J’étais partie ce mois-ci pour vous parler d’un livre anglais, très drôle, sur le pénis, Le Bidule de Dieu, de Tom Hickman.
Mais je vous en parlerai une autre fois. Car j’ai eu un coup de foudre. Pas avec un homme (quoique… mais c’est un autre sujet, plus intime, dont je ne vous parlerai pas bande de petits voyeurs-ses) Le coup de foudre dont je veux vous parler est intellectuel. C’est avec Serge Hefez, auteur de Le Nouvel Ordre Sexuel, au éditions Le Livre de Poche. Vous savez, cette rencontre avec un livre, qui fait que vous oubliez (un peu) de manger, que vous l’emportez partout avec vous, que vous avez hâte de rentrer chez vous le soir pour le lire. Ce genre de rencontre, tout comme le coup de foudre amoureux, est rare. Donc précieux. La rencontre a été impromptue : la librairie en bas de chez moi, un étal de livre tous plus intéressants les uns que les autres, et puis cette couverture, qui me tape dans l’œil : une petite fille dans sa chambre, dans un univers très très rose, très princesse, et un petit garçon dans un environnement très super héros.
Le titre est intéressant, pour qui s’intéresse à la question du genre et de la sexualité, la quatrième de couverture pas mal, mais pas bandante non plus. Bon, c’est un poche, je l’achète. Je le laisse trainer quelques temps dans ma bibliothèque ; je suis en couple avec Jay Mc Inerney à ce moment là, et je suis, en littérature comme en amour, plutôt fidèle. Je sens qu’il me fait un peu de l’œil, mon Serge Hefez. Mais il n’est pas tout seul : il est à côté d’une anthologie de littérature gay, d’un roman écrit par Sacha Grey, et de deux romans graphiques. A l’image de la scène d’introduction d’ Italo Calvino dans son roman Si par une nuit d’hiver un voyageur, j’ai l’impression que ces livres me regardent, le soir, chez moi. Et, alors que je visionne la deuxième saison de Homeland, ils me lancent des regards culpabilisateurs : « Meuf, tu avais dit que tu allais nous lire, mais là on prend la poussière, et tu regardes des SERIES. T’es qu’une petite allumeuse en fait… ». Je fais genre je ne les entends pas, et m’endors sur mon canapé sans même les avoir feuilleté.
Mais je m’égare. Un soir, alors qu’avec Jay (Mc Inerney pour les intimes), c’est de l’histoire ancienne, et que je dois attendre 2014 pour voir la saison 3 de Homeland, j’ouvre Le Nouvel Ordre Sexuel, Pourquoi devient-on fille ou garçon. Dès les premières pages, je suis embarquée dans l’histoire. Ce n’est pas du tout un roman, c’est un essai écrit par un psychothérapeute, sur la question du genre. On est loin du divertissement rigolo. Et pourtant c’est passionnant. En quelques mots (car je vais tout de même parler du livre, et arrêter de parler de ma gueule), l’ouvrage explique avec calme et sérenité ce qu’est le sexe et le genre, en quoi c’est le genre qui organise le sexe, et non l’inverse, comment la société a façonné le masculin et le féminin, et en quoi la société et l’être humain ont tout à gagner à réfléchir sur un nouvel ordre sexuel. « Il s’agit de faire co-exister cette certitude « je suis un homme » ou « je suis une femme » avec une identité plurielle pétrie de mouvement, de changement, d’interaction, de perméabilité, de processus et de flux ».
Après les premiers chapitres, je me dis, excusez-moi de l’expression: « Putain c’est génial ». Mais à l’image d’une rencontre amoureuse, j’essaie de me raisonner : je peux trouver un mec fabuleux parce que juste avant j’ai rencontré deux trois bons spécimens de connards, là je peux trouver ce livre génial car j’ai lu ces derniers temps beaucoup de conneries sur le féminisme et le genre. Par ailleurs, toute modestie intellectuelle gardée, je ne suis pas vierge de savoir, dans le domaine. J’ai lu De Beauvoir, Badinter, Buthler, Preciado, Despentes., etc. Je devrais me dire : ce n’est qu’un avis parmi d’autres, un essai parmi des milliers d’autres. A la fin de ma lecture, je comprends mieux mon coup de foudre : ce livre propose un avenir. « Il est temps d’admettre que nous sommes en train de construire un nouvel ordre sexuel, plus ouvert, dans lequel chacun aura enfin sa place. Même si c’est parfois déconcertant, il n’y a aucune raison d’avoir peur ! » Aux brèves de comptoir que j’entends régulièrement : « ouais, mais bon, le féminisme, ou la théorie du genre, tout ça, ça fout la merde, regarde y’a un couple sur trois qui divorce, les mecs ne savent plus ce que c’est ce qu’est être un mec, la différence sexuelle c’est la nature, l’homme va chasser et la femme prend soin des petits, etc etc » , à ces « réflexions », donc, j’ai trouvé des réponses, mesurées, pédagogues, réfléchies et apaisées. Pas des discours prêts à être dégustés, non non, des idées, de la raison. Psychanalyste, il raconte comment tous ses patients, peu importe leur parcours ou leur vie, s’interrogent sur leur féminité et leur masculinité. Ce mouvement, cet aller-retour, cette souplesse entre la part virile et masculine sont passionnants car ils ouvrent une perspective de liberté individuelle assez inédite. En fermant le livre, j’ai envie de faire un gros câlin à l’auteur et de lui dire merci. Donc voilà, Serge, si vous lisez ce billet, sachez que je suis une de vos groupies. Pas le genre à aller dans les backstages boire de la vodka tiède, mais celle qui va lire vos autres ouvrages et espère être, pendant ces prochaines années, surprise et séduite par vos théories. Une belle et j’espère longue histoire d’amour.
Camille Emmanuelle