Des pilules rouges au musc "pour tous les désirs", des poudres pour que les os exsudent l'odeur des fleurs… L'exposition "Parfums de Chine” ressuscite des parfums du passé.
Il y a cent vingt ans, le musée Cernuschi ouvrait ses portes et frappait le public parisien par son idolâtrie… «Derrière la façade néoclassique de l’hôtel particulier jouxtant le parc Monceau», au centre d’un espace aux proportions de temple asiatique «se trouvait un bouddha monumental au pied duquel on avait disposé des brûle-parfums.» Des brûle-parfums devant une statue !? En écho aux pratiques rituelles qu’Henri Cernuschi avait pu observer lors de son voyage en Asie (1871-1873), le Musée lance une exposition sur l’art de l’encens en Chine. Surprise : l’exposition propose «un parcours olfactif intégré invitant à redécouvrir les matières premières et les recettes oubliées de parfums reéinterprétées par François Demachy Parfumeur-Créateur.» C’est donc par les effluves, invisibles, qu’on entre dans le bain de cette culture.
Culture chinoise : une culture d’odeur, par essence ?
Là-bas, même les médicaments sont constitués de parfum. Ils s’avalent. En témoigne l’anecdote suivante : «En 1846, alors qu’ils parcouraient la Chine, le père Évariste Huc et son compagnon, le père Gabet, tombèrent brutalement malades. Ils furent soignés grâce à l’absorption d’une sorte de panacée, douze pilules rouges qui portaient le nom de “trésor surnaturel pour tous les désirs”» Le père Huc aurait bien voulu en connaître les ingrédients. Impossible : «Une seule famille à Pékin est en possession de la recette, qui se transmet fidèlement de génération en génération, raconte-t-il, avant d’évoquer «son odeur musquée, très forte». Il y a donc du musc dedans. Le père Huc, cependant, ne s’en étonne point : «en Chine, non seulement les médicaments, mais encore les objets, les hommes, la terre, l’air, tout est plus ou moins imprégné de cette odeur particulière. L’Empire chinois tout entier sent le musc, et les marchandises même importées d’Europe s’en pénètrent complètement après quelque temps.»
Des parfums pour gendre idéal
Les parfums étaient à ce point importants que si vous sentiez bon… vous pouviez épouser la fille d’un ministre. Dans le catalogue, inauguré par Frédéric Obringer – sinologue au CNRS, conseiller scientifique de l’exposition – une autre anecdote frappe l’esprit : «Les parfums importés étant très coûteux, ils devinrent, dès les premières dynasties impériales, des marqueurs sociaux. Le ministre Jia Chong (217-282) arrangea, dit-on, le mariage de sa fille avec son amoureux Han Shou lorsqu’il perçut la senteur rare et exotique que laissait ce dernier dans son sillage…» Frédéric Obringer donne encore d’autres exemples de l’importance extrême accordée aux parfums en Chine. On les retrouve partout. Il y en a dans le thé ou dans l’encre avec laquelle on écrit au pinceau, il y en a pour les cheveux, pour les vêtements ou pour l’eau du bain, pour accueillir les amis, pour boire en bonne compagnie, pour lutter contre les cauchemars, pour les rituels et même… pour donner l’heure. Les premières horloges à encens prennent la forme de bâtons ou de spirales qui matérialisent l’écoulement des heures et des jours.
Des horloges à encens… «odeur du temps»
Certains bâtons d’encens portent des encoches. Les médecins prescrivent aux malades de prendre un médicament à chaque encoche. Dans la marine, elles servent à indiquer les veilles. «Il arriva même parfois, lors du mariage de l’empereur, que la marche de l’impératrice soit rythmée grâce à des bâtonnets d’encens pour calculer les moments de son parcours considérés comme “de bon augure”… De la dynastie Song à la dynastie Ming, la longueur et la taille des bâtonnets étaient fixées par le Bureau d’astronomie afin d’unifier les unités de mesure. D’autres techniques permettaient des alarmes sonores, comme celle de fixer un petit poids à un endroit déterminé d’un serpentin d’encens en spirale; la combustion entraînait la chute du poids sur une base en bronze ou dans un bassin».
En odeur de sainteté
Les propriétés magiques attribuées aux parfums sont telles qu’il faut se transformer soi-même en parfum, afin que les organes internes, le sang, la salive elle-même (?) embaument. «Des recettes proposaient de parfumer le corps par voie orale», explique Frédéric Obringer qui énumère les ingrédients d’une de ces «Recettes valant mille onces d’or », laissée par Sun Simiao (581-682) : graine de melon d’hiver, rhizome (deux sortes), angélique de Chine, racine de danggui, asaret, fangfeng. «Piler et tamiser les sept ingrédients pour obtenir une poudre. Prendre trois fois par jour après le repas, avec une boisson, une cuillerée d’un pouce carré. Au bout de cinq jours, la bouche est parfumée; au bout de dix jours, le corps est parfumé; au bout de vingt jours,la chair est parfumée; au bout de trente jours, les os sont parfumés; au bout de cinquante jours, on perçoit de loin le parfum; au bout de soixante jours, le parfum passe à travers les vêtements.»
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Exposition : Parfums de Chine, la culture de l’encens au temps des empereurs (9 mars - 26 août 2018)
Musée Cernuschi Musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris : 7, Avenue Vélasquez Paris 8e. Tél. 01 53 96 21 50. Ouvert tous les jours de 10h à 18h, sauf le lundi et certains jours fériés, nocturne le vendredi : 21h
A LIRE : Parfums de Chine, la culture de l’encens au temps des empereurs, éditions Paris Musées, 39,90 €, 240 pages
UNE PRESENTATION DE L’EXPOSITION : un compte rendu par Scribe Accroupi.