Ma mémoire est un couteau est le troisième roman de Laurie Halse Anderson paru dans la collection La belle Colère (éd. Anne Carrière). Anderson est connue pour aborder les sujets difficiles au travers de romans qui s’adressent aux enfants de tous les âges. Ma mémoire est un couteau traite du trauma d’un père, Andy, qui a combattu en Irak. Sa fille adolescente, Hayley, tente de l’aider à surmonter ses démons alors qu’elle doit cohabiter avec les siens. Après chaque délire d’Andy, Hayley se retrouve dans une nouvelle ville. Cette fois, son père l’a inscrit dans un lycée fréquenté par des jeunes bourgeois. L’adolescente n’en supporte pas l’ambiance. Mais elle y rencontre Finn qui semble porter lui aussi de lourds secrets de famille.
Laurie Halse Anderson mêle adroitement suspense psychologique et humour. Ma mémoire est un couteau est bien loin des clichés contenus dans certains livres destinés au public adolescent. Les profils psychologiques des personnages sont finement étudiés, l’histoire racontée tient la route. Un roman qui peut permettre de mieux comprendre ce qui se joue chez les personnes ayant vécu des drames sordides. Une belle aventure humaine !
Extraits (p. 9 à p.11)
Tout a commencé en retenue. Pas vraiment surprenant, hein ?
Les retenues ont été inventées par les mêmes idiots qui ont sorti de leur esprit dérangé le concept de « coin ». Est-ce qu’être forcé à fixer un mur pendant une plombe a jamais empêché les gosses de fourrer le chat dans le lave-vaisselle ou de redécorer leur chambre fraîchement repeinte en blanc au feutre mauve ? Bien sûr que non. Ça leur apprend juste à être sournois, et vous pouvez être certains qu’au lycée, ils adoreront être collés, parce que c’est un super plan pour roupiller.
Mais j’étais trop furieuse pour faire un petit somme. Les zombies en chef m’obligeaient à copier cinq cents fois « Je ne manquerai pas de respect à M. Diaz ». Avec un stylo, sur du papier, ce qui éliminait l’option du copier/coller.
Est-ce que j’allais vraiment le faire ?
Ha.
J’ai tourné une page d’Abattoir 5, livre interdit à Belmont sous prétexte qu’on était trop jeunes pour lire des histoires de soldats qui jurent, de bombes qui pleuvent, de corps qui explosent et de guerre qui craint.
Lycée Belmont – Préparons nos enfants au monde charmant de 1915 !
J’ai tourné une autre page, rapproché le livre de mon visage et plissé les paupières. La moitié des lampes de cette salle sans fenêtre ne fonctionnait pas. Coupes budgétaires, disaient les profs. A en croire les ragots dans le bus, il s’agissait plutôt d’un complot pour nous rendre aveugles.
Au dernier rang, quelqu’un a gloussé.
Le surveillant de la retenue, M. Randolph, a relevé sa tête d’orque de Sauron et scruté la salle pour identifier le coupable.
« Ça suffit, il a dit en se levant de sa chaise et en pointant le doigt vers moi. Tu es supposée écrire, jeune fille. »
J’ai tourné une autre page. Je n’avais rien à faire en retenue, ni dans ce lycée, et je me fichais éperdument des règles stalinistes édictées par des orques sous-payées.
Deux rangs derrière, la fille en blouson rose avec de la fausse fourrure autour de la capuche a tourné la tête pour me dévisager, les yeux vides, en mastiquant machinalement son chewing-gum.
« Tu as entendu ce que j’ai dit ? » a braillé l’orque.
J’ai marmonné des verbes interdits (Vous savez, le genre qui se termine par « outre », et qu’on n’est pas censé dire ? Ne me demandez pas pourquoi, ça n’a aucun sens.)
« Qu’est-ce que tu as dit ? il a brait.
— J’ai dit que mon nom n’était pas « jeune fille ». J’ai corné ma page. Vous pouvez m’appeler Mlle Kincain, ou Hayley. Je réponds aux deux. »
Il m’a fusillée du regard. La fille en rose a arrêté de mâchouiller. Les zombies et les zarbs dans la salle ont relevé la tête, réveillés par l’odeur du combat potentiel.
« M. Diaz entendra parler de ton comportement, jeune fille, a répliqué l’orque. Il va passer à la fin de l’heure pour ramasser ta punition. »
J’ai juré à voix basse. La fille au blouson a soufflé une bulle de travers avant de l’éclater entre ses dents. J’ai déchiré une page de mon carnet, trouvé un crayon et décidé que c’était encore une journée à effacer de ma mémoire.
Ma mémoire est un couteau, Laurie Halse Anderson, éditions Anne Carrière, collection La belle colère. 300 pages 20 €
Traduit de l’anglais (USA) par Marie de Prémonville
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