Si un secteur tel que la publicité, qui représente plus de 30 milliards d’euros de dépenses annuelles, utilise le sexe c’est qu’il doit bien y avoir une raison… Dans un livre intitulée La Pub enlève le bas, une chercheuse enquête. Le sexe fait vendre, dit-on. Idée reçue ? Réalité ?
Dans «La Pub enlève le bas – Sexualisation de la culture et séduction publicitaire», Esther Loubradou résume un travail de plusieurs années consacré aux effets des images de publicité sexuelle sur leurs «récepteurs», c’est-à-dire sur nous tous. Le psychiatre Serge Tisseron annonce, en introduction «qu’elle a réalisé un travail que l’évolution de la société et de la publicité depuis quelques années rendait absolument indispensable. Les images à contenus érotiques et pornographiques ont en effet toujours fasciné l’être humain. Nous les condamnons souvent, mais nous les recherchons tout autant. Et nous ne sommes pas étonnés d’apprendre que, dès la fin du XIXe siècle, une marque de tabac a augmenté considérablement son chiffre d’affaires en insérant des images érotiques dans chacun de ses paquets.» Reste à savoir si, réellement, la pub nous influence et comment… La chercheuse tente de répondre, sans vraiment y parvenir, ce qui en soi est assez instructif : il semble que le sujet soit beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Première constatation : l’utilisation du sexe pour faire vendre est quelque chose qui existe depuis les débuts du marketing. En apparence, le mécanisme d’incitation est simple : il s’agit d’induire chez le «récepteur» un sentiment de manque puis de lui proposer un produit de substitution… Pour le dire plus clairement : la publicité nous confronterait à des images de sexe afin de générer une frustration puis nous pousserait à croire qu’en achetant un produit, nous pourrions satisfaire le besoin urgent suscité par la vision de corps lascifs et musclés…
«Lorsque les publicitaires ont commencé à s’intéresser à la psychanalyse de Freud, ils se sont mis à réfléchir à nos désirs inconscients, nous plongeant alors dans des conflits intérieurs dont le seul moyen de se délivrer serait d’acheter le produit ou service promu. À croire qu’exciter notre désir sexuel permettrait d’exciter nos pulsions consuméristes. Le processus est en réalité plus complexe.»
Pour Esther Loubradou, nous (les récepteurs) ne sommes peut-être pas aussi stupides ou influençables qu’on voudrait nous le faire croire. Cette idée lui vient au début des années 2000, un jour qu’elle regarde la télévision : «Là, sous mes yeux de téléspectatrice, des vêtements éparpillés par terre, une femme sous la douche en pleine extase poussant des “oui“ suggestifs et des pétales de fleurs jaillissant d’un flacon symbolisant sans retenue l’éjaculation masculine. “Voulez vous faire quelque chose de vraiment excitant ce soir ? Lavez vos cheveux !“». Esther reste bouche bée à se demander qui serait assez bête pour acheter du shampoing en pensant s’offrir un orgasme sur commande. Les publicités peuvent-elles vraiment nous faire prendre des vessies (une boisson pétillante, un déodorant, un parfum) pour des lanternes (une vie sexuelle épanouie) ? Impossible pense-t-elle. Ca ne peut pas fonctionner ainsi. Il est cependant indéniable que les pubs exploitent une forme de foi dans le pouvoir d’un produit à transfigurer notre vie…
Le message des publicités se résume généralement en une phrase : «Consommez ce produit et vous serez plus sexy !». «Les promesses du type “achetez la voiture, vous aurez la fille“ sont courantes. La publicité présente ainsi des produits qui peuvent (en théorie) rendre le consommateur plus attirant sexuellement, favoriser ses relations sexuelles, augmenter son sex-esteem et le faire se sentir plus sexy. […] La marque de déodorants et gels douche pour homme Axe en est une très bonne illustration puisque partout dans le monde elle fait reposer ses campagnes sur le pouvoir d’attraction du produit. Avec l’«effet axe», tout homme devient subitement irrésistible et toutes les femmes sont à ses pieds. Certains diront qu’il s’agit de publicité trompeuse (et donc légalement interdite (1)) car elle promet des choses qui n’arriveront probablement pas.» Personne n’y croit mais… le message publicitaire fait mouche. Pourquoi ? Parce qu’il réveille en nous des désirs qui se situent bien au-delà du simple désir sexuel : il éveille l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi que le résume Serge Tisseron : «Beaucoup d’images publicitaires s’appuient sur les deux forces qui organisent notre vie psychique : le désir d’affirmer notre originalité et celui de nous rattacher à un groupe. Le premier joue sur le renforcement de l’estime de soi par exaltation de notre individualisme, et le second par rattachement à une communauté d’exception».
Reste à savoir si la publicité sexuelle est une bonne stratégie marketing… Pour répondre à cette question, Esther Loubradou s’appuie sur le modèle AIDA, modèle pionnier développé par Lewis en 1898. AIDA est l’acronyme d’Attention Intérêt Désir Achat. Pour qu’une publicité soit considérée comme bonne, elle doit répondre à ces quatre impératifs : attirer l’Attention, susciter l’Intérêt de la cible, créer et entretenir le Désir du produit et enfin convaincre la cible d’Acheter.
Première question : la publicité sexuelle attire-t-elle l’attention ? Oui, répond Esther qui appuie son propos sur une compilation importante d’études prouvant que l’intérêt porté à l’annonce est plus important lorsque cette dernière utilise la sexualité (2). «Cet intérêt est d’autant plus élevé que les contenus sont controversés», précise-t-elle, citant pour exemple l’impact énorme des campagnes Benetton orchestrées par Olivero Toscani, montrant un malade du Sida, etc. Tout le monde se rappelle également la campagne de l’agence Avenir, lancée en 1981 : «Le 2 septembre, j’enlève le haut», suivie d’une autre affiche «Le 4 septembre, j’enlève le bas». En 2004, selon une enquête Cybermarket, À la question «Laquelle de ces publicités attire le plus votre attention ?», c’est la campagne de Benetton qui arrive en tête, suivie par la publicité pour la lingerie Aubade. En 2007, la pub qui arrive en tête est une affiche pour la lutte contre le SIDA représentant un homme en train de faire l’amour à un scorpion. En second vient… la publicité Aubade.
«L’hypothèse selon laquelle le sexe attire incontestablement les regards et suscite l’intérêt du consommateur est confirmée par de nombreuses recherches», conclut Esther mais pousse-t-elle à l’achat ? Dans un sondage réalisé en 2005 par Adweek, 33 % des hommes et 11 % des femmes rapportent que des publicités contenant des informations sexuelles entraînent chez eux une mémorisation de la marque (2). «Pourtant seuls 8 % des hommes et 3 % des femmes déclarent que des publicités contenant des thèmes sexuels leur font acheter le produit. Alors qu’en est-il ? Les exemples de succès ne manquent pas. Heineken déclare que les références sexuelles dans plusieurs de ses spots avaient fonctionné, entraînant une augmentation des ventes de 13 % en 2002. De même, au siècle dernier, la marque Duke & Son avait commencé à insérer dans ses paquets de cigarettes des cartes à collectionner mettant en scène des femmes sexuellement attirantes dans des poses provocantes. Cinq ans plus tard, Duke & Son était devenue la première marque de cigarettes aux États-Unis. Aubade assure aussi avoir multiplié son chiffre d’affaires par trois avec le lancement des Leçons de séduction.» Et pourtant…
Lorsque la très sérieuse firme Cybermarket enquête les résultats sont moins que probants. Pour mesurer réellement les effets des publicités sur l’achat, elle met en place le protocole suivant : 52 personnes sont mises en situation d’achat concernant des produits de grande consommation sur un site Internet de vente en ligne. La moitié des sujets sont tout d’abord soumis à la visualisation d’un classeur comprenant différentes publicités sexuelles et non sexuelles de produits qu’ils retrouvent sur le site de vente en ligne. Ils doivent faire leurs courses parmi 129 produits de consommation courante. Le sexe a-t-il déclenché une décision d’achat ? Résultat négatif. «Les sujets ayant été exposés au préalable à des publicités ont globalement acheté moins de produits», résume Esther qui conclut : «Un cinquième des publicités ont un lien proche ou lointain avec le sexe ou la sensualité. Mais de tous ces messages, à peine 10% ont une probabilité non négligeable d’être mémorisés».
Si la plupart des études prouvent que la vision du sexe attire l’attention, aucune ne semble avoir jusqu’ici établi de corrélation directe entre l’achat d’un produit et sa publicité sexuelle. Esther Loubradou ajoute même que «l’utilisation du sexe peut également coûter cher à certaines marques et affecter leurs ventes ou même leur réputation tel que ce fût le cas aux États-Unis pour Abercrombie & Fitch qui a fait l’objet de nombreux boycotts ; en Angleterre avec la publicité pour le parfum Opium ; ou en France pour la crème fraîche Babette par exemple. C’est ainsi que certains soutiennent que le sexe dessert plus le produit qu’il ne le sert et que les connotations sexuelles ne fonctionnent que si elles sont utilisées pour promouvoir des produits érotiques ou pour soutenir de grandes causes (3), en d’autres termes si l’utilisation du sexe est pertinente et appropriée».
Il semblerait d’ailleurs que les femmes soient les premières à boycotter les marques qui abusent de potiches pour vanter les mérites d’objets bas de gamme. En revanche, si le produit vanté relève du luxe, ça passe. «Une étude récente indique en effet que lorsque le contexte sexuel soutient la promotion d’un produit de grande valeur (en l’espèce il s’agissait d’une montre dont le prix variait de 10 à 1 250 $), les réactions des femmes s’atténuent et sont beaucoup moins négatives. Les chercheurs expliquent ces résultats par une théorie économique du sexe qui considère que les femmes veulent que le monde perçoive leur corps érotisé comme quelque chose de rare et de précieux… tout comme les produits présentés.» A bon entendeur salut : les consommateurs détestent les mauvaises publicités. Sexe ou pas, il importe que le message marketing colle avec le produit. C’est ce que la chercheuse nomme la «congruence». Lorsque les pubs sont incongrues, elles font un flop. Lorsqu’elles sont trop choquantes, elles font un flop aussi. L’usage du sexe en pub ne garantit donc absolument pas le succès de cette pub. Ce qui n’empêche pas les publicitaires d’user et d’abuser de semi-nudités suggestives… Qu’en conclure ?
«Globalement les publicités sexuelles nous interpellent et jouent avec nos affects, affirme Esther Loubradou. Mais la présence de contenus sexuels ne pousse pas forcément à se rappeler du produit ni à l’acheter ! Une congruence produit semble nécessaire et un degré de sexe modéré reste plus efficace et stimulant. Seule une utilisation judicieuse et pertinente de contenus sexuels est bénéfique à l’efficacité d’une publicité. La question est de savoir à partir de quel moment l’utilisation du sexe devient contreproductive et n’est plus efficace. Plus de recherches restent nécessaires dans ce domaine et l’influence non consciente de ce genre de publicités mériterait d’être plus spécifiquement étudiée. La question de l’efficacité des publicités sexuelles est finalement loin d’être simple. Les effets sont souvent incertains et mitigés, parfois même divergents d’une étude à l’autre.»
En d’autre termes : lorsque les publicitaires usent du sexe, mieux vaut qu’ils le fassent de façon pertinente. Ce qui est rare. Aussi rare finalement que nos achats motivés par la seule influence d’un slogan du style : «Si tu as le voiture, tu auras la femme». Au termes de sa recherche, Esther Loubradou estime que la publicité ne nous influence pas tant que ça… mais sa démonstration laisse un peu dubitatif.
«La Pub enlève le bas – Sexualisation de la culture et séduction publicitaire», Esther Loubradou, éditions du Bord de l’eau.
Ce livre est tiré de la thèse intitulée «Porno-Chic et indécence médiatique : contribution interdisciplinaire portant sur les enjeux communicationnels et sociojuridiques des publicités sexuelles en France et aux États-Unis», de Esther Loubradou. Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication sous la direction de P. Marchand, Toulouse, Université Paul Sabatier.
(1) D’ailleurs, pour l’anecdote, les boissons alcoolisées ne peuvent pas jouer sur cette promesse de bénéfices car elles n’ont juridiquement pas le droit d’utiliser l’argument du sexe pour faire vendre et ne peuvent en aucun cas promettre une augmentation des performances sexuelles suite à la consommation d’une boisson alcoolisée.
(2) MUDD T. (2005). Does Sex Really sell ?, (Survey explores how men and women look at sexually charged ads), in Adweek, 17 Octobre 2005, p. 14-17., p. 17.
(3) POPE N., VOGES K.E., BROWN M.R. (2004). The effect of provocation in the form of
mild erotica on attitude to the ad and corporate image, (Differences between cause-related
and product-based advertising), in Journal of Advertising, spring 2004, Vol 33(1), p. 69-82.