de sadisme physique ou psychologique, discipline, punition, sexe, etc.
Bref, avec les pratiques BDSM, nous sommes essentiellement dans la « non-gentillesse ».
Par définition, a priori, au départ, stricto sensu, la personne attirée par la soumission érotique n’est pas à la recherche d’une personne gentille. Elle souhaite plutôt faire la rencontre d’une personne capable de gérer sa non-gentillesse sans perdre le nord.
À lire les personnes soumises ici et là, cette capacité semble rare. Beaucoup de personnes soumises crient leur besoin de non-gentillesse sur tous les tons et sur tous les toits. Elles crient encore plus fort leur manque de confort face à une certaine non-gentillesse.
En termes prosaïques, ça dit chercher un Maître non-gentil mais il ne faut pas qu’il soit trop non-gentil, il va se retrouver sur une liste de la Stasi…
L’échelle de la gentillesse et autres cas de figure
Quelques observations en vrac sur le sujet.
Il y le cas de la personne soumise ou masochiste ayant identifié une part de non-gentillesse en elle, et qui cherche une personne gentille dotée d’une part de non-gentillesse. Question d’équilibrer les forces, sans doute.
Il y a les non-gentils à la recherche d’autres non-gentils certifiés. Pour ces dernières personnes, il semble que la gentillesse constitue un frein aux expériences fulgurantes. Pour le moment, ce n’est qu’une rumeur.
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Sur l’échelle de la gentillesse, nous sommes toujours le gentil de quelqu’un. À l’opposé, nous sommes aussi toujours le non-gentil de quelqu’un.
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Je ris toujours quand je vois un Dom énervé de se faire dire par une soumise qu’il est gentil… (rire)
Intégrer la non-gentillesse à la gentillesse
Est-ce qu’on peut intégrer la rigueur de la non-gentillesse dans l’exercice de la gentillesse? J’y crois. Comment faire?
Hé bien, il y a un moment pour être gentil et un moment où ne pas l’être. C’est d’une simplicité désarmante, et ce ne l’est pas. D’où l’importance de la structure et de la constance. C’est ici que les trois niveaux de protocoles BDSM, dits « de la vieille garde », révèlent l’étendue de leur utilité.
Pourquoi? Parce que chaque niveau de protocole BDSM s’ajuste à ce que l’on fait, quel que soit le contexte social, en public et dans l’intimité. L’idée est d’atténuer la perte du lien et de la tension érotique entre la personne dominante et la personne soumise. On ajuste continuellement nos réels besoins (et les distinguons de nos désirs) sur une base concrète pour chacun des partenaires.
Cet ajustement constant des protocoles a l’avantage de nous éviter la caricature, tout en tenant compte de la réalité qui nous entoure… Ah oui, c’est vrai! La réalité!
Tout ça nécessite des travaux importants. Mais les fruits sont bons. Et même très bons.
Le gentil versus le non-gentil
(NOTE : Les chiffres utilisés ci-après servent à la démonstration seulement. Dans la réalité, ils sont plus élevés.)
Dans une relation de pouvoir érotique, on constate que de façon réaliste, nous sommes gentil à 90 % du temps, et non-gentil le reste du temps…
Le mode relationnel, couple ou célibat, n’y est pour rien.
Autrement dit, et c’est bien là le défi d’un couple dit BDSM, par exemple, la plupart du temps, la soumise a l’impression de vivre dans une relation vanille.
« Le protocole simple est souvent le niveau le plus difficile à gérer pour une soumise parce qu’il lui offre l’illusion qu’elle peut faire ce qu’elle veut, alors que ses responsabilités de soumise ne s’arrêtent pas durant ce temps.
« C’est le protocole qui comporte le moins d’accompagnement pas à pas et pourtant, celui qui offre la plus grande marge d’erreur. »
Le protocole élevé est plus simple à comprendre. La tension devient plus forte aussi.
Confondre gentillesse et vanille
De l’autre côté du miroir, confondre gentillesse et sexualité vanille me semble réducteur.
Quand on arbore le chapeau du Maître, faut-il vraiment que la non-gentillesse s’exprime automatiquement et tout le temps dans le sens de l’air viril dur, froid, méchant…?
À l’expérience, on peut très bien être exprimer notre violence, et notre non-gentillesse, dans le registre de la bienveillance. On n’en est pas moins strict pour autant. L’obéissance n’en est pas moins réelle. Vécue.
Enfin, ça doit dépendre de chaque Maître.sse.
Des images fantasmées
Dessin : Morris.
Alors je me demande, ce rejet de la gentillesse de la part de la personne soumise, c’est pour éviter de passer pour idiote, simplette, facile?
Ce rejet de la gentillesse de la part de nombre de personnes dites dominantes, c’est parce qu’elles y voient un affaiblissement du prestige de leur dominance? Elles craignent de ne pas apparaître crédibles? prises au sérieux?
Est-ce que tout ça répond à une image fantasmée de la personne soumise, gentille par définition, et à une image fantasmée de la personne dominante, par définition non-gentille?
Le stéréotype de la femme soumise
Je nageais dans ces questions lorsque je suis retombé sur des notes que j’avais prises en marge d’un fil de discussion dans Fetlife, datant de plusieurs années.
L’auteur dudit fil se plaignait du manque de femmes soumises et de la surabondance de femmes dominantes. Bon, il y avait plusieurs réponses à faire à ces affirmations que j’estimais, et estime encore, sans fondement. Ne serait-ce que pour dire qu’il n’y a plus un seul milieu BDSM mais une galaxie de milieux BDSM.
Il faut aussi rappeler que les sexualités alternatives explosent, tant sur le plan des identités que sur le plan des pratiques. Si l’on prend le cas « des femmes », le modèle traditionnel de la « soumise » tend à évoluer : les femmes ne sont plus de facto des soumises. Est-ce que c’est synonyme de moins de soumises? Pas sûr. Différentes? Certainement.
En fait, ce n’est pas ce que j’avais retenu de ce fil de discussions. J’étais plus attiré par ce qu’avait écrit une femme sur « l’idée de la femme soumise » :
« L’idée de la femme soumise a été tellement galvaudée et a été si mal exploitée que pour moi, c’est aussi un « turn off » que de m’y conformer. J’avoue, j’ai une peur bleue de la Domination masculine telle que je la vois dans les soirées auxquelles j’ai assisté. Je déplore le fait que plusieurs Doms se sentent obligés (!?!) d’humilier leur soumise pour soit-disant la faire avancer dans sa « démarche » [même] si cet aspect de la soumission ne cadre pas avec ce qu’elle est fondamentalement. »
Le monde change
Je comprends très bien ces propos auxquels je souscris. D’un autre côté, j’estime que c’est chacun.e son affaire. À chacun.e de se conformer ou pas aux modèles proposés.
Bien entendu, il y a encore une grande uniformisation des pratiques dans les soirées dites BDSM. Ça commence avec l’exigence stricte de certaines tenues vestimentaires. Ça se termine avec des jeux de douleur (fessée, flagellation), parfois la corde.
La beauté de la chose, c’est qu’il n’y a pas que des soirées dites BDSM ou fétiches désormais.
Le sexe est libre. Le BDSM est libre. C’est même un apprentissage de la liberté.
L’image stéréotypée du BDSM
Un certain nombre de gens ne sont pas tout à fait à l’aise avec le moule évoqué précédemment. J’en suis. Je ne me reconnais pas dans cette image stéréotypée du BDSM, un party d’Halloween permanent où la partie SM prend le pavé.
Il faut dire que je n’ai pas besoin de dépenser une somme d’argent x pour aller taquiner la libido de ma soumise. Je n’ai pas non plus besoin d’un espace spécifique pour aller frotter ses foufounes, fussent-elles électriques. Il y a aussi que l’approbation publique ne m’est d’aucun secours pour exercer un certain pouvoir sur cette femme qui ose se soumettre à ma volonté.
Il y a des gens qui ont besoin de sortir dans des clubs et des soirées pour vivre leur BDSM. D’autres ont besoin de tenues vestimentaires spécifiques pour entrer dans l’espace mental requis. Ou d’objets et accessoires xyz. C’est tout à fait louable. Cela les regarde. Tout ça est une question de choix.
Avoir le choix
Nous vivons une époque formidable : il existe plusieurs modèles de relations de pouvoir, et nous avons le choix du modèle, la couleur, le contenu.
L’auteure poursuit :
« Je lisais certains textes relatant ce que DEVAIT être la soumission, je discutais avec certains soumis et soumises, convaincus d’être le modèle IDÉAL de sub et je réalisais qu’aucun de ces comportements ne me collaient vraiment à la peau. Pour plusieurs, la soumission se DOIT d’être un état d’âme alors que pour moi, c’est une question de confiance réciproque et synonyme de plaisir sensuel nous amenant vers une sexualité plus riche et enivrante où l’imagination nous fait voyager dans les méandres de la peur, de la crainte, de l’appréhension tout en sachant que le contrôle de la situation est à portée de main. »
Rien de tout ça ne s’exclut.
Bon, je résiste mal à l’envie de dire un truc ici.
Il est certain que si on voyage avec la constante préoccupation du contrôle de la situation, ou de son corollaire, la perte de contrôle, il peut devenir plus difficile atteindre le vertige et les doux plaisirs qui y sont associés…
L’article Pourquoi la gentillesse est-elle si souvent dévalorisée? est publié dans le site cercle O - L'échange de pouvoir érotique.