Régis Descott est auteur de thrillers psychologiques tels que Pavillon 38, Caïn et Adèle, Obscura, L’année du rat, Souviens-toi de m’oublier.
Résumé
Le Dr Morel et six apprentis aux dons mystérieux se retrouvent dans un vaste château, l’Etoile. Le riche propriétaire, Philippe Wolf, souhaite voir disparaître l’esprit qui harcèle sa famille. Que se passe-t-il vraiment en ces lieux perdus au fond des bois ? Des portes claquent, un piano joue sans pianiste.
Extrait
La voiture traversait des paysages que le soleil de novembre n’égayait pas : labours et bosquets aux teintes fauves se détachant sur un ciel bleu pâle, laitières en sursis dans des prés humides, absence d’oiseaux. Quand la route s’enfonçait dans un bois, la luminosité déclinait sur le tapis de feuilles mortes jonchant les bas-côtés. Nous n’avions croisé aucun véhicule depuis les kilomètres.
Assis à la place du mort, le Maître nous tournait le dos, mais à ses yeux, que l’un ou l’autre interceptait parfois dans le rétroviseur, nous voyions bien qu’il jouissait de notre embarras.
La surprise avait eu lieu au petit matin sur le quai de la gare de l’Est, quand chacun d’entre nous, persuadé d’entreprendre ce voyage seul avec lui, avait découvert les cinq autres. Le cou enveloppé d’une écharpe à carreaux, sa veste en mouton retourné tendue sur son ventre proéminent, un sac à ses pieds, il nous attendait devant la voiture 8. On aurait dit un passager s’apprêtant à embarquer à bord du Transsibérien pour Vladivostok, et nous nous préparions pour un voyage aux frontières de l’inconnu plutôt que vers une banale propriété familiale.
Il est probable que nous ayons tous eu le même réflexe en apercevant sa silhouette sur le quai : la joie de le retrouver en ces circonstances, nous qui ne l’avions fréquenté que dans son cabinet de consultation ou des cafés anonymes - et l’étonnement de le voir accompagné.
La plus jolie réaction fut celle de Vicky, arrivée bonne dernière en courant, tandis que quelques minutes avant le départ nous l’attendions encore, gauches et muets, avec le Docteur qui terminait son premier cigare de la journée. Après nous avoir détaillés de ses yeux beiges, la jeune femme manifesta sa surprise à voix haute et, naturelle, spontanée et immédiatement séduisante, rit de s’être crue son unique disciple, exprimant ainsi tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Le coup de sifflet du contrôleur mit un terme à cet intermède.
Une fois assis, chacun se réfugia dans ses pensées, évidemment occupées par la malice du Dr Morel, ce week-end dans un château « habité » où nous devions éprouver nos dons, et surtout les cinq autres, ces inconnus chez qui nous hésitions à voir des semblables ou des rivaux. Mais le train nous entraîna à son allure infernale, laissant derrière lui des panoramas à peine entrevus, tout comme nos interrogations, nos espoirs et nos doutes.
Dans le taxi où nous étions entassés, celui qui se prénommait Clovis, dont les longs membres et la calvitie suggéraient un échassier déplumé, reprocha au Docteur ses cachotteries. Ce dernier, sur le même ton désinvolte, argua de l’humilité nécessaire à tout apprentissage.
- C’est en se confrontant à l’autre qu’on grandit, n’est-ce pas ? poursuivit-il tout en ambiguïté.
« L’autre » : nous-mêmes, mais également la quête qui nous réunissait. Pour rompre le silence, tandis que nous poursuivions notre progression sur cette route déserte, Vicky, la plus sociable - ou en tout cas la plus expansive -, évoqua son métier d’agent immobilier spécialisé dans les produits de luxe à Paris.
- Je fais visiter de beaux appartements à une clientèle bourgeoise qui trouve quelque chose à redire sur tout, précisa-t-elle pour excuse son propre aspect bourgeois qui n’avait gêné personne.
Elle était d’une élégance très sophistiquée pour une partie de campagne, une séductrice sont la volubilité révélait le peu de goût pour la solitude, mais nous lui étions surtout reconnaissants de cette main tendue et de sa voix rauque qui emplissait l’habitacle.
- Et je fais des photos, ajouta-t-elle avec un air de connivence.
Peut-être aurions-nous pu alors deviner la nature de ses images, mais personne ne releva.
Concentré sur la route, le chauffeur, ignorant la particularité de ses passagers, demeurait hermétique à notre conversation.
L’entrain de Vicky finit par être communicatif et, grâce à ses efforts, on sut qu’Evelyne était agent de l’administration fiscale à Bordeaux, Luca cuisinier urgentiste, capable de remplacer à la dernière minute un chef qui faisait défection, et Leila infirmière dans un service de soins palliatifs, profession dont la gravité imposa le respect. Leila qui passa l’essentiel de ce trajet à envoyer des textos, à destination de son fiancé et de ses deux jeunes frères, devions-nous apprendre plus tard.
- Et qu’est-ce qu’il en pense, de tout ça, papa ? demanda Vicky au Docteur.
Derrière ses lunettes à monture épaisse, autant protection que loupes à travers lesquelles elle scrutait le monde, Evelyne se fendit d’un sourire pincé. A l’avant, une main occupée par un cigare éteint, le Maître ne s’embarrassa d’aucune réponse.
Enfin, le véhicule s’arrêta devant un haut portail et le chauffeur descendit pour sonner à l’interphone.
Moins d’une minute plus tard, la grille s’ouvrait et nous nous engagions sur un chemin goudronné, avec l’impression de pénétrer un univers interdit, ou en tout cas étranger.
Mon avis
Dans un château isolé, de pièce en pièce et de portrait en portrait, l’auteur nous balade en instillant le doute. Mais dans quelle réalité sommes-nous ?
Très très belle réussite ! Il est fort dommage que Régis Descott ne bénéficie pas de plus de médiatisation autour de ses œuvres. Vous ai-je déjà dit qu’il était un des maîtres du thriller psychologique ? Vous pouvez le répétez. Et surtout, n’hésitez pas à le lire et à l’offrir !
Les variations fantômes, Régis Descott, éditions JC Lattès 19,50 €