Pensez-vous que les astres ont une action sur votre vie ? Peu importe. Lisez «L’Etrange encyclopédie du docteur K». Que vous soyez «sceptiques ou astro-dépendants», ce livre vous concerne car au-delà des ondes astrales – dont l’influence n’est pas avérée – il traite des «résonances» qui, elles, sont bien réelles.
Peu importe qu’une chose soit vraie ou fausse : si elle entre en résonance avec nous, elle peut nous modifier. Revenants, planètes amies, esprit protecteur, troisième œil. Toute la question est de savoir quelle prise psychologique nous offrons à ces choses dont nous nions l’existence, tout en ayant un peu peur d’elles… ou un peu envie d’y croire. Dans un livre, récemment publié par la société d’ethnologie de Nanterre, intitulé L’Etrange encyclopédie du docteur K., l’anthropologue Emmanuel Grimaud, chercheur au CNRS, aborde l’astrologie sous un angle inédit : il s’agit d’art brut autant que de poésie métaphysique. Ce livre reproduit le travail d’un étonnant astrologue indien, collection unique en son genre de portraits réalisés à partir du zodiaque des personnes parfois disparues depuis des milliers d’années.
Tout commence au début des années 50. Né dans une caste de brahmane du nord de l’Inde, le «docteur Kulkarni» appartient par son père à la septième génération d’astrologues. Il se fait appeler Pandit, qui signifie «savant», voire «médecin», parce que les astrologues en Inde ont pour fonction d’aider les gens suivant des principes considérés comme aussi rigoureux que la neurologie. Alors que depuis au moins le XVIe siècle en Europe l’astrologie est reléguée au rang d’ésotérisme charlatan, en Inde elle bénéficie d’une faveur telle que les revenus de l’astrologie y sont estimés à 400 milliards de roupies en 2004. Il y a là-bas une véritable «industrie de la destinée». Se marier, avoir un enfant, jouer en bourse… Rien ne se fait sans consulter les jyotishis, spécialistes du sidéral.
Au début, bien qu’il grandisse la tête dans les étoiles, Kulkarni s’intéresse peu aux astres. Il veut devenir artiste. Il finit par travailler comme dessinateur sur des chantiers de fouilles archéologiques. Son travail consiste à reconstituer en images des scènes de vie à partir de tessons de poterie, des graviers et de fragments d’os. Son travail le confronte souvent à des crânes. Kulkarni leur redonne un visage. Un jour, du fond d’une tranchée touchant aux strates d’un lointain passé, un cercueil contenant un squelette de femme est exhumé. Kulkarni s’efforce de dessiner celle qu’il appelle «la mère». Il lui redonne vie, par le biais de portraits remplis d’une étonnante énergie vitale. Les passions de la mère, ses traits psychologiques dominants, lui apparaissent aussi clairement qu’en photo. Il ouvre un cabinet de consultation astrologique et entreprend de peaufiner sa méthode, basée sur l’examen du crâne. «Réputé pour avoir conçu une méthode de dessin inédite permettant, sans l’avoir jamais vue et à partir de son horoscope, de recomposer le visage d’une personne, le Pandit mûrit ensuite le projet monumental d’une encyclopédie astrologique illustrée de la destinée humaine». Les consultations qu’il donne, essentiellement à des femmes, mais aussi des criminels, des drogués, des célébrités ou des hommes d’affaires, sont uniques en leur genre. Il dessine le portrait du client et fournit, sur une feuille en décalque, le même portrait… sans peau ni chair. Chaque client peut donc se voir et, sur la feuille de dessous, voir son crâne. A ces deux portraits, le Pandit joint un diagnostic astrologique en forme de poème étrange.
«Voici le portait d’une femme experte dans l’art d’embrasser, de toucher, de caresser et de masser. Sa peau est comme de la crème de lait. Attardez-vous sur son squelette et vous comprendrez la délicatesse de sa peau. Quel beau contraste !».
«Regardez cette femme, elle est très belle, elle possède un diplôme universitaire, une licence es études commerciales. Mais son histoire est une très grande affaire de séduction, de prostitution dans les hautes sphères de l’état. Tout visage décèle un danger !».
«Et voici un homme dangereux, un voleur, il a pillé les siens et s’est enfui de la maison. Son visage est aussi dangereux que son crâne».
Certains clients viennent pour lui demander le portrait d’un proche, parce qu’ils n’en possèdent pas de photographie. Kulkarni demande alors simplement les dates de naissance. Parfois c’est le contraire : on lui fournit un portrait. A lui d’établir la date de naissance exacte de la personne… C’est «scientifique», explique-t-il. La forme que les êtres et les roches avaient avant d’être érodés ou dissous par le temps n’est pas le résultat du hasard. Notre visage est en effet l’émanation directe du crâne qui le sous-tend. Or le crâne, lui-même et la façon dont la chair le recouvre résulte directement du jeu des astres sur nos morphologies. Tout vient de ces interactions qui renvoient, in fine, au mouvement des planètes, suivant le jeu subtil de ce qu’Emmanuel Grimaud nomme «les affinités».
«Pourquoi votre nez est-il plus décalé vers la gauche ? Pourquoi vos oreilles sont-elles plus longues que les miennes ? […] Si vous venez me voir, je décèle tout ce qui vous échappe et que vous ne voyez plus, car personne ne peut se voir tel qu’il est, même dans un miroir. Il ne rencontre que son image inversée».
Il existe un rapport d’affinité indéniable entre notre crâne et notre visage. Allant plus loin dans l’analyse, le Pandit établit le rapport d’affinité qui unit nos os aux planètes, dont l’union amoureuse modèle non seulement nos traits mais notre psychisme lui-même, dit-il. Les humains tout comme les paysages montagneux subissent chaque année l’érosion, celle du vent, de la pluie et de l’action des forces naturelles. «Vous serez vous-même un objet archéologique dans quelque temps. Vous l’êtes déjà, vous ne cessez de vous modifier.» Rien ne meurt, tout n’est que changement. De ce point de vue, «il n’y a pas moyen de séparer les hommes de minéraux». Ce sont des corps affectés par des influences invisibles, parmi lesquelles le Pandit détecte celle des objets célestes. Sa méthode, originale, mélange curieux de physiognomonie et d’astro-connexion, ouvre «des possibilités de lecture et d’action, en envisageant la personne dans un cadre interactif plus large à cheval entre le visible et l’invisible», explique Emmanuel Grimaud, dans un texte d’introduction à la fois pointu et troublant. Cette astrologie, dit-il, pense les humains (et non humains) «en devenir» et «en recherche constante d’équilibre au sein d’une configuration de forces. Pour le dire vite, les habitants de la Terre sont comparables à des accumulateurs d’énergie qui se chargent et se déchargent continuellement, en fonction de forces entrant dans leur champ de sensibilité et qui, à force de buter sur des murs invisibles, sont forcés d’adopter des chemins».
«Voici le portrait d’une jeune fille qui dit à son compagnon : «Ne t’attache pas à moi. Suis ton propre chemin. Je vais mourir !». Très belle, venant d’une autre ville, sa beauté s’est en effet révélée fatale. Elle fut violée et assassinée. J’ai réalisé cette peinture avant l’apparition de la photographie en couleur».
Le Pandit affirme que ses dessins «remédient à une absence». Il décrit le cosmos comme une sorte d’imprimante qui laisse par touches, ses traces et ses empreintes. En remontant l’échelle des causes, au-delà des influences que peut avoir sur nous la façon dont nous mangeons, dont nous vivons, notre éducation, notre milieu socioculturel, il y a les astres qui englobent toutes ces influences et les dépasse. Est-on coupable de vouloir entrer en résonance avec les étoiles et les planètes ? Dans notre culture, il est bien vu de raconter ses souvenirs sur un divan pour essayer d’expliquer qui l’on est ; d’attribuer ses mouvements d’humeur aux hormones ; ou d’imputer sa baisse de libido à une carence en fer. Nous subissons en permanence une multitude d’impacts, avec des variations d’intensité diverses et qui nous affectent plus ou moins suivant la façon dont nous les appréhendons.
Nous sommes un champ de bataille pour les «emprises», dit Emmanuel Grimaud, définissant l’humain comme espace traversé par le désir, situé au centre d’un «champ de force composé, pour les plus éloignés, par les divinités et les planètes et, pour les plus proches, par d’autres personnes ou d’autres corps» mus par l’attraction ou la répulsion. Cherchant à identifier qui nous sommes, nous ne cessons de le trouver non pas dedans mais dehors. C’est comme si notre cerveau n’était qu’un fantôme. Comme si notre Moi était fait de choses venues de très loin dans le temps et l’espace. A la fois «vestiges» et «vertiges»…
A LIRE : L’Etrange encyclopédie du docteur K., d’Emmanuel Grimaud. Publié par la société d’ethnologie de l’Université de Paris OUest Nanterre.
EXPOSITION : Morpho-astrologie. Les œuvres du Pandit étaient exposées ce week-end à la Salle Saint Bruno, à Paris. Hélas, l’exposition a duré… trois jours.
Salle saint Bruno : 9 rue Saint-Bruno 75018 Paris // 01 53 09 99 22 //