Plus je deviens agoraphobe, plus mon voyeurisme s’aggrave. Je crois que je glisse lentement vers la folie.
Ce matin, Tommy est venu frapper à la porte de mon voisin d’en face en compagnie d’une jeune femme que je ne connaissais pas. Je les ai vus de ma fenêtre : il était tout de noir vêtu. Elle portait quant à elle une jupe grise déraisonnablement courte et un chemisier bleu échancré. Une barrette bleue retenait ses cheveux, sur le côté gauche.
Personne n’a répondu et ils s’en sont allés. Je me suis demandée s’ils ne s’étaient pas trompés d’adresse et ce n’était pas plutôt moi qu’ils venaient rendre visite. J’ai hésité une bonne heure, puis j’ai réussi à me convaincre que lui envoyer un texto serait la bonne chose à faire.
— I knew you would come, me dit-il sur le ton de l’évidence en m’ouvrant sa porte.
— Ne sois pas si sûr de toi. Je sors de moins en moins de mon demi-sous-sol.
— You’ve seen her, right? I knew that it would be enough to wake up the beast inside you.
Sur la moquette du corridor derrière lui, une microjupe grise.
Le premier baiser est tendre et léger. Elle semble très nerveuse. Peut-être même effrayée.
Le second est plus long, plus profond : irrésistible. Autant pour lui que pour elle.
Il fait noir comme dans un four. Ou alors, comme dans l’antre d’un loup. Je sais que ces expressions sont des clichés usés, mais c’est pourtant exactement comment je me sens. La noirceur, ce n’est pas pratique pour moi, mais c’est ce qu’ils aiment et je ne crois pas être en position d’exiger quoi que ce soit. Je m’efforce donc de les observer à la lueur de mon iPhone.
Elle est sur le ventre, nue, avec les hanches poussées vers l’arrière. Tommy, la baise lentement, avec une patience et une adresse d’artisan pendant qu’elle soupire, le visage enfoui dans les oreillers. Il a placé une main entre les cuisses de la jeune femme et caresse son pubis, juste au-dessus du clitoris, avec un vibromasseur minuscule.
Je me demande s’il peut sentir les vibrations à travers la chair, jusque qu’à la hampe de son sexe.
Vient le moment insupportable où je ne peux plus en prendre, où tous mes sens sont saturés du plaisir des autres, où mon corps se tord et tremble de désir et que mon esprit me crie de fuir, de sauver ce qui me reste de contenance, de courir à un endroit où je trouverai calme, silence et eau fraîche.
Quand Tommy vint me trouver dans mon refuge, son amante avait eu le temps de partir et moi, j’étais déjà venue trois fois — juste assez pour reprendre forme humaine.
Tommy se masturbe sous la douche. Eau chaude et savon non parfumé. Ses doigts sont longs, minces et couleur café. Il travaille son manche avec désinvolture et dextérité, on croirait Jimi Hendrix interprétant Voodo Chile. Au moment de jouir, son sourire reste calme et entendu.
Les serviettes sont blanches. La porcelaine est froide sous mes fesses nues. Ma volonté est en miettes, éparpillée sur le carrelage de céramique.