La couverture du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
Il y a quelques jours un médecin sexologue du nom de Ronald Virag a publié sur Leplus un article profondément dérangeant qui traite d’asexualité. Je ne vais pas vous dire tout ce que je pense de Ronald Virag et de son article. Il suffit juste de savoir que Ronald Virag est un scientifique reconnu et que l’essentiel de son argumentation revient à associer l’asexualité à un ensemble de pathologies que l’on trouve dans les manuels de psychiatrie. Il n’est pas parfaitement clair sur le sort qu’il réserve à l’asexualité en général, mais il semble bien que pour lui l’asexualité soit une pathologie mentale, ou plutôt un ensemble de pathologies rassemblées sous un label commun.
Homosexualité, il y a 30 ans
Vous avez sans doute compris : je ne partage pas l’avis de Ronald Virag. Pour vous dire les choses directement, je pense que les sexologues en général et Ronal Virag en particulier sont en train de commettre la même erreur qu’ils ont déjà commise avec l’homosexualité. Cette erreur, c’est celle de confondre préjugés et vérité. Cette erreur, c’est celle de se sentir obligé de transformer les sexualités qui dérangent en maladies mentales.
Parce que notre mémoire est beaucoup trop courte, nous avons du mal à se souvenir qu’il y a trente ans à peine le monde médical prétendait encore que l’homosexualité était une maladie mentale. Pour la plupart des médecins et des sexologues, c’était quelque chose qui allait parfaitement de soi. D’ailleurs, il suffisait d’ouvrir un manuel de psychiatrie pour se voir expliquer en long et en large comment il fallait s’y prendre pour « diagnostiquer » l’homosexualité, comment on pouvait la « traiter » ou même la « guérir ».
Heureusement pour nous, en 2014, cette « science » n’existe plus. Les activistes gay, lesbiens et bisexuels ont balayé tous ces déchets. Grâce à eux, cette « science » nous apparaît à présent pour ce qu’elle est : une instrumentalisation homophobe de la science. Grâce à eux, nous savons que les « traitements », les « diagnostics » et les « guérisons » ne sont que pure charlatanerie. Grâce à eux nous avons compris que construire l’homosexualité comme une maladie ne peut être qu’une supercherie. Mais il y a plus, nous sommes aussi en mesure d’expliquer pourquoi des scientifiques de premier plan en sont venus à tenir ces discours profondément dérangeants. C’est clair pour nous aujourd’hui que c’est parce que ces chercheurs et ces chercheuses étaient terriblement homophobes qu’ils ont cru découvrir « scientifiquement » que l’homosexualité était une maladie. Leur pierre de touche, ce n’était pas la vérité, c’était la certitude qu’ils avaient que l’homosexualité ne pouvait être qu’une anomalie.
L’asexualité a pris le relais
Aujourd’hui ce n’est plus l’homosexualité que l’on trouve dans les manuels de psychiatrie, c’est l’asexualité. Pourquoi ? Tout simplement parce que pour les médecins comme Ronald Virag, tout le monde doit avoir une libido. Et non seulement tout le monde doit avoir une libido, mais en plus cette libido doit être quelque chose d’absolument essentiel, une chose sans laquelle on ne pourrait même pas vivre. Et donc évidemment, ils n’arrivent pas à imaginer qu’une personne asexuelle puisse être simplement…une personne asexuelle. Ce qu’ils imaginent, c’est qu’une personne asexuelle, c’est une personne qui a un problème avec sa libido. C’est une personne malade, c’est une personne qui bloque sa libido, c’est une personne qui refoule sa libido. Et d’ailleurs, il n’y a pas que les sexologues qui pensent la sexualité de cette manière. Peut-être que vous aussi, qui lisez ce texte, vous pensez de cette manière.
Si c’est le cas, je n’ai qu’une question à vous poser : êtes-vous vraiment sûrs ? Êtes-vous vraiment sûrs qu’il ne s’agit pas d’un préjugé aussi mal fondé que l’homophobie dont nous parlions tout à l’heure ? Et je peux d’ailleurs poser la même question à Ronald Virag et aux autres sexologues : si vous vous êtes si grossièrement trompés à propos de l’homosexualité, comment pouvez-vous être sûrs à propos de l’asexualité ? Avez-vous des bonnes raisons de penser que l’asexualité est un trouble mental ? Faites vous vraiment de la science quand vous écrivez ça ? Ma réponse à ces questions, vous l’avez compris : c’est non. Il ne s’agit pas de science, il s’agit d’idéologie. Il ne s’agit pas de découvrir des maladies, il s’agit d’inventer des maladies. Il ne s’agit pas d’aider les personnes asexuelles, il s’agit de leur imposer un statut de malade.
Je vais m’arrêter là. Mais avant de vous laisser, je voudrais juste rappeler qu’au Canada, aux États-Unis et en Angleterre, plusieurs chercheuses et chercheurs de premier plan se sont aussi intéressés à l’asexualité. Lori Brotto, qui est sexologue et qui a participé à la rédaction du célèbre DSM (le manuel de psychiatrie américain), a mené plusieurs études sur l’asexualité et elle s’efforce à présent de bien séparer l’asexualité des troubles auxquels Virag la renvoie. Anthony Bogaert, professeur de psychologie à l’université de Brock, a même écrit un livre sur le sujet qui s’intitule « Comprendre l’asexualité » et dans lequel il adopte une attitude positive envers l’asexualité. Évidemment, on regrette que cette volonté de comprendre n’ait pas traversé l’Atlantique et qu’elle ait été remplacée par cette autre volonté, beaucoup moins noble, et qui consiste à inventer des malades pour ensuite prétendre les soigner.