Il ne suffit pas d'accoucher le bébé. Il faut ensuite accoucher le placenta. «Poussez, Madame, poussez !» On appelle cette phase d'expulsion : la "délivrance". Hélas, la parturiente, en France, n’a même pas le temps de voir le précieux placenta, qui lui est arraché… pour servir quels intérêts ?
Un nombre croissant de femmes, en Suisse, recueillent le placenta qu’elles ont expulsé après un accouchement. Certaines l’enterrent et plantent dessus un arbre qui symbolisera la croissance de leur nouveau-né. Pourquoi ? «Je pense que ce sont d’anciennes traditions», explique Magali, par allusion aux Celtes qui, semble-t-il, faisaient du placenta l’humus nourricier d’un double végétal de l’enfant. Magali a accouché d’une petite fille il y a moins de trois mois. Pour elle, il était primordial que la naissance de sa fille prenne l’aspect d’une cérémonie : le 7 janvier 2018, elle est entrée dans la «maison rouge» (1) où l’attendait une sage-femme et elle a mis Isa au monde dans la lumière tamisée d’une pièce à étuve et dans l’ambiance sonore d’un chant ancien qu’elle avait choisi. Le 8 janvier, elle est rentrée chez elle avec deux “bébés”.
Le nourrisson et… son double protecteur
Le nourrisson et le placenta possèdent le même matériel génétique. Ils sont tous les deux issus de la même cellule fécondée lors de la conception. Ils ont vécu ensemble pendant plusieurs mois, reliés par le cordon ombilical. «Le placenta, c’est comme un doudou pour le bébé, dit Magali. Quelque chose de rassurant, toujours près de lui dans le ventre.» Sur le plan symbolique, il lui semble important de «maintenir ce lien» vivant. Comme on est en hiver, impossible de creuser un trou suffisamment profond. Elle a donc mis le placenta dans le freezer. Quand viendra le printemps, avec son mari, elle ira acheter un jeune arbre dans une pépinière puis ils mettront le placenta en terre afin qu’il nourrisse les racines de l’arbre et que celui-ci croisse à l’image de la petite Isa. Quel arbre choisiront-ils ? «Ce sera un sapin, dit Magali, car dans le calendrier celte, le sapin correspond à la date de naissance d’Isa.» Sur Internet, ce genre de calendrier circule beaucoup, mais avec des arbres parfois différents : reconstitués ou imaginés au XXe siècle par des chercheurs plus ou moins fiables, ces calendriers n’ont qu’une valeur métaphorique. Peu importe l’arbre, pourvu qu’il ait du sens. Ce qui compte, avant tout, c’est l’arbre.
Pourquoi un arbre et pas une fleur ?
«Pour moi c’est une évidence, explique Magali. Le placenta, tu trouveras des photos sur internet sans doute mais ce qu’il représente… c’est flagrant.» Magali n’en dit pas plus. Il faut le voir pour comprendre : le placenta est un disque ovale de 15 à 20 cm de diamètre, de 2 centimètres d’épaisseur qui présente l’aspect inouï d’un arbre, ramifié de veines rouges. Cet organe vital est appelé «oeuf de vie» par certaines, «Yggdrasil (arbre de vie)» par d’autres. De fait, les nervures qui le traversent sont si belles qu’il existe maintenant au Canada la coutume d’en faire une empreinte sur papier, appelée «arbre de vie», juste après la naissance de l’enfant, afin d’en conserver la trace. Les mères placent cette empreinte au-dessus du berceau. Comme l’empreinte est faite de sang, et qu’elle a tendance à pâlir, certaines artistes en infographie –comme Fannie Bellemare-Larivière, par exemple– scannent l’empreinte puis la retouchent afin d’en fournir une version plus durable. La similitude entre le placenta et l’arbre est d’ailleurs telle qu’à Montreal (au Québec), dans le cadre du programme “Un enfant-un arbre”, les parents ont la possibilité d’obtenir un arbre à planter après la naissance de leur nouveau-né. Le formulaire de demande doit être transmis dans les 3 ans suivant la naissance.
Les hôpitaux comme lieux de violence
Toujours au Canada, comme par un fait exprès, une circulaire ministérielle datée du 13 juillet 2017, autorise les parents (s’ils en ont fait la demande au préalable) à emporter le placenta. «Une victoire pour certaines femmes qui devaient presque voler ce précieux organe qui leur appartient», souligne Jocelyne Gaudy, sur un site dédié à l’accompagnement des jeunes mères. La pratique reste encore peu connue. Dans la majorité des hôpitaux, à travers le monde (et en France), le placenta reste considéré comme un «déchet biologique» qu’il s’agit de détruire. Assimilé à un bout de viande, retranché sans pitié du corps de l’enfant, il perd toute valeur dans l’univers des accouchements dits «sécurisés»… La hâte avec laquelle on sépare le bébé de son placenta, en coupant le cordon, est symptômatique : le personnel hospitalier n’a pas de temps à perdre dans les usines à accoucher. On clampe dès l’expulsion du bébé. Faut-il le faire une minute après ? Ou attendre trois minutes ? Les obstétriciens se disputent à ce sujet alors qu’il est tout à fait possible qu’un enfant reste relié à son placenta jusqu’à 10 jours après la naissance : c’est ce qu’on appelle les bébés lotus.
Optimisation de l’accouchement, rentabilisation des déchets
En France, officiellement, le placenta est incinéré car il est assimilé à un rebut post-opératoire : «risque infectieux». Les parents n’ont pas le droit de le prendre, mais au nom de quoi interdit-on aux mères de garder cette partie de leur corps ? La raison n’est pas claire. Pas plus claire que le sort réservé au placenta dans certaines cliniques privées ou publiques qui, sans demander l’autorisation, récupèrent le «déchet» à des fins de recyclage : il s’agit d’une collecte autoritaire, au nom de la science. Selon la loi de Bioéthique de 2011, l’accord des mères n’est plus nécessaire : les hôpitaux peuvent prélever ce qu’ils veulent de ces soi-disant «déchets» qui constituent une véritable manne pour les laboratoires. Pour le moment, hélas, les seules personnes à protester sont membres d’associations qui militent pour un retour à des valeurs dites traditionnelles (sic). Il devient, par conséquent, compliqué de revendiquer le droit au placenta : on passe facilement pour un(e) néo-réac, voire pire : un(e) adepte de néo-paganisme celte. Surtout que les arguments sont faibles : que répondre à la question «Mais pourquoi voulez-vous garder le placenta ?»… Je veux mon placenta pour planter un arbre dessus ? Je veux mon placenta pour faire plein de jolies empreintes sanglantes à mettre dans la chambre de bébé ? Pire : Je veux le manger en fricassée ?
Placentophagie : vous le voulez en steak ou en smoothie ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, en Chine, aux Etats-Unis et au Canada, certaines mères –imitant les chattes qui dévorent leur placenta– font cuire l’organe comme une tranche de foie… ça a le même goût paraît-il. D’autres l’ingèrent en smoothie, mélangé à des fruits et du yaourt. Jennifer Aniston, Kim Kardashian et Victoria Beckham l’auraient fait, pour se prémunir du baby blues, entre autres. «L’absorption du placenta permettrait à la femme de récupérer des protéines, du fer, des vitamines, des hormones et d’autres oligoéléments. La placentophagie apporterait des bénéfices pour l’allaitement, réduirait les douleurs des tranchées et diminuerait les risques de dépression post-partum», explique Jocelyne Gaudy, qui préconise l’ingestion en gélule : réduit à l’état de poudre, puis encapsulé, le placenta est certainement plus facile «à avaler». En Suisse et en Allemagne, des laboratoires comme HomeoSwiss ou Mentop Pharma proposent d’autres services : si vous leur envoyez un bout du placenta (de la taille d’un ongle) avec quelques gouttes de sang ombilical, ils réalisent pour environ 150 euros une «isothérapie placentaire en préparation magistrale» : dans les 4 semaines qui suivent votre envoi, vous recevez par retour de courrier une boîte de 5 flacons contenant chacun une réserve de granules homéopathiques (2).
Donner au bébé des dilutions de l’extrait de son propre placenta
Chaque flacon porte une étiquette : D6, D8, D12… La boîte est fournie avec une liste des maux à traiter : acné du nouveau-né ou exanthème (D6), douleurs dentaires, rhume, coliques ou muguet (D8), croûtes de lait (D12), troubles du sommeil (D20)… La mère peut prendre des granulés pour améliorer les qualités nutritives de son lait s’il est trop dilué (D6) ou pour soulager ses douleurs menstruelles (D12). Les granules peuvent aussi aider la cicatrisation des petites blessures (D8)… La posologie est soigneusement indiquée. Il y a pas de limite d’âge pour l’utilisation des granules. Magali, qui a reçu sa boîte, n’a pas encore eu le temps d’un tester l’efficacité, mais pour elle, certainement, oui, ça marche. Etant donné qu’il s’agit d’homéopathie, les autorités en France sont plus que méfiantes. En 2012, la Direction Générale de la santé publie une circulaire qui condamne fermement la pratique du recyclage placentaire en gélules ou en granules : «Ces activités sont illégales et ceux qui les pratiquent sont passibles de sanctions pénales.» Motif invoqué : le code de la santé publique prévoit «que le don de cellules du sang de cordon et du sang placentaire ne peut être qu’un don anonyme, gratuit et solidaire (c’est-à-dire non pour soi ou ses enfants mais pour la collectivité toute entière).» Autrement dit : votre placenta et votre cordon ombilical ne vous appartiennent pas. Ils sont la propriété de l’Etat, et tant pis pour la valeur symbolique, poétique, spirituelle ou affective de ces organes.
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NOTES
(1) La maison de naissance s’appelle Grange rouge, à Grens.
(2) 5 flacons de granulés, pour un total de 10gr et 1 flacon de 10ml de teinture mère.
Merci à Magali et Greg.