Certains disent qu’il n’y a rien de pire qu’une tempête en mars, à deux jours du solstice du printemps. Ceux-là ne s’imaginent pas à quel point ils se trompent : une tempête de mars quand on n’a plus d’endroit pour se mettre à l’abri, c’est infiniment plus pénible.
Martin était debout, appuyé contre un lampadaire. Nulle part où aller, personne qui l’attend, rien d’autre à faire que de rester là, avec la neige qui s’accumulait plus vite sur ses épaules que la monnaie dans sa casquette qu’il tendait aux passants.
— Hey bébé, t’as envie de t’amuser? demanda la fille de joie en le prenant par la taille de son bras nu. Elle tremblait de froid et de gros flocons de neige parsemaient sa chevelure comme un voile de mariée.
Il la regarda d’un air mi-amusé, mi-attristé, renifla, essuya son nez contre le revers de sa manche, puis répondit :
— Tu ne devrais pas t’habiller comme ça par un temps pareil. Tu vas geler tes pauvres os.
— T’occupes, c’est mon uniforme de travail. T’as envie de t’amuser, oui ou non? Ou alors tu vas rester là, jusqu’à ce que tes deux pieds prennent dans la glace?
— Je veux bien, mais je n’ai pas vraiment de chez moi en ce moment…
Pour toute réponse, elle prit sa main et l’entraina jusqu’à chez elle.
Martin lui remit toute sa fortune: quarante-sept dollars et vingt-huit cents. Elle se dit que c’était mieux que rien, surtout qu’avec toute cette neige, la soirée était foutue de toute façon. Elle était jolie, ses seins étaient menus et le fait qu’elle était mal épilée plaisait plutôt à Martin.
Lorsqu’ils eurent fini, il se blottit contre elle, le nez enfoui dans sa nuque. Elle se sentait bien, la chambre était chaude, le loyer était payé et elle entendait le vent se fracasser sur la fenêtre couverte de givre. Lorsqu’il crut qu’elle s’était assoupie, Martin lui murmura à l’oreille:
— Et toi, as-tu quelqu’un?
— Juste toi, répondit-elle alors qu’une larme froide comme un hiver tardif coula sur sa joue.