« Faire la chose ne suffit pas, encore faut-il savoir en parler. »
2014. Les langues sont décomplexées. Elles peuvent fourcher sans pudeur et avec vulgarité. A voix haute et sans vergogne, on peut « baiser » ou « niquer ». Mais, pour la puissance fantasmatique du mot, on repassera.
Et si on jouait au bilboquet? Et si on allait au bonheur ensemble ? Et si nous avions une accointance ? Nous pourrions varier les plaisirs à l’infini. La langue française regorge d’expressions toutes plus truculentes les unes que les autres. Si la chose est un jeu, amusons-nous avec ses mots qui la racontent. Avec la pièce de théâtre de Jean-Claude Carrière, Les mots et la chose, vous avez en main un dictionnaire des expressions érotiques oubliées.
L’Histoire : une jeune comédienne doit, pour gagner sa vie, faire du doublage de films pornographiques. Affligée par la pauvreté du langage, elle écrit à un vieil érudit spécialisé dans ce domaine. Commence alors une correspondance truffée de ces expressions grivoises si imagées. Pour certaines, pas besoin de définitions, notre imaginaire les devine. Le vocabulaire explore tantôt les métiers manuels (se faire mortaiser), la campagne (effeuiller la marguerite), la cuisine (avoir l’abricot en folie, la praline en délire ou la moule qui baille !)… Le langage érotique fait feu de tout bois. Jean-Claude Carrière nous offre pour la scène un texte délicieusement obscène, par les mots et seulement les mots. Son humour est toujours fin, ciselé. Il a ce grand talent de ne jamais tomber dans le graveleux. On se délecte de ses phrases, et lui se joue des mots. Ce dialogue épistolaire se lit à l’envie et avec plaisir, puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Parce que la parole s’est libérée, nous en avons perdu le foisonnement des métaphores érotiques. Autrefois, les figures de style étaient une solution pour contourner la censure. Une seule expression a survécu à cela, peut-être la plus romantique et pudibonde, « faire l’amour ». Au XVIIème, il s’agissait chastement d’exprimer ses sentiments amoureux et c’est seulement au XIXème qu’elle devient érotique. Le verbe « baiser » a lui pris son sens actuel au XVIIème siècle. Le marquis de Sade, dans La philosophie dans le Boudoir, est le premier à opérer un glissement sémantique entre « le baiser » et « baiser ». Avant cela, le verbe foutre était d’usage. On a depuis perdu la drôlerie, l’imagerie, et l’insolence. Les expressions religieuses tenaient également leur place : nous pouvions faire œuvre de chair ou mettre le petit Jésus dans la crèche.
Les mots sont une représentation du monde. Le choix d’un mot plutôt qu’un autre, offre notre vision personnelle de la chose. J’aime à croire que plus nous diversifions la représentation de la chose, plus nous diversifions la chose elle-même. Faire l’amour chaque soir est d’une monotonie déconcertante. Faisons-nous ratoconniculer, jouons à cul contre pointe, faisons rire les cuisses ! Notre vie sexuelle n’en sera que plus imaginative.
A la lecture de ses mots sur la chose, il vient un moment où l’on voit la malice partout. Tout mot devient suggestif. Alors naît l’envie d’inventer nos propres expressions. Cette langue française ne demande qu’à être enrichie. Et cela peut devenir un jeu érotique très grisant à pratiquer à deux !
Les mots et la chose, Jean-Claude Carrière, Plon, 2007.
Dans le même thème : Les doigts de pied en bouquet de violette, Dictionnaire coquin de l’amour et du sexe en 369 expressions, Sylvie Brunet, Les Editions de l’Opportun, Paris
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