Imaginez un bureau très moche et très attirant à la fois. C’est le mien. Imaginez un endroit où les professeurs d’un même établissement scolaire viennent pour de multiples raisons toutes très bonnes :
- Parler de leurs élèves, des parents d’élèves, des autres profs, de la direction, du calendrier scolaire, des sorties scolaires, des jours fériés.
- Parler de leur vie quotidienne. Est ce que tes tomates poussent? Et les cerises? Il paraît que cette année les arbres ne produiront pas beaucoup. Le pin des voisins se décharge dans la piscine, après il faut nettoyer. Le week-end passe vite, ça et le chien. T’as mis le Frontline toi à ton chien? Ah non c’est vrai, toi tu lui mets Avantix. Je crois que les beaux jours reviennent.
- Parler de leurs états d’âme. A ce moment là il faut être rusé quand on est en face de son interlocuteur. On prend son air attentif, compatissant et son mal en patience.
- Parler cul. Et oui.
Nous sommes à Marseille. Mélissa enseigne le français. Mais à côté de cela, elle organise des réunions sextoys tous les mois… depuis un mois. Elle a constitué un stock de sextoys et elle en vante les mérites. Elle nous raconte que le marché est en vogue. Que le concept a été importé de Suède dans les années 2000. Que c’est chic, tendance, que c’est la nouvelle sexualité. Elle espère un chiffre d’affaire d’environ 100 euros par soirée de vente. Moi, les jouets qu’elle propose, je les ai déjà. J’en ai aussi qu’elle ne propose pas, d’ailleurs, mais je me garde de le lui dire.
Marcello est d’origine italienne et enseigne l’italien. Il est très ami avec Mo, le prof de Maths. Ma collègue la plus proche, c’est Mina, une femme formidable. La conversation se poursuit. Je pose des questions. Je demande qui est déjà allé au salon de l’érotisme au Parc Chanot, à Marseille. Ce n’est pas loin, ce n’est pas cher, et, détail cocasse, c’est entre la Foire et le stand Jardins et piscines. Je me fais rembarrer direct : on n’a pas besoin de cela, disent les hommes. Mina, elle, rougit.
Mélissa poursuit sur les sex-toys. Elle avoue qu’elle est impatiente de recevoir son gloss parfumé (un gloss à fellation) et la poudre à fessée. Marcello dit que sa femme n’ a pas ce genre d’idées, vu qu’il assure au lit, et que c’est bien triste d’en arriver là. Levée de protestations des femmes.
Je demande aux hommes si leurs femmes ont déjà exprimé l’envie de faire l’amour avec une tierce personne, ou avec un sextoy. Ils répondent que ce n’est pas envisageable, que cela remettrait leur virilité en cause. Et bien ma Mélissa, tu n’es pas prête de gagner 100 euros, si tu les invites avec leurs femmes…
Marcello dit que donner la fessée est un acte de violence, que c’est irrespectueux. Mina se fait les ongles. Mo est d’accord avec Marcello. Ils commencent à m’agacer, tous. Je lance donc un gros mot, je dis PLUG. Et là, même Mélissa reste stupéfaite. Qu’est-ce que c’est, Aline, me demande-t-elle ? « C’est une petite chose toute mignonne qui vient se loger dans tes fesses ! »
Je suggère à Mélissa de commencer doucement son activité de vendeuse à domicile, la lingerie par exemple, parce qu’on a beau être dans la deuxième ville de France, on est tout de même un poil rétrograde, on a du chemin encore, pour avoir une vraie sexualité, libre.
Et puis, comme souvent à l’école, ça sonne. Nous ne sommes pas encore rendus au royaume de la modernité, dans ce bureau. En 2013, les satellites tournent, les fusées explorent, restent les mentalités à se libérer…
Aline Tosca