Shannon Burke est né dans l’Illinois. Il a été ambulancier à New York. Il est scénariste et écrivain. Après Manhattan grand angle, 911 est son second roman.
Les droits d’adaptation cinématographiques ont été achetés par la Paramount. Todd Kessler (Les Sopranos, Damages) en écrit actuellement le scénario pour le metteur en scène Darren Aronofsky (Requiem for a dream, The Westler)
911 a été publié chez Sonatine sur les conseils de Patrick Raynal.
Résumé
Alors qu’il a raté le concours d’entrée en médecine, Ollie Cross devient ambulancier dans un des quartiers les plus difficiles de New York : Harlem.
Extrait choisi
[...]
Nous longions en ambulance les rangées lugubres des logements sociaux de Polo Grounds, passant devant les terrains de basket grillagés et l’aire de jeux privée de ses balançoires, pour arriver au pied de la tour la plus au nord, où une foule se massait, pointant le trentième étage, puis une forme sur le béton. Un brancardier se trouvait tout près, tenant entre deux doigts un bout de chair recourbée de la taille d’un palet de hockey. Alors que nous sortions de l’ambulance, le type lança : « Qu’est-ce que c’est que cette merde ? C’est quelle partie du corps ? » Sans même ralentir le pas, Rutkowsky répondit : « Palais osseux. Il a giclé à l’impact. »
La fille avait fait craqueler le trottoir, elle s’y était littéralement enfoncée. Une de ses jambes était repliée sous son corps. Sa tête gisait dans un angle inconcevable. Elle était complètement inerte. Rutkowsky se campa au-dessus d’elle, considéra la position dans laquelle elle se trouvait, releva les yeux vers le toit, puis les baissa à nouveau sur elle. Il se pencha pour palper le cou et la partie postérieure de son crâne, puis releva sa chemise afin d’examiner son torse, révélant ce qu’elle avait fait avant de sauter - en lettres rouges, brouillonnes, les mots VIE DE MERDE avaient été tailladés sur son ventre. Rutkowsky resta planté là pendant une dizaine de secondes. Puis, sans le moindre changement d’expression, il consulta sa montre, se retourna et dit : « 18 h 43. » Derrière nous, un flic écrivit l’heure. Rutkowsky prit un drap sur le brancard et en recouvrit la fille, calant les coins sous son corps afin que le vent ne le soulève pas. Puis nous l’avons laissée avec les brancardiers : leur formation médicale est moins complète que celle des ambulanciers, et c’est à eux qu’il incombe de rester auprès des cadavres. Rutkowsky et moi sommes retournés à l’ambulance. Tout cela n’avait duré qu’une trois minutes. Sur le tableau de bord, le dîner de Rutkowsky fumait encore, recouvrant le pare-brise de buée. Rutkowsky repassa derrière le volant, prit sa fourchette en plastique, et s’était déjà remis à manger lorsqu’une femme d’âge mûr s’avança et se planta à trois mètres de nous pour nous observer. Quand Rutkowsky lui jeta un coup d’œil, ce fut comme si elle avait reçu une décharge électrique. Elle se mit à hurler : « Regardez-le ! Il préfère manger, plutôt que de sauver ma fille ! Il mange du poulet au sésame alors que ma fille est en train de mourir ! »
Elle se précipita en avant et frappa violemment la vitre, le visage déformé par la colère.
« Ma fille est morte ! Et il bouffe son putain de poulet au sésame ! »
Rutkowky reposa son repas sur le tableau de bord, mit le contact, fit retentir une seule fois la sirène et, dès que la mère de la défunte eut reculé d’un pas, démarra. Il tourna à l’angle de la rue, gara l’ambulance et poursuivit son repas, tout ça sans un mot. Je le regardai. Rutkowsky abaissa sa fourchette.
« Quoi ? demanda-t-il.
- C’est la mère de la victime. Je sais bien qu’il n’y avait plus rien à faire, mais elle aurait voulu qu’on essaie de la réanimer. Histoire d’être sûre qu’on avait tout tenté. »
Rutkowsky ne m’expliqua pas qu’une équipe d’ambulanciers ne pouvait se permettre de s’occuper de patients condamnés. Il ne m’expliqua pas que les effectifs étaient réduits à la portion congrue, ni que le fait de perdre notre temps sur un patient mort nous attirerait des ennuis. Il se contenta de dire : « Comme si j’allais essayer de la sauver. En plein dîner. »
Mon avis
Lire 911 revient à plonger avec les urgentistes dans le Harlem des années 80, de nuit comme de jour. A cette époque, ce quartier était laissé à l’abandon. La plupart des ambulanciers ne s’y aventure même plus.
Violences, drogues, détresses en tout genre, c’est l’univers que découvre le lecteur à l’instar d’Ollie Cross qui va apprendre son job en suivant les anciens, de grands professionnels déjantés. Emaillé de scènes d’interventions livrées sans fioritures entre lesquelles s’intercale le discours flippant du chef de la station d’ambulanciers, 911 serait presque un documentaire sur Harlem livré au chaos total.
Comment peut-on continuer à avoir l’esprit serein en étant constamment plongé dans l’horreur ? Peut-on exercer ce métier pendant plusieurs années sans risquer d’y laisser sa peau ? Est-ce qu’on ne finit pas par se dire « *Qu’est-ce que j’en ai à foutre, après tout ? En quoi ça devrait me concerner ? Quelle importance ? » Voilà les questions qui vous viendront à l’esprit au fil de votre lecture sans oublier celle-ci : comment un jeune homme de 23 ans issu des beaux quartiers va s’en sortir ?
D’aucuns compareront l’écriture de Shannon Burke à celle d’Hubert Selby Junior, oui, bien sûr. Le noir lui va bien, très bien même. Je vous conseillerais juste d’oublier tous vos aprioris avant de plonger dans ce roman intense et effarant.
Pour indication, le titre américain est Black Flies telles celles qui se collent sur les cadavres.
*extrait du Prologue de 911
911, Shannon Burke, éditions Sonatine 16 €
Traduction de Diniz Galhos