Dans “Robot, amour éternel”, la danseuse Kaori Ito joue les androïdes insomniaques. Sur fond de messages vocaux synthétiques, elle met en scène la dystopie d'une société où les humains, obsédés par le rendement, se mettent à copier les robots.
«Je pense tout le temps à la mort. Ca a commencé quand j’avais 6 ans. Pour laisser une trace, je me suis mise à enregistrer les choses autour de moi. Je voulais que mes parents puissent savoir ce que j’avais entendu au moment de mourir. Quand on retrouverait mon cadavre, qu’ils puissent entendre mes derniers chants d’insecte, mes derniers sons de voix… qu’ils m’entendent une dernière fois.» Kaori Ito a maintenant 38 ans. Elle n’a jamais cessé d’enregistrer, mais maintenant c’est pour son fils, Sola, dont elle a accouché il y a à peine 7 mois et qu’elle emmène partout en tournée. Le nom Sola est homophone du mot «ciel» en japonais. Pour lui, elle compose des archives, écrites et sonore afin qu’il puisse –s’il le désire un jour– savoir comment il est venu au monde, comment il a grandi. Une banque de souvenirs. «Sur les enregistrements, on l’entend aussi. Il pourra écouter nos dialogues. Je lui raconte des histoires. Je lui transmets une mémoire qui, autrement, risque d’être perdue : on oublie et on change si vite… Mon corps, par exemple, n’est plus le même depuis la grossesse.»
Se mettre dans la peau d’un robot
Avant de tomber enceinte, elle a fait mouler des parties de son corps : épaules, hanches, cuisses, bras… Quand elle enfile comme des pièces d’armure les coques en résine synthétique, «c’est comme enfiler un corps disparu», dit-elle. Les fragments de son anatomie ancienne n’adhèrent plus aussi étroitement. Sur scène, bien que le spectacle soit un solo, il n’y a donc pas une mais deux femmes : celle qui se met dans sa peau d’avant, tel un androïde, adopte les postures conventionnelles de la séduction, danse en playback sur le tube Sabishiina («Je me sens seule») et note l’heure de ses insomnies, tandis qu’une voix synthétique égrène son agenda serré. Le planning de la Kaori d’avant –lorsqu’elle prenait l’avion tous les deux jours, programmée (sic) dans le monde entier– se mélange aux enregistrements de son journal intime de l’époque, récité par la voix synthétique d’un robot de dialogue.
Vivre en pilote automatique…
Londres, Melbourne, Zurich… Quand la vie de Kaori fonçait à Mach 0,8 (vitesse de croisière), elle était une machine à danser. Performante, efficace et rentable. Un parfait pantin, exécutant avec précision les mêmes chorégraphies, quel que soit le fuseau horaire, répétant les mêmes sourires, accumulant les succès d’un soir et le manque de sommeil. Quand la vie de Kaori allait trop vite –mais au service de quelle logique ?–, elle enregistrait le récit de ses crises d’angoisse ou de ses rêves morbides en formules courtes, comme des messages envoyés par quelqu’un d’autre. Le spectacle Robot, amour éternel, met en scène ce dédoublement sur fond sonore de voix électrique. «Le titre est ironique, dit Kaori. On projette sur le robot un idéal de pérennité. On imagine que le robot fait les choses sans se fatiguer, sans s’arrêter, avec efficacité… même l’amour. Mais en fait, c’est impossible. Parce que les machines sont fabriquées par les humains, elles buggent, comme eux.»
… et aspirer au «repos»
Dans ce spectacle proche de l’expérience spectrale, Kaori n’évolue pas qu’avec son double d’ailleurs. Il y a aussi ce qu’elle nomme ses «fantômes». Ils s’échappent parfois –fumée blanche– des ouvertures rectangulaires qui délimitent des fosses tombales sur la surface de la scène. «J’ai souvent traversé la peur d’être seule dans ce mode de vie presque robotique, explique Kaori dans le dossier de presse. Tout se passait très vite et j’avais l’impression de ne jamais avoir de repos. Au bout d’un moment, j’ai eu besoin de temps de vide, le temps de vide qui fait évaporer les autres temps, le temps de vide qui me fait penser que peut-être on peut s’échapper de la mort.» En entretien, serrant contre elle Sola (dont le nom «ciel» renvoie aussi au vide), Kaori évoque ses ami-e-s morts ou disparues et dont le Facebook continue d’exister. Elle parle aussi des parties de son corps qu’elle doit aux ancêtres : la bouche d’une arrière-grand-mère, les yeux d’un oncle lointain… «Mes fantômes sont en moi, dit-elle. Quand je danse avec ce corps, ils dansent avec moi». Ce qui restera après notre mort, qu’il s’agisse d’un compte FB, d’un enregistrement numérique ou d’un enfant ayant la même couleur de yeux, ce ne sera peut-être pas grand-chose, mais. Ca restera.
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Robot, amour éternel, du 25 au 26 mai 2018 • Saint Quentin en Yvelines • Scène nationale
Avec : Kaori Ito
Texte, mise en scène et chorégraphie : Kaori Ito. Collaboration à la chorégraphie : Gabriel Wong. Collaboration univers plastique : Erhard Stiefel et Aurore Thibout. Composition : Joan Cambon. Direction technique et création lumière : Arno Veyrat. Regard extérieur & roboticien : Zaven Paré.