La mort du deuxième chien de Marek Hlasko est un roman noir et absurde. Les dialogues sont savoureux. En abordant le thème du sacrifice de soi, Hlasko y met en scène avec maestria tous les laissés-pour-compte.
A Tel Aviv, Robert et Jacob montent une nouvelle arnaque pour extorquer de l’argent à une riche veuve américaine qui visite Israël. Le vieux Jacob écrit les tirades douloureuses et passionnées que le beau Jacob interprétera devant la veuve. Jacob est accompagné d’un chien, l’unique bien qu’il est censé possédé et qu’il devra tuer dans un élan de désespoir avant l’ultime scène de son suicide.
Mais, parmi les personnages que le lecteur rencontre au fil des pages, le beau Jacob est-il le seul à jouer un rôle ?
La mort du deuxième chien est un livre à placer dans sa bibliothèque, sur le rayon où se trouvent les meilleurs ouvrages des plus grands écrivains.
Marek Hlasko (1934 – 1969) est une légende vivante en Pologne. Ecrivain et scénariste au destin brûlé, opposant au régime communiste, il était passé à l’Ouest très jeune. Au terme d’une vie folle entre Paris, Israël et Los Angeles, il meurt à 35 ans après l’absorption d’alcool et de barbituriques.
Extrait (p. 17 à 21)
Le trajet de Haïfa à Tel Aviv dure plus de deux heures. A mi-chemin environ, nous voyons que le type va mal. Le chauffeur dit qu’on n’est plus très loin. Il pousse à fond son vieux taxi, fait grincer les pneus dans les virages, de sorte qu’on se sent un peu comme des acteurs dans un film de gangsters. Un policier essaie de nous arrêter : il fait signe de la main, mais le taxi ne ralentit même pas. On voit dans le rétroviseur l’agent se diriger vers sa Harley garée à l’ombre, puis il laisse tomber : il fait trop chaud. Seul au milieu de la chaussée, il ôte son casque et se passe la main sur son visage ruisselant de sueur.
— Comment il va ? demande le chauffeur sans tourner la tête.
— Il agonise, dit Robert. Maintenant, il aura du silence et de l’obscurité, ajoute-t-il en s’adressant à moi. Est-ce qu’il va encore être déçu ?
— Vous le connaissiez ? demande le chauffeur.
— Non, dis-je.
Je suis obligé de tenir notre chien par le collier, car il s’agite et grogne depuis un moment. Il doit être troublé par le mourant.
L’homme meurt peu après. Robert, le chauffeur et moi-même l’extrayons du taxi. On l’allonge sur un banc en attendant l’ambulance. Une personne charitable lui couvre la tête d’un magazine. Sur la couverture, la photo d’un acteur connu nous fixe de ses yeux colorés. Robert soulève la revue et regarde encore une fois le visage du défunt.
— J’ai l’impression que c’est un Roumain, dit-il. Il a dû arriver d’Europe récemment. Il ne connaissait pas un mot d’hébreu.
— Le plus drôle, dis-je, c’est qu’il n’en apprendra plus aucun.
— Mauvais signe.
— Tu parles de lui ?
— Je suis superstitieux. Ce type va nous gâcher notre affaire. On aurait dû venir en train.
— Il n’est pas encore au frais dans sa tombe qu’il s’est déjà fait un nouvel ennemi, dis-je.
— Bien vu, répond Robert. Qu’on le mette en bière vite fait, ce salaud.
Il regarde le chauffeur qui, penché sur le corps, tente de déchiffrer le nom de l’acteur sur le magazine.
— Allons-y, chef, dit-il. On n’a pas de temps à perdre.
— C’est John Wayne, précise le chauffeur en se tournant vers nous. Vous ne pouvez pas attendre encore un peu ? Vous savez comment c’est avec la police. Ils pensent toujours que les choses se sont passées autrement qu’on le dit. Ce serait mieux pour moi.
— On a à faire, dis-je. On habite au 56, rue Allenby. Donne l’adresse aux flics s’ils te la demandent.
— Ils le feront sûrement, dit le chauffeur.
Il se penche à nouveau sur le mort.
— Mais ce n’est pas John Wayne, il jouait dans La Poursuite. C’est quelqu’un d’autre.
Nous traversons la route et entrons dans l’hôtel. Affalé dans un fauteuil, le portier lit un livre dont la couverture me fait penser au macchabée : un bellâtre assassine une femme, à moins que ce ne soit le contraire.
— Vous avez roulé longtemps ? demande le portier.
— Deux heures. Un homme est mort dans le taxi, dis-je. Il est resté appuyé contre Robert pendant tout le trajet.
— Le salaud, ajoute Robert. Il va nous porter la poisse. Tu as deux lits pour nous, Harry ?
Le portier ne répond pas. Il est plongé dans sa lecture et moi, je regarde à nouveau la couverture colorée.
— On paie cash, précise Robert.
Alors seulement le portier pose son livre et lève la tête.
— Vous restez longtemps ?
— Je ne sais pas, dis-je. On est venus se faire quelques ronds. C’est pour ça qu’il est tellement enragé. Il pense que le macchabée va lui saboter son plan.
— Tu vas encore le marier ? demande le portier à Robert.
— Bien sûr. Est-ce que je l’ai déjà mal marié ?
Le portier me dévisage un instant.
— Il est vieux, dit-il enfin. Et il a l’air sacrément fatigué.
— T’en fais pas pour moi, Harry, dis-je. Laisse à Robert le soin d’avoir des idées. Il sait comment trouver le pognon.
— Sûr, dit Robert. C’est pareil pour les dessins. L’essentiel, c’est l’idée. Et moi, j’ai encore plein d’idées pour lui.
— Il est vieux, répète le portier.
— C’est mes oignons. Je sais ce que je dois faire de lui. Cette gueule d’enterrement va me faire gagner le gros lot. Alors, tu les as, ces deux lits, oui ou non ?
— Il faudra aussi payer pour le chien, dit le portier. C’est le règlement.
— On a déjà payé. Quand on l’a acheté.
— Combien ?Presque cent livres. C’est un chien de race. Tu crois peut-être qu’on l’a eu pour rien ? Avec une nourrice en prime ? C’est ce que tu crois ?
— Vous payez d’avance. Quatre livres. Et je ne veux pas voir ce chien traîner dans l’établissement.
— Il reste avec nous, dis-je. Il va là où on va. On n’a rien à lui cacher.
La mort du deuxième chien, Marek Hlasko, Mirobole éditions 192 pages 17,50 €
Traduit du polonais par Charles Zaremba
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