Notre chroniqueur Bob Howard a fini par recevoir « Camille » , roman de Léo Barthe (pseudonyme du romancier Jacques Abeille) qui ne l’a pas laissé insensible.
Gérard, jeune hobereau orphelin de province, est élevé par son oncle, courtisan déchu. Le jeune homme est sous la tutelle légale de cet oncle distant et s’isolant dans ses rêves de retour en grâce. Gérard aura pour seule présence maternelle une paysanne, Marianne, devenue sur ordre du Comte sa nourrice. Gérard va grandir à l’écart du monde et de ses usages. Il se cultive dans la bibliothèque de son oncle, apprend le maniement des armes avec un ancien soldat, bat la campagne et peint. Un innocent.
Et puis un jour, au début de l’été de ses 17 ans, arrive Camille. Jeune rejeton d’une famille de haute noblesse à la beauté aussi épicène que son prénom. Ce visiteur va faire de cet été, le moment le plus important de la vie de Gérard. Un voyage sans retour.
En dire plus sur le déroulement du récit serait révéler ce qui ne doit pas l’être. Ce roman est un roman d’initiation. Camille est le ver dans l’innocence de Gérard. Elle va l’emmener là où il n’avait jamais imaginé aller, lui faire découvrir le continent noir du sexe, de son sexe. Et il va la suivre, simplement. Notre gentil sauvage de la libido n’a aucun préjugé ce qui lui permet d’ouvrir de grands yeux devant les splendeurs qui lui montre Camille et Mariette, sa servante. Il ne lâchera jamais la main de sa guide, une Eurydice tentatrice remontant des Enfers pour emmener son naïf Orphée au plus profond de son obscurité.
Camille a le sexe “bataillien”, un sexe qui a un goût de suaire, une senteur doucereuse de corruption et l’odeur âcre d’un champ de bataille. Léo Barthe situe son roman à la fin du XVIIIème siècle, celui des Lumières et il en utilise aussi la langue. Et quelle langue ! Le style est délicieux. Le vocabulaire érotique est d’une grande richesse. Il évite le pastiche, la parodie stylistique pour nous donner à lire et entendre le vocabulaire du sexe dans son jus. On fornique à l’imparfait du subjonctif, on se pâme avec une richesse sémantique formidable. Comment ne pas être se délecter à lire “Prends garde à ne pas déculer !” ou “… je veux seulement que tu ne perdes rien de ce qui te fore et t’égueule.”, ne pas s’amuser avec Camille et Gérard qui jouent avec la concordance des temps :
J’eusse bien préféré que tu m’enculasses
Encore eut-il fallu, Monsieur, que vous me montriassiez votre cul pour que je le patinasse au préalable.
Il y a un tel amour de la langue chez Leo Barthe, une telle maîtrise que jamais le vocabulaire érotique, les images ne paraissent désuètes ou ridicules.
L’auteur n’emprunte pas uniquement le vocabulaire du passé. On retrouve aussi dans Camille l’influence des Lumières, de la philosophie du XIXème siècle ainsi que des auteurs et artistes érotiques de ces deux siècles. On se surprend à évoquer, entre autres, Rousseau, Sade, Olympe de Gouge, Masoch, Freud et le Courbet de l’Origine du monde mais sans lourdeur, sans prétention encyclopédique ; ce n’est pas un “concours de bites” littéraire. Léo Barthe parvient même, dans le récit de l’initiation sadienne de la jeune Camille, à rendre hommage au divin marquis mais dans un style bien plus léger, bien plus troublant sans en perdre le caractère subversif.
Je vous recommande chaudement ce livre. Préparez-vous à descendre de plus en plus profondément avec Gérard dans les désirs de Camille. Préparez-vous à prendre plaisir de ce que vous y verrez. Et c’est cela la grande réussite du roman : nous donner à voir et à apprécier la jouissance sous toutes ses formes même les plus effrayantes.
PS : Faire la critique de “Camille” pour notre Camille fût pour moi une mise en abîme des plus réjouissantes.
Note de Camille : j’aurais bien lu Camille aussi, mais un esprit mal intentionné l’a dérobé à la rédac’ de l’Express…