Né à Toulouse en 1962, Philip Le Roy a été scénariste dans la publicité et le cinéma. Le dernier testament a obtenu le Grand Prix de littérature policière en 2005.
Résumé
Judée, en 70 après J.-C. : Yehoshua Ben Yossef, dit Jésus, enterre son testament.
Fairbanks, de nos jours : des scientifiques sont massacrés dans un laboratoire clandestin. Parmi les victimes, deux prix Nobel de médecine, un agent du FBI et un cobaye humain dont l’autopsie révèle qu’il était déjà mort. Bientôt des créatures monstrueuses se mettent à rôder autour de la ville.
Extrait choisi
[...]
Nathan Love tenait entre ses mains le crâne de son épouse. Au terme d’un long face-à-face muet, il le reposa sur une étagère, à hauteur de regard. La tête de mort était surmodelée selon une technique indonésienne permettant de reconstituer le visage du défunt. Elle avait des traits féminins, un petit nez, des pommettes saillantes, des yeux en coquillages, des lèvres charnues, autrefois dotées de paroles. De son vivant, elle affichait une riche panoplie d’expressions qui égayaient l’existence de son entourage et répondait au nom mélodieux de Melany Love.
Nathan gagna la terrasse panoramique de la maison vide qu’il occupait en front de mer dans l’Etat de Washington. Le mont Olympic faisait briller sa couronne de glace à 2400 mètres tel un gigantesque phare naturel. Le brouillard venu de la mer nourrissait dès l’aube les forêts de séquoias avant de buter contre le flanc des montagnes qui gondolaient les Rocheuses. Nathan descendit sur la plage, en contrebas, désert à perte de vue, lavée par le ressac. Les premiers rayons de soleil irradiaient la surface de l’océan crevée par des rochers épars qui résistaient depuis des siècles à l’érosion. Personne n’habitait cet endroit, coincé entre des forêts de pluie, des glaciers, un océan houleux et des montagnes abruptes. Personne, excepté des phoques, des loutres et une âme solitaire.
Campé sur ses jambes légèrement fléchies, Nathan Love engagea une boxe des ombres, arrachant des lambeaux de brume, traçant des arabesques sur le sol vierge, mobilisant son énergie et son souffle, progressant lentement jusqu’à la lisière des flots. Après avoir une dernière fois caressé l’encolure du cheval, imité la position du dragon et dansé avec le cygne, il se déshabilla entièrement pour mêler son anatomie à la nature. Il entama une série de mouvements de combat qui firent voler à ses pieds le sable épais et l’eau salée. En pénétrant dans l’océan hérissé d’écume, l’eau glacée l’électrisa. Il se battit contre les vagues, le froid, sa propre force physique.
Au stade de l’épuisement, il abandonna les katas et ses figures privilégiées, oublia les réflexes conditionnées pour privilégier une totale spontanéité de la gestuelle. Le vent entrait dans ses poumons pour remonter à partir du hara, à deux centimètres au-dessous de l’ombilic, en faisant vibrer son corps dans un souffle sonore que n’aurait pas renié une femelle morse.
Il parvint au mushin, l’état de non-ego.
La puissance infinie du Pacifique le libéra des zestes de toxines qui polluaient encore son corps et son esprit. A trop vouloir, jadis, frayer avec le mal, Nathan Love en avait presque oublié l’essentiel. Son être opacifié avait négligé la vie, le yang, le sacré.
Purifié, régénéré, frigorifié, vibrant en phase avec l’univers, il sortit de l’eau en ayant la sensation que son esprit, son corps et les éléments ne faisaient plus qu’un. Il avait retrouvé l’énergie originelle, celle dont on hérite à la naissance.
Il maîtrisait le ki.
Dans un était de concentration extrême, transcendant les flagellations de brise sur sa peau mouillée, il détecta un danger. Sa glande pinéale venait d’intercepter une onde parasitant l’harmonie ambiante. Un signal électrique de quelques milliwatts. Probablement celui de son Power Book branché sur Internet. Son seul lien avec le monde.
Nathan ramassa ses vêtements et rentra sans se presser. Il prit le temps de s’essuyer, d’enfiler un sweat-shirt et un jean, de croquer une tablette de chocolat noir. Puis il entra dans son bureau, uniquement meublé d’un ordinateur portable posé sur le plancher vernis. Sa messagerie réservée au FBI affichait la réception d’un e-mail. Cela faisait trois ans qu’il les lisait sans y répondre. Trois ans qu’il avait décroché, depuis cette mission qui s’était soldée par la mort de sa femme. Il avait alors changé d’Etat et commencé à effacer son « moi ». Son adresse n’était connue que d’une seule personne, une de trop : Lance Maxwelle, le numéro deux du FBI.
Il entra son code confidentiel et attendit.
Love travaillait autrefois sans existence officielle sur des cas difficiles, souvent à caractère paranormal. A la fin du deuxième millénaire, il avait été maintes fois sollicité pour mettre hors d’état de nuire des tueurs méthodiques, des gourous impulsifs, des faux messies, des illuminés qui menaçaient l’ordre américain et donc mondial, enchaînant les missions sans prendre le temps de se débarrasser de la boue qui l’éclaboussait.
Il caressa la fenêtre tactile de l’ordinateur, tapota et lut :
Je passerai vous chercher à 12.00 a.m.
Amicalement,
Lance Maxwell
Cette fois, le boss se déplaçait en personne, sans se préoccuper d’une réponse.
[ ...]
Mon avis
J’ai déjà évoqué ici l’écriture de Philip Le Roy mais pour un livre destiné à un public jeunes adultes. Si l’auteur est doué pour inventer une histoire mettant en scène des enfants hors norme, il l’est tout autant, si ce n’est plus, pour vous envoyer valdinguer aux côtés de personnages énigmatiques tels qu’un profiler cassé, Nathan Love, ou l’enquêtrice en perte d’identité, Kate Nootak. Ajoutez à ces deux-là, une intrigue à la Hitchock auquel un Tarantino des mieux avisé serait venu prêter main forte et le tour est joué ! Vous avez entre les mains un thriller qui vous régalera.
A noter que je ne pourrai pas être tenue responsable de votre addiction, vous êtes des adultes que diable ! Car oui, il existe d’autres opus relatant les aventures de Nathan Love.
Le dernier testament, Philip Le Roy, éditions Le Point
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